Camp, champ, chant

Quand, Cancan et french can can
Question de méthode et pratiques frontalières

12/10/2019
Sonia Weber

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Camp, champ, chant

« Lo que yo pienso, no le he pensado solo » Blanchot

 

Et Puis ? Poursuivre : pourquoi ? pour quoi ? pour qui ? Comment poursuivre ? Une nouvelle fois en panne. « C’est très bien ça, la panne » me dit Roland Léthier (je m’y attendais, à cette réponse). Un au moins, de content. Et puis quelqu’un me dit : « mais repars donc de Visa-Vie puisque c’est de toute façon un séminaire noué à Visa-Vie. »

  • Un séminaire (2009) à l’origine des dispositifs Kairn et A Façon (fin 2010). Kairn, A façon : effets du séminaire ; c’est une création discursive.
  • Un séminaire dont la poursuite trouve sa raison d’être dans l’existence de Visa-Vie : Comme disait déjà Philippe Koeppel en juin 2013 (je devais déjà patauger) : « il faut que le séminaire se poursuive, pour que le travail à et de Visa-Vie ne s’institutionnalise pas trop ». Penser, ne pas arrêter de penser, dans une tentative de pensée pensante, en mouvement, face aux attaques de la pensée. Attaque des jeunes parfois, par le biais de certains « comportements » « agirs », par leur inertie, mais aussi et surtout par l’ambiance et les discours actuels qui envahissent le social. Il ne s’agit plus de penser par soi-même (ce que Kant pose condition de sortie de l’état de minorité), mais d’incorporer et d’exécuter des procédures, des protocoles… et de prendre le moins de risques possibles. Bernard Stiegler parle de misère symbolique voulue.

Penser, donner à penser, à se questionner, malgré les incorrections théoriques possibles, pour ne pas dire probables, voire certaines. « Rien ne peut être avancé par qui s’empêcherait radicalement au départ de dire une bêtise, chose d’ailleurs impossible à réaliser puisque le dire silencieux qui pourrait apparaitre comme une solution ne serait pas lui-même garanti de n’en être pas une [1]». En bref, on ne dit que des bêtises.

Invitation à mettre en commun les questions, les élaborations, les doutes et ce qu’on ne sait pas… En bref : C’est un séminaire pour les jeunes. L’origine du séminaire, en 2009, au-delà d’une rencontre entre Roland Léthier et moi s’origine dans un questionnement à nous posé, par les « questions « que soulève la violence destructrice de jeunes qui fait voler en éclats non seulement leur auteur, mais également leur environnement. Elle met à mal les institutions qui essayent de les contenir : famille, école, foyer, justice… S’agit-il d’un nouveau malaise dans la culture ? Ces gamins hors murs, hors normes, hors cadres, hors nosographie bien établie, comment les rejoindre, pour fabriquer quoi ? Ils sont comme des « innocents », voleurs, menteurs, dealers, fugueurs. « Des voyageurs sans bagages, sans patrie, sans itinéraires, qui ignorent à ce point leur statut d’étrangers qu’ils ne se sentent jamais importuns, jamais responsables, jamais insignifiants ». Ils déconstruisent tout, et nous poussent à revisiter nombre de nos concepts psychanalytiques, notamment si nous voulons entendre quelque chose, là où la parole a bien souvent déserté la scène ou n’est pas reliée au corps. Et de quel corps parle-t-on ? Corps morcelés, souvent insensibles, sans enveloppe individuelle, pris dans une érotique sauvage. Comment survivent ces êtres si peu parlants et tellement atteints ? Et qu’en est-il du rapport à l’image et donc de la constitution subjective du sujet quand le miroir s’est volatilisé, ou a disparu, ou n’est jamais advenu ? [2]» Et le rapport aux autres, au semblable ? À l’Autre ? … À partir de ces questions et de celles qui émergeront en cours de parcours, nous revisiterons des textes, en particulier de Freud et Lacan, pour trouver en quoi ils peuvent nous aider à penser aujourd’hui les questions que nous posent « ces innocents ». Confrontés au fait que ceux à qui nous avons affaire nous entraînent dans des régions inconnues des arpenteurs de l’inconscient, nous essayerons, en rendant visite aux artistes, aux sociologues…, d’avancer une élaboration qui permette d’inventer d’autres socialités et de fabriquer un sol pour les déssolés.

