MOTERIALITE : corporiser les mots (nouage du discours à la matière)
Redonner du corps aux mots, (côtes jeunes VV, familiariser le corps par les mots)
La peste / le bonheur est dans le pré… voir, parer, exister, jeter, tendre
La psychanalyse un outil, ou bien quoi ?
« En tant qu’outil, la psychanalyse ne vaut rien »
« La baleine et l’ours blanc ne peuvent se rencontrer puisqu’ils ne partagent pas le même habitat » P. Koeppel
« Paroles…paroles…paroles »
« Encore des mots, toujours des mots, les mêmes mots, rien que des mots, des mots faciles, des mots fragiles, c’était trop beau, bien trop beau, mais c’est fini… » Dalida
Retrouvons le fil…. Un peu enchevêtré ; la pluralité des intitulés possibles de cette « nouvelle saison » en témoigne; nouvelle saison qui pourrait s’intituler aussi « le bonheur est dans le pré » … On s’est arrêté en septembre avec la journée du mini colloque : « Résister, Insister, Inventer des possibles »[1]. Journée qui s’est poursuivie avec les deux jornadas de Cordoba des 26 et 27 octobre : « Movimientos minoritarios, insistencias, resistencias locales.[2]» Suite à ces deux temps, différentes pistes se profilaient selon l’humeur… on les tricotera ensemble.
Dans son intervention au mini colloque du 22 septembre 2018 : « Résister, Insister, Inventer des possibles », Jean-Philippe nous a proposé une réflexion sur l’influence de certains concepts ou termes sur sa pratique quotidienne d’infirmier en psychiatrie. Et je retiens son invitation à poursuivre la réflexion sur les termes avec lesquels nous travaillons et l’on veut nous faire travailler. « Par rapport à l’influence, comme ça des concepts ou des théories sur le soin infirmier en tous cas en psychiatrie, je m’étais fait une petite réflexion parce que là en l’espace de 14 ans de pratique j’avais pu voir à peu près deux moments, c’est-à-dire début années 2000, encore une influence de termes issus de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle et puis, les derniers temps, une évacuation totale de ces références-là et donc un remplacement par des termes, je crois plutôt anglo-saxons : réhabilitation psycho-sociale, empowerment, inclusion sociale, rétablissement voilà pour les influences actuelles. Et donc en essayant de me souvenir un peu des effets produits je m’étais dit que finalement, quel que soit leur contenu intrinsèque, leur visée, ces différents concepts ou ces différentes écoles de pensée peuvent avoir une influence particulière en fonction de l’énergie finalement qui les soutient c’est-à-dire, on parlait de la pulsion de mort là par rapport à des termes vidés de leur sens je crois, dans la matinée et dans mon souvenir c’était un peu ça les concepts psychanalytiques quand je suis arrivé dans le service il restait des reliquats. Des termes comme transfert pouvaient être utilisés etc. mais assez galvaudés, vidés de leur sens et finalement qui n’arrivaient pas à étayer une certaine réflexion, plutôt des mots qui n’engageaient pas de réflexion (n’avaient plus) de conséquences concrètes dans l’organisation des soins »
De son intervention je retiens comme questionnement la question de l’usage de concepts et de leur vitalité pour « emporter » l’adhésion ou soutenir une pratique « vivante ». Mots encore utilisés mais vidés de leurs sens et sans plus d’effets concrets. Quand les mots utilisés n’engagent plus rien, ne sont plus portés. Sous deux aspects :
concepts vidés de leur sens, de leur tranchant : d’où une invitation à en revisiter certains au moins, pour éventuellement les dépoussiérer, les revitaliser
- 2 nouveaux concepts promesses : réhabilitation psycho-sociale, empowerment : (autonomisation, donner le pouvoir d’agir…), inclusion sociale, rétablissement. (Des nouveaux mots, parfois pour dire la même chose en oubliant les anciens, mais pas toujours, à analyser…)
Donc on continuera un travail d’analyse et de détricotage d’un certain nombre de mots, concepts pour mieux en repérer ce qui les sous-tend et leur visée…
On avait évoqué aussi par rapport à la psychanalyse le retour de la pulsion de mort. Dès le départ, la psychanalyse a été une pratique à contre-courant de la médecine, de la psychiatrie, même si on pourrait dire qu’elle a eu un moment le vent en poupe. « Que nous apprennent les saumons, truites ou esturgeons ? » sous-titre de mon intervention à Cordoba. Quoi de bien neuf aujourd’hui alors ? Peut-être que le neuf ce n’est pas tant qu’elle n’a plus le vent en poupe, mais qu’elle s’est sclérosée dans bien des lieux dans une pratique thérapeutique souvent mortifère, plombante. Comment soutenir une pratique analytique libre, amusante, vivifiante pour qu’on sorte du devoir parler (élaborer), et qu’on ouvre des possibilités de (re)découverte des joies des mots, du caractère ludique de la parole…
Dans mon intervention je posais la question de Résister pour quoi/pourquoi ? et contre quoi. ? De façon un peu rapide qui mériterait d’être dépliée, j’indiquerai quelque point sur lesquels on pourra revenir dans la discussion, sur ce qui me semble mis à mal aujourd’hui même si les processus ont commencé il y a un bon moment déjà. Ce qui me semble mis à mal, voire menacé – comme une espèce en voie de disparition- c’est :
- la question et le statut même de la parole et donc de l’être parlant ; d’une parole qui pourrait se déployer et laisser entendre dans sa polysémie, ses lapsus, silences quelque chose de la dimension du désir inconscient. Qu’est-ce que parler veut dire aujourd’hui ? Quand il s’agit de cocher des croix dans des dossiers préétablis pour rendre compte d’un dire.