Et Puis ? « Et puis ? N’est-ce pas là ramené à sa plus simple expression, l’intervention première du psychanalyste ? N’est-ce pas là réduite à son trognon, la formule même de la relance de la parole, de la règle fondamentale en son effectivité ? N’est pas là le seul mot, le seul bon mot (car s’en est un) qu’en toute légitimité un psychanalyste puisse d’abord dire ? … Pourtant il est loin d’aller de soi cet Et puis ?! (Il est source de malentendu.)[3]» Mais cet « Et puis… » est essentiel.  Il donne son statut au savoir dans l’analyse, et dans le même temps à celui dans la transmission. « S’agissant de son statut comme savoir, la psychanalyse n’a cessé de produire des réponses qui, à plus ou moins bref terme s’avéraient ne pas exactement convenir ». La spécificité épistémologique de la psychanalyse freudienne réside dans ce « ce n’est pas exactement ça ». Il s’agit à tout moment « d’évider l’évidence ».  En 67 Lacan disait à ses élèves « … ne croyez pas que tant que je vivrai vous pourrez prendre aucune de mes formules comme définitives » ». Allouch commente : « La succession des mathèmes écrits par Lacan pose à elle seule la question de savoir si l’un d’eux peut-être le bon, une question à laquelle l’élection du dernier en date ne peut faire solution, sauf à donner à la mort réelle de Lacan le statut d’un fait non contingent à l’endroit de cette succession, pas que nous ne franchirons pas… Mais plus radicalement cette succession indique qu’il n’y a pas en psychanalyse, de formule définitive, que l’analyse est condamnée à une sorte de course folle dès lors que l’invention du savoir, dans son savoir-faire, est aussi ce qui le rend caduc ». Ayant rejeté la notion de métalangage, « il n’y a aucune raison que le savoir sur le statut du savoir en psychanalyse, échappe à cette malé-diction (car c’en est aussi une) de l’évidence[4] ».

Et Puis ? Cette année s’intitulera : Pratiques Frontalières. Thématique qui renvoie à la pratique visavienne, traversée régulièrement par le dilemme qui revient comme un serpent de mer d’une distinction possible entre ce qui relèverait du thérapeutique et ce qui relèverait de l’éducatif…. Comme si dans l’inconfort, le flou et le bordel de la pratique (pratique très particulière et compliquée) il fallait de temps en temps remettre de l’ordre et pouvoir savoir où on en est.  Distinction qui n’est pas sans évoquer ce qui relèverait d’une réalité dite psychique de ce qui relèverait d’une réalité dite sociale ou objective, ou principe de réalité… Distinction qui interroge aussi selon moi, la question du rapport ou du nouage corps parole. D’où l’intitulé de l’an passé « Parol…lé parol…lé parole…en Corps[5] ». Motérialiser le corps, corporiser la parole, tels étaient des thèmes déjà abordés au début du séminaire.

Pratique singulière, hors cadre, et comment pourrait-elle ne pas l’être, alors que les jeunes accueillis, accompagnés, par Visa-Vie sont hors cadre, hors case – les incasables – mais peut-on être hors-case puisque celle-là même en est une ?  Jeunes souvent hors de/d’eux, qui nous convoquent donc à être aussi hors de … nos cadres habituels, de travail, hors de la distinction parait-il bien définie (mais que je n’ai jamais comprise de rôle, place, fonction), hors de nos cabinets, bureaux…pour avoir une chance de les rencontrer, de fabriquer des possibilités de transfert et inventer d’autres socialités. Qu’est-ce donc que le thérapeutique à Visa-Vie ? La figure du thérapon développée lors de la dernière séance en mai dernier tente d’y répondre ou du moins de nous donner une orientation vers quoi tendre : le thérapon, un serviteur fidèle, frère d’armes, un double, un ami … Mais l’intitulé de cette année est déjà transfrontalier et même transcontinental, puisqu’il est venu d’échanges avec l’Argentine et une amie qui nous a parlées d’une philosophe ou anthropologue mexicaine, Sayak Valencia, qui travaille sur la question des frontières et dont les travaux l’aide à penser sa propre pratique.