- La possibilité d’accueillir, de recevoir celui/celle qui vient, comme il/elle vient, comme il/elle se présente, dans sa parole et dans ses actes, sans catégorie, projet préconçu ni même visée fut-elle thérapeutique, fixés par avance, et de « faire avec » d’inventer, de créer, à partir de ce qui est amené. « Le chemin se fait en marchant », on ne sait pas où on va arriver.
- L’expérience, et la phronesis (sagesse pratique). Autrement dit les savoirs faire ou être, ou mieux les savoirs y faire ou y être (in situ), non répertoriables dans des petites cases et ne pouvant répondre aux critères de tracabilité.
- La capacité de penser, ou la nécessité de penser ce qu’on fait, pourrait faire, devrait faire dans telle situation, pour être au plus près de ce qui se joue. Puisque les protocoles, recommandations en tout genre des Hautes Autorités et experts nous disent, et savent eux par avance ce qu’il faut faire. Le protocole suppose que tous les cas particuliers ne sont que des instances du cas général pour lequel on instaure la règle. Il évite de délibérer. Haraway, à la suite d’Hanna Arendt, voit dans le renoncement à la capacité de penser, le type particulier de « banalité du mal»[3]
- La capacité d’initiative, de prise de risque, de crainte des représailles institutionnelles ou judiciaires (risque zéro et recherche des responsables « dès qu’il arrive quelque chose »).
- La capacité de faire avec l’incertain, le fragile et le flou et d’inventer, essayer même en tâtonnant et supporter de ne pas savoir par avance ou de ne pas être assuré du résultat. Le bonheur est dans le pré : pré-établi, pré-défini, pré-vu, pré-calibré… ça se concentre dans le projet : projet de l’enfant, axe de travail, pré-voir ce qu’il faut travailler…
Pour moi, il ne s’agit pas tant de défendre la psychanalyse, je ne suis pas trop inquiète pour elle, en tant que telle, mais de soutenir des espaces où un certain rapport à la parole et à la subjectivité puisse trouver lieu. Il m’importe de tenter de poursuivre notre travail partagé dans cet espace afin de soutenir une possibilité d’accueillir de façon vivante, et en corps, de soutenir des espaces, hors pratique libérale, où il est possible d’accueillir ce qui vient, comme ça vient. C’est donc un parti pris. « La clinique psychanalytique, c’est ce qu’on dit en analyse ». Faire avec ce qui se dit, comme ça se dit, dire en paroles ou en actes, selon le branle que ça prend, c’est-à-dire en faisant place à l’aspect érotique, pris dans le dire. (La psychanalyse transite par le libidinal, point d’insertion de l’appareil signifiant dans le corps). C’est donc accueillir et être à l’écoute de ce qui vient, le n’importe quoi, le blabla selon la « règle analytique » Cette règle analytique est la méthode –le chemin vers- point commun quelque soient les écoles, quelque soient ensuite les disputes doctrinales, « Dites tout ce qui vous vient à l’esprit » Freud, « Dites n’importe quoi » version Lacan. Dire en se laissant divaguer au gré de la parole. Avec l’association « libre », la spontanéité devient la règle, c’est-à-dire la règle de non-préméditation. Association libre côté analysant ; attention également flottante côté analyste qui n’a rien à voir, comme nous le rappelait Philippe avec la bâtarde neutralité bienveillante. Le terme de libre, devrait nous faire réfléchir sur la rigidification des pratiques… Parole, parlotte, divagation, bavardage… n’ont plus beaucoup le vent en poupe dans la gestion des institutions, des entretiens, des protocoles… Il faut cadrer, calibrer, et ne pas se laisser avoir par l’imprévu, par les évènements indésirables…