Frontière : « La frontière est un espace d’épaisseur variable, de la ligne imaginaire à un espace particulier, séparant ou joignant deux territoires, en particulier deux états souverains. »[6] La frontière n’est pas seulement une délimitation entre un dedans et un dehors ; c’est un principe de souveraineté politique. Frontière qui alimente une identité, une appartenance, une opposition plus ou moins forte eux/nous. « Être d’ici, » dit Guillaume Le Blanc dans « La Fin de l’hospitalité », « c’est non seulement faire frontière, mais construire la vérité de ce côté-ci ». En triant des papiers cet été, je suis tombée sur un numéro ancien d’une revue belge Quatro, intitulée Psychanalyse : pure et appliquée. Il y aurait une psychanalyse pure (celle du consultoire sans doute) et une psychanalyse appliquée : à quoi ?  L’intitulé laisse entendre aussi la croyance entre une distinction claire entre le pur et l’impur. Psychanalyse : pure et impure ? Comment dans le champ freudien, séparer le bon grain de l’ivraie ?

Remarques. Frontières naturelles ou toujours humaines, artificielles ? Pourquoi couper-là plutôt que là ? Frontières suite à des guerres, découpes entre des « peuples » : Kurdes de Turquie, de Syrie… Indiens du nord de l’Argentine, et de la Bolivie… la Vallée étroite de cet été. Il faudrait reprendre Foucault… le souci de soi, les écoles philosophiques…. Philippe nous parlera de la Paideia. L’origine du mot frontière vient de front, terme militaire qui désigne la zone de contact avec une armée ennemie. Aller au Front, sur le pont et au front avec les jeunesRelever le gant. Sancho et Patrocle sont là. On pourrait relire Davoine 2ème séance [7] et la 4ème séance[8] sur le transfert à partir du texte de Allouch, « Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique ». La frontière est associée à un système de contrôle puissant plus ou moins explicite, dont l’objet est de protéger, mais aussi de laisser circuler en filtrant et en prélevant. Cette ambivalence entre séparation et échange est caractéristique de la frontière, plus ou moins ouverte ou fermée. La porosité varie en fonction des relations entre systèmes en présence, mais est inhérente à toute frontière. Qu’on veuille ou pas : ils passent, ça passe. « Passer quoiqu’il en coûte ! » disait Didi-Huberman. La question des frontières est d’actualité : ouverture, fermeture, protection, menace… Que gagne-t-on, que perd-on à les ouvrir ou les fermer ? Que risque-t-on ? Quels enjeux ?

Définissant –délimitant- avant tout le champ freudien par la méthode (freudienne), (et non par son objet ou par ses applications ou règles techniques), Allouch écrit : « Quelles sont donc, dans ce champ, les lois de l’hospitalité ? Mais aussi : de quels autres champs, celui qu’on qualifie de freudien s’isole-t-il ? (…) Comment discriminer ce qui fera légitiment partie du champ, et ce qui devrai en être non moins légitimement exclu, le bon grain de l’ivraie [9]». L’histoire de la psychanalyse, semée de conflits, d’exclusions, de ralliement laisse entendre cette question. Freud, Jung, Adler, Ferenczi…Qu’est-ce qui relève ou non de la psychanalyse ? Qui détient la vérité ou la mesure du pur ? Dans son Introduction au journal de S.Ferenczi, M.Balint écrit. « Le journal a été écrit en 1932…Après sa mort, trois au moins d’entre nous (proches de Ferenczi) donnâmes à Mme Ferenczi l’avis qu’elle suivit, d’en retarder la publication pour le moment. Nous pensions qu’il valait mieux attendre que les répercussions immédiates du désaccord entre Freud et Ferenczi se tassent. Cela laisserait le temps pour que se crée une atmosphère plus favorable à l’évaluation objective des idées de Ferenczi, contenues dans le Journal ». Le journal démarre sur des considérations concernant « l’insensibilité de l’analyste (façon maniérée de saluer, exigence formelle de tout dire, attention dite flottante, qui finalement n’en ai pas une…Le naturel et l’honnêteté du comportement… »[10].