Suite à une intervention sur la thématique : « Que faire quand le faire c’est faire rien (que hacer cuando el hacer es hacer nada[4]) » quelqu’un me demandait : « que leur promets-tu ? » (aux jeunes de Visa-Vie) en référence à Freud dans Malaise dans la Civilisation. Dans « Malaise dans la Civilisation », Freud s’interroge sur le but de la vie humaine et sur la difficulté des hommes à devenir heureux. Concernant la première question, il écrit : cette question « n’a jamais encore reçu de réponse satisfaisante. Peut-être qu’elle n’en comporte aucune »[5]… hors système religieux. « Aussi faut-il remplacer la question précédente par cette autre, moins ambitieuse : quels sont les desseins et les objectifs vitaux trahis par la conduite des hommes, que demandent-ils à la vie, et à quoi tendent-ils ? On n’a guère de chance de se tromper en répondant : ils tendent au bonheur, les hommes veulent être heureux et le rester (…) On le voit c’est simplement le principe de plaisir qui détermine le but de la vie, qui gouverne dès l’origine les opérations de l’appareil psychique ».
Mais, la vie telle qu’elle nous est imposée est trop lourde, elle nous inflige trop de peines, de déceptions, de tâches insolubles. Le système est donc grippé dès le départ. Il distingue trois sources : le poids de la nature, la caducité de notre corps et enfin, l’insuffisance destinée à régler les rapports des hommes entre eux, que ce soit au sein de la famille, de l’état ou de la société, qui est pour Freud la souffrance la plus complexe. Pour Freud, ces souffrances et le déplorable échec de nos mesures de préservation contre lesdites souffrances sont liés à notre propre contribution psychique. « L’homme devient névrosé parce qu’il ne peut supporter le degré de renoncement exigé par la société au nom de son idéal culturel, et l’on conclut qu’abolir ou diminuer notamment ces exigences signifierait un retour à des possibilités de bonheur ». « Il semble certain que nous ne nous sentons point à l’aise dans notre civilisation actuelle, mais il est très difficile de juger, si et à quel point, les hommes de jadis se sont sentis plus heureux, et alors d’apprécier le rôle joué par les conditions de leur civilisation.[6] » Du coup la contribution psychique est cause ou effet ?
Nous sommes hostiles face à ces restrictions, mais ces restrictions sont nécessaires à une vie en commun, et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne. Et un bon nombre de luttes au sein de l’humanité se livrent et se concentrent autour d’une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous, entre ces revendications de l’individu et les exigences culturelles de la collectivité. Un équilibre est toujours fragile, jamais acquis une fois pour toute. Et la question de quel commun fabriquons-nous, voulons-nous est aussi à réécrire régulièrement. L’actualité nous le rappelle particulièrement en ce moment. « Pour supporter la vie, nous ne pouvons-nous passer de sédatifs. Cela ne va pas sans échafaudages de secours ». « Si le programme que nous impose le principe du plaisir et qui consiste à être heureux (en donnant satisfaction aux pulsions), n’est pas réalisable, il nous est permis pourtant, ou plus justement, il nous est possible de ne pas renoncer à tout effort destiné à nous rapprocher de sa réalisation »[7]. Soit pour obtenir la jouissance, soit pour éviter la souffrance. Les échafaudages de secours pour atteindre ces objectifs sont de trois espèces : « d’abord de fortes diversions, qui nous permettent de considérer notre misère comme peu de chose, puis des satisfactions substitutives qui l’amoindrisse ; enfin des stupéfiants qui nous y rendent insensibles ».