L’Ipa : exclusion de Lacan à propos des séances courtes notamment… La question du cadre occupe déjà beaucoup de place. À quoi, à qui sert le cadre ? À éviter le passage à l’acte du côté de l’analyste, comme l’interroge Allouch dans son dernier livre : « Nouvelles remarques sur le passage à l’acte ». À rassurer l’analyste ? Ou est-ce une condition nécessaire pour qu’une analyse advienne ? Dans ce cas, quel cadre ? Et là encore les écoles divergent, s’écharpent parfois. Derrida en 2000 affirme que « psychanalyse » ne se décline plus désormais qu’au pluriel. Lacan dans « Variantes de la cure type » réécrit cette tautologie : « une psychanalyse, type ou non, est la cure qu’on attend d’un psychanalyste ». « Je propose que … la clinique psychanalytique soit une façon d’interroger le psychanalyste, de le presser de déclarer ses raisons [11]». « La clinique psychanalytique doit consister non seulement à interroger l’analyse mais à interroger les analystes, afin de rendre compte de ce que leur pratique a de hasardeux, qui justifie Freud d’avoir existé [12]» J.Lacan Ouverture de la section clinique 1er mai 1977. Ou encore une psychanalyse c’est ce qui se dit en analyse : « Qu’est-ce que la clinique psychanalytique ? Ce n’est pas compliqué. Elle a une base – C’est ce qu’on dit dans une psychanalyse. [13]». À partir de là il convient de se régler sur le divers. (Allouch)

Reconnaitre les limites, délimiter, accepter les limites, assumer les limites et ce qui peut passer ou ne peut pas, sauf à « dénaturer », (ce qui n’est pas de nature) … Dire que Non, parfois… ça ne passera pas… Accepter, assumer, les lignes, les frontières, mais pouvoir les faire bouger aussi, les déplacer… faire jouer les limites et les différences, l’Entre. Choisir son camp quand il le faut ou plutôt quand il nous semble le falloir. (Cf. Séminaire « Façon(s) de Dire », les journées : « résister, insister, mouvements minoritaires »[14]). Dé-limiter, protéger sans s’enfermer, délimiter tout en acceptant la porosité, les influences, les dérangements, laisser entrer l’extérieur, la créolisation parfois, qui ne soit pas du relativisme

À la frontière : du thérapeutique ? Du soin ? Du psychanalytique ? Du spychanlytique ? De l’éducatif ? Du social ? La pratique de Visa-Vie a-t-elle encore à voir avec la psychanalyse à laquelle elle dit se référer ? D’ailleurs, que veut dire se référer à la psychanalyse ?

  • Du Thérapeutique ? Ou du soin ? Dans ce cas que s’agit-il de soigner ou guérir ? Quelle conception du soin soutient cette dimension ?
  • Du Psychanalytique ? Quelle expérience hors les murs du consultoire et comment dans notre contexte prendre au sérieux Lacan écrivant dans « Variantes de la cure type » : « (…) on le pressent (…) la psychanalyse n’est pas une thérapeutique comme les autres… Elle nécessite une rigueur en quelque sorte éthique, (dans les moyens et les fins) (…) hors de laquelle toute cure, même fourrée de connaissances psychanalytiques, ne saurait être que psychothérapie. Cette rigueur exigerait une formalisation, nous l’entendons théorique, qui n’a guère trouvée à se satisfaire à ce jour que d’être confondue avec un formalisme pratique : soit de ce qui se fait ou bien ne se fait pas». « S’il admet (Freud) la guérison comme bénéfice de surcroit de la cure psychanalytique, il se garde de tout abus du désir de guérir, et ceci si habituellement qu’au seul fait qu’une innovation s’y motive, il s’inquiète en son for intérieur, voire réagit au for du groupe par la question automatique à s’ériger d’un : si l’on est encore dans la psychanalyse ».
  • Du Spirituel : dans son livre « En-Jeux de l’Autre », Michel Constantopoulos fait un rapprochement entre exercices spirituels et psychanalyse. Son intervention du 3 février 2018 [15] à ce séminaire « Façon(s) de dire » portait sur cette question du rapport de l’analyse au souci de soi (Foucault). Allouch reprendra la question dans son livre, déjà évoqué dans ce séminaire : « La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? réponse à Michel Foucault ».