Chacun se débrouille avec ses tensions entre recherche de plaisir et suppression ou diminution des souffrances, étant entendu selon Freud que « d’une façon générale la tâche d’éviter la souffrance relègue à l’arrière-plan celle d’obtenir la jouissance ». Les voies pour éviter la souffrance sont multiples et se différencient selon les sources de déplaisir. Il cite : l’isolement volontaire, l’éloignement d’autrui, l’intoxication (Cf. p. 22 très beau commentaire sur l’effet des drogues, mis de côté quand on parle de comportement…) Il cite aussi les moyens qui tuent les instincts, comme l’enseigne la sagesse orientale et comme le réalise la pratique du yoga ; là c’est le bonheur de la quiétude qui est visé. Il évoque le domptage des pulsions par le moi ou le surmoi soumis au principe de réalité. « En revanche, il s’ensuit là une diminution indéniable des possibilités de jouissances. La joie de satisfaire un instinct resté sauvage, non domestiqué par le Moi est incomparablement plus intense que celle d’assouvir un instinct dompté. Le caractère irrésistible des impulsions perverses et peut-être l’attrait du fruit défendu en général, trouvent là leur explication économique ». Freud cite encore, comme autre technique de défense contre la souffrance le recours aux déplacements de la libido, par la sublimation notamment, la jouissance esthétique. Mais aussi le délire, il parle de cette tentative désespérée qu’est la psychose ; et des religions comme délires collectifs. De la fuite dans les maladies nerveuses. De l’amour où l’on escompte que toute joie vient d’aimer et d’être aimé (alors même que nous ne sommes jamais aussi mal protégés contre la souffrance que lorsque nous aimons). Remarque importante de Freud : « le bonheur est un problème d’économie libidinale individuelle. Aucun conseil ici n’est valable pour tous, chacun doit chercher par lui-même la façon dont il peut devenir heureux. Les facteurs les plus divers interviendront dans le choix des chemins à suivre.[8] »
Si on se réfère à la question ou la quête du bonheur, comment se situe-t-on ? Quelle place ou positionnement occupe la (ou les) psychanalyse(s) par rapport à cette question ? On pourrait dire que les psychothérapies participent toutes de cette quête, ou visée de d’abord soulager les souffrances et permettre à quelqu’un de mieux vivre. Mais qu’est-ce que mieux vivre ? J’ai été voir plusieurs sites TTC, thérapies intégratives… toutes parlent de souffrance psychique à soulager. « Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) s’intéressent à la partie visible de l’iceberg, celle qui fait souffrir. La pratique est centrée sur la cognition, c’est-à-dire les pensées et les croyances parfois erronées et négatives que cultive l’individu sur lui-même. Celles-ci peuvent générer un état de souffrance et un comportement névrotique (dépendance, phobies, T.O.C.) que la thérapie va alors s’attacher à corriger. De la famille des thérapies brèves, les TCC s’appuient sur une relation active entre le thérapeute et son patient dans l’apprentissage de nouveaux comportements. [9]» « Une TCC est une thérapie brève, validée scientifiquement qui porte sur les interactions entre pensées, émotions et comportements. Ces thérapies se concentrent sur les problèmes actuels de la personne, tout en prenant en compte leurs causes historiques. Elles aident à progressivement dépasser les symptômes invalidants et visent à renforcer les comportements adaptés. Une TCC s’appuie sur différentes techniques qui aident le patient à identifier les mécanismes à l’origine de ses difficultés, à expérimenter de nouveaux comportements et à sortir ainsi progressivement de cercles vicieux qui perpétuent et aggravent la souffrance psychique. Elle aide la personne à mieux comprendre les schémas de pensées négatives à l’origine de comportements inadaptés (ex : phobie) qui peuvent être source de détresse psychique.[10] »
Je suis tombée aussi sur les thérapies intégratives. Concilier la psychanalyse, les thérapies comportementales et la méditation, les séances en individuel et en groupe. C’est la vision « intégrative » qui se développe en France pour mieux répondre aux besoins spécifiques de chacun. Un nouveau courant est donc en train de s’imposer en France : celui de la psy « intégrative », qui recherche les points communs entre les différentes tendances et met l’accent sur leur complémentarité. Il s’appuie sur le constat qu’aucune technique n’est suffisamment complète ni suffisamment bonne. « Intégrer » (du latin integrare) signifie rendre complet, entier, unifier. C’est, par exemple, considérer qu’un travail thérapeutique sera plus productif si le savoir acquis à l’aide d’une thérapie verbale, analytique, est vécu, mis en acte grâce à une thérapie émotionnelle, cognitiviste, ou à des exercices d’affirmation de soi. Intégrer, c’est aussi faire des choix : quelle technique, quel travail proposer à ce patient-là ? « Il ne s’agit pas d’une nouvelle école ni d’une nouvelle méthode », expose Alain Delourme, psychologue, psychothérapeute et formateur. « Il s’agit de prendre en compte l’être dans sa globalité – le corps, les émotions, la pensée, la spiritualité, le passé, le présent, l’avenir. C’est un état d’esprit, une volonté d’ouverture qui vont inclure les cultures anciennes, le yoga, la méditation. Il faut en finir avec les querelles de chapelles. Les confrères ne sont pas des ennemis. » Aux États-Unis, l’intégration des approches thérapeutiques est déjà une vieille histoire, qui débute dans les années 1930. Aujourd’hui, un tiers des psys américains se réclament exclusivement de ce courant. Selon Françoise Parot, professeure d’épistémologie et d’histoire de la psychologie, c’est la vision américaine de la psychanalyse – pragmatique, visant l’adaptation (alors qu’en France elle a toujours été perçue comme un exercice intellectuel de haut vol) – qui a permis très tôt une alliance avec les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies « humanistes » – comme la gestalt, l’analyse transactionnelle ou l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers.