NOTES à propos de « Le moment du soin. À quoi tenons-nous ? »[16] et… Une des polarités principales qui ordonnent nos vies est celle de la vulnérabilité et du soin. Le soin répond avant tout à une vulnérabilité « objective » celle du nouveau-né. Le premier sens des soins : ces gestes matériels et techniques sans lesquels la continuation d’un corps vivant tel que celui du nouveau-né est impossible, et qui lui sont dispensés par un autre que lui. Pour Frédéric Worms, philosophe, il n’y a pas un « sujet de soin » face à un objet, qui serait le nouveau-né en face de lui, l’un et l’autre étant présupposés exister avant le soin lui-même. Ce qui apparait de plus en plus nettement c’est que le sujet de soin a bien dû commencer lui aussi, par en être l’objet, au sens le plus matériel et vital qui soit. Le soin est à la genèse même des subjectivités individuelles…le geste de soin adressé à un corps vivant le constituant comme un sujet capable seulement ensuite de soigner, ainsi que de se soigner (se soigner/ souci de soi). Il est possible que le soin non seulement préserve son objet, mais (et dans le même mouvement) crée son sujet, nous préserve comme objet et nous crée comme sujet. La dimension la plus fondamentale du soin est pour F.Worms la dimension relationnelle, qu’il révèle dans nos vies. Donc, double priorité du soin, non seulement objective, mais subjective, qui révèle la part de dépendance, mais aussi de création.

Les deux « concepts » du soin sont à la fois distincts en principe et inséparables en fait. Soins techniques et soins relationnels. Il n’y a pas de coupure entre les deux, mais coupure en chacune de ces dimensions. On a besoin de ces deux dimensions et il convient de les relier. Si les soins palliatifs se sont concentrés sur les soins relationnels, ils ne peuvent oublier pourtant la part encore technique et médicale de leurs gestes. De même, les soins parentaux, comportent une part de gestes concrets et techniques, sans lesquels ils deviennent impossibles et illusoires. De même, les préparatifs contre une pandémie, ne peuvent négliger les aspects sociaux et politiques, autant que relationnels et interindividuels, qui ne se surajoutent pas au soin de l’extérieur, mais en sont partie intégrante. Le soin est une relation. La relation de soin.

Le soin ne répond pas qu’à un risque extérieur ou vital ; il comporte aussi un risque intérieur et moral. Cela tient à la structure même de la relation de soin. Celle-ci étant dissymétrique ou asymétrique, est en elle-même une relation de pouvoir, ou d’ailleurs de service pouvant donner lieu d’un côté à des abus de pouvoir, – d’où résistance possible aux soins- de l’autre à des dénis de reconnaissance. La relation de soin est porteuse d’une asymétrie profonde qui constitue ladite relation. Il n’y a pas de soins sans une faiblesse qui appelle de l’aide, mais qui peut devenir une soumission, et une capacité qui permet le secours mais qui peut devenir un pouvoir et donc un abus de pouvoir. Cette asymétrie est inévitable.

La dimension sociale et politique du soin tient aussi à son rapport aux besoins premiers des hommes et aux réponses collectives qui y sont apportées. D’où sa dimension morale. Worms appelle violations les actes qui creusent et rendent impossible la relation de soin de l’intérieur d’elle-même. Toute relation porte en elle le risque de violation (par excès de relation, par étouffement, par exclusion, …) (amour –haine, crime contre l’humanité qui détruit les relations possibles entre les hommes…).  Face aux violations possibles il faut des principes de justice, de liberté, des exigences… La relation de soin fait émerger la structure relationnelle de toute vie humaine. Pour Worms, le soin ne désigne pas une question morale ou éthique, parmi d’autres, mais le principe d’ensemble d’une éthique et d’une philosophie morale.

Deux concepts du soin. « Il est certain que la médecine tire son origine vitale, et sa finalité morale de la nécessité du soin entre les hommes. Notre faiblesse à la naissance, nos défaillances continuelles font que nous nous soignons les uns les autres, que nous devons le faire. L’une des conditions de l’éthique médicale, la première peut-être, consiste donc, à nos yeux, dans l’intégration de la médecine à ce qui est avant tout une relation, plus primitive et plus générale qu’elle, et que nous appellerons la « relation de soin ». La médecine n’est pas tout le soin, elle s’enracine même peut être dans une relation de soin plus primitive qu’elle ; c’est une sorte spécifique de soin.[17] »

Worms distingue, deux sortes, ou même deux concepts du soin : le soin, comme relation primitive entre les hommes, et la spécificité du soin médical. Ces deux concepts ont deux logiques relationnelles distinctes et irréductibles, comme deux sortes de relations entre des subjectivités. Il faut les étudier séparément. Toutefois, la distinction ne s’oppose pas à une certaine unité. Pas l’un sans l’autre. Ils se séparent et se relient dans la pratique elle-même. S’il y a deux concepts du soin, ils se rejoignent donc bien de l’intérieur. Soin : toute pratique tendant à soulager un être vivant de ses besoins matériels ou de ses souffrances vitales, et cela, par égard pour cet être même. Soigner, c’est soigner quelque chose, un besoin ou une souffrance, isolable comme telle et que l’on peut traiter. Mais soigner c’est aussi soigner quelqu’un, et tout soin comporte dans son concept même une dimension intentionnelle et même relationnelle, aussi minimale soit-elle. Pour soigner, il ne suffit pas de le pouvoir, mais aussi de le vouloir, et cette intention ne peut-être qu’adressée elle ne peut viser qu’un destinataire de soin comme tel et ceci, il faut y insister car c’est capital, quelle que soit la motivation de cette intention (mais il en faut une !). Worms utilise délibérément le terme d’égard, et tient en réserve des termes plus forts comme devoir, respect, amour. (Le médecin est le relais dans une autre relation, (cf. prématuré) ou avec une relation elle-même atteinte par la maladie ou pathologie : il parle à l’enfant en le soignant, et soigne le parent en lui parlant). Worms distingue Le modèle parental et la portée ontologique du soin, du modèle médical et la portée politique du soin. u grec ancien θεραπεία, therapeía (« cure») dérivé de θεραπεύω, therapéuô (« servir, prendre soin de, soigner, traiter »), issu de θεράπων, therápôn (« serviteur »).

Le « modèle parental ». Priorité chronologique, mais aussi ontologique : constitutive de l’existence même des termes ou des sujets de toute autre relation de soin. Worms ne définit pas ce 1er modèle de relation de soin par une relation parentale, préalable, naturelle. Au contraire, il définit la relation parentale, par la relation de soin. Il s’agit d’une relation doublement individualisante, avant laquelle il n’y a pas de parent, ni d’enfant. Mais création de cet enfant et de ce parent. Seule cette relation constitue donc un soi, ou un sujet capable d’entrer ensuite dans toute autre relation de soin. Capable d’être soigné et de se soigner. Capable de soigner autrui. Le soin n’est pas d’abord une nécessité physiologique ou organique au sens strict, mais une nécessité relationnelle, sans laquelle s’est un soi individuel qui n’existerait pas.

Worms fait appel à Winnicott –environnement primaire du nourrisson, le holding…, et aux théories de l’attachement de Bowlby. Pour lui, la norme biologique de l’attachement n’empêche en rien, et appelle même la spécificité de la thérapie psychanalytique, qui reprend et rejoue la relation comme telle. Pour Worms, la psychanalyse ne saurait être une médecine…mais elle n’en a pas moins, un double rapport au soin, par sa pratique relationnelle qui reprend la relation originelle elle-même. Ou encore on devra distinguer la dimension thérapique de la psychanalyse qui soigne par elle-même, de la dimension thérapeutique de la médecine comme telle. On ne peut se contenter d’opposer ces deux modèles du soin, il y a un point de recoupement.

Séances 2010[18]. Si la psychanalyse c’est ce qui se dit en analyse, si la pratique analytique se centre sur le dire… alors le cadre peut varier et va même varier pour chaque patient… sauf à imposer le même cade à tout le monde, comme un lit de Procuste. Il est clair que « quel que soit leur niveau ou capacité d’élaboration !!! globalement les jeunes qui sont au centre de ce séminaire, et sans qui ce séminaire et ces tentatives d’élaboration n’auraient pas lieux, globalement ces jeunes n’irait pas voir de psy dans le cadre de la cure type (peut-être le feront-ils plus tard…Cf Yan Pélissier [19]). Donc inventer une autre façon de s’y prendre, hors les murs. Dans un 1er temps, à l’analyste de se déterritorialiser, sans cesser de se régler sur le dire… sans se sentir trop lâché par le cadre.

Les jeunes sont HORS DE / D’eux…. Hors des murs institutionnels, hors des cadres… Acceptons ou nécessité de sortir des nôtres pour les rejoindre. Lâcher l’assurance du cadre ne veut pas dire lâcher ce qui fonde qu’on y soit et ce qui fonde ce qu’on fait : l’écoute…laquelle ? (Gros mot qui ne veut rien dire…) Écouter quoi ? Comment ? Pour en faire quoi ?

Question de champ. Je vais poursuivre un peu plus sur la question de la méthode freudienne qui me parait d’autant plus importante à ce point, qu’elle peut nous servir de boussole. D’autant plus qu’il me semble que les jeunes nous convoquent au plus près des exigences de la position de l’analyste. Réflexion qui permet aussi de sortir un peu de la tension analyse/pas analyse… Allouch[20] situe le discours de la méthode freudienne dans une histoire de la méthode, depuis Machiavel jusqu’à Descartes : « Freud présente explicitement son frayage comme étant celui d’une nouvelle méthode (Odos) qu’il dira méthode d’interprétation (comme référence et réalisation majeur de le Traumdeutung ; ou méthode psychanalytique par opposition à d’autres méthodes (anatomo-clinique, cathartique…). » L’invention de Feud fut l’invention d’une méthode où la méthode prime sur la doctrine. Par rapport à cette nouvelle méthode, Allouch retient cinq points :

  • Breuer invente la psychanalyse, ainsi que Freud le souligne en acceptant de traiter les symptômes de Bertha Pappenheim de la façon que Bertha Pappenheim lui suggérait. En cela même il crée une méthode…. « Breuer accepte donc de mettre en pratique, à l’endroit de sa patiente, la leçon de méthode qu’il recevait d’elle… et il transcrivait les récits, le rapport de chacun au symptôme qui lui correspondait, transmettait certains d’entre eux à Freud ou à d’autres». Quelle méthode recevons-nous des jeunes, qui pourrait nous enseigner sur la façon de nous y prendre avec eux mais plus particulièrement avec chacun d’entre eux ?
  • La méthode n’est pas la technique (évolution possible des techniques sans porter atteinte à la méthode). Pourtant remarque Allouch, « en dépit de Freud chez qui ce n’était pas le cas, pourquoi privilégie-t-on dans l’analyse, les problèmes dits techniques au dépens des problèmes méthodologiques…Devoir poser cette question apparaît encore plus étrange si l’on note que le ravalement des questions méthodologiques en considérations techniques a pour effet de rendre insolubles certains des problèmes soulevés, tandis que, réciproquement , distinguer méthode et technique offre cet avantage de rendre envisageable l’innovation technique tout en maintenant la pratique ancrée dans la même méthode. »
  • Le paradoxe de la méthode de Freud. « Freud recommande d’aborder chaque cas nouveau comme s’il était le premier, autrement dit de laisser de côté, afin que cette nouvelle analyse qui s’engage en soit une, tout le savoir acquis des cas précédemment traités. Lacan reformulera cette exigence dans les Écrits, dans son texte « Variantes de la cure type », dont le chapitre d’où est tirée la citation s’intitule : « Ce que le psychanalyste doit savoir : ignorer ce qu’il sait ». « C’est qu’aussi bien la psychanalyse est une pratique subordonnée au plus particulier du sujet, quand Freud y met l’accent jusqu’à dire que la science psychanalytique doit être remise en question dans l’analyse de chaque cas.il montre assez à l’analysé la voie de sa formation».

Quelle méthode recevons-nous des jeunes qui pourraient nous enseigner sur la façon de nous y prendre avec eux mais plus particulièrement avec chacun d’entre eux ?

 

[1] J. Allouch, « Freud, et puis Lacan », Epel, 1993.[2] Lire les textes de Roland Léthier séminaires – Visa-Vie

[3] J.Allouch, op cité

[4] J.Allouch, op cité

[5] Tu leur promets quoi? – Visa-Vie

[6] Frontière — Wikipédia (wikipedia.org)

[7] EN CORPS – Visa-Vie

[8] QUESTIONS DE TRANSFERT – Visa-Vie

[9] J. Allouch, op cité

[10] S. Ferenczi, « Journal clinique », éd. Payotet Rivages, 2014

[11] J. Lacan, « Variantes de la cure type », Écrits I, éd. Du Seuil, 1999

[12] Ce texte est paru dans Ornicar (ecole-lacanienne.net)

[13] J. Lacan, op cité

[14] Resister-annonce-elp.pdf (visa-vie.com)

[15] Façon(s) de dire en psychanalyse – Visa-Vie

[16] F. Worms, « Le moment du soin. À quoi tenons-nous ? », éd. Puf, 2010

[17] F. Worms, op cité

[18] Cf. Les séances 1 à 10 séminaires – Visa-Vie

[19] « Le massacre des innocents » – Visa-Vie

[20] J. Allouch, op cité

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