Autre site : la psychothérapie intégrative est une combinaison de plusieurs approches, visant à remettre le patient au centre du dispositif, le rendre autonome. « La thérapie intégrative est une démarche pluri référentielle, elle intègre plusieurs thérapies, le patient n’a plus à s’adapter à la thérapie que le psychologue aurait choisie, mais c’est le psychologue qui adapte ses thérapies et divers outils aux problématiques du patient »[11]. A cela se rajoute le retour de l’hypnose, les propositions de thérapies par internet ou le psy qui se déplace à domicile parce que nous courons tout le temps et n’avons pas beaucoup de temps. Outre la question de vouloir tout faire cohabiter ou tout fondre dans un grand tout, comment concilier la division du sujet, l’inconscient, le sujet effet de dire et non pas cause, avec l’idée d’autonomie, de maitrise de soi, d’adaptation ? Fondamentalement il y a un fossé que je ne peux franchir et ne veut pas franchir. Accepter les limites de son champ, reconnaitre qu’on ne peut pas tout, pour tout, sur tout et qu’on n’a pas non plus quelque chose à dire sur tout. Refuser cette idée voire ce mot d’ordre de consensus, et qu’au bout du compte on parle tous de la même chose et qu’on vise la même chose. Au risque de paraitre ringarde, dépassée, ou refusant le progrès.
Pour reprendre ce que disait Jean-Philippe sur les nouveaux concepts porteurs et qui entrainent les soignants : ils ont l’avantage me semble-t-il d’être des concepts positifs, prometteurs de bonheur et dans l’air du temps. Globalité, consensus, efficacité, rapidité (cf. blague, je suis tjrs énurétique mais je sais pourquoi). Parmi les mots d’ordre du monde d’aujourd’hui on trouve : performance et efficacité/ responsabilisation de soi et autonomie / gouvernance de soi et des autres, adaptabilité, agilité, pour le bien être de chacun et de tous. Pour notre sécurité. Et il me semble que les psychothérapies en vogue, contribuent à la fabrique de cet homme nouveau…en même temps qu’elles sont fabriquées par les temps modernes. Elles sont dans l’air/de l’air du temps pour mieux le servir. Et pour répondre à la demande. Thérapies brèves, « efficaces », scientifiquement prouvées, par rapport au temps long et incertain de l’analyse, thérapies si possibles remboursées… Promesse de soulagement et de bonheur par l’adaptation et la conformité au principe de réalité, à la norme. Le nouveau vocabulaire marque et forge de nouvelles sensibilités mais configure du même coup de nouvelles pratiques et de nouvelles subjectivités. Foucault qui critiquait déjà beaucoup la psychanalyse et la Fonction psy doit se retourner dans sa tombe.
Comment situer la ou les psychanalyses là-dedans ? De quelle promesse de bonheur est-elle porteuse ? Comment répond-elle à la recherche de bonheur ? Lacan : « la guérison vient par surcroit » (donc que ce ne serait pas la visée première de l’analyse). Il me semble que le mouvement d’aller chez l’analyste est quand même principalement amorcé ou justifié par le fait que ça ne va pas, que quelque chose cloche, qu’on va mal et qu’on y va pour se plaindre. Etre soulagé c’est encore autre chose. La question serait plutôt : comment répond-on à cette demande ? S’agit-il de soulager pour soulager au risque de faire taire ou d’ouvrir à autre chose…demande besoin désir…. Demande manifeste/ latente … Pour dire les choses autrement, je poserais la question : quelle pratique pour quelles subjectivités ou quelles modalités de subjectivation ? Il m’apparait de plus en plus qu’aucune pratique n’est neutre mais participe de quelque chose. Et il serait illusoire de croire que la biopolitique s’arrête à la porte du cabinet du psychanalyste. Parce que les protagonistes de la scène analytique sont pris dedans ; parce que l’espace du cabinet est un espace dans la cité avec une proposition très particulière. Colloque singulier, a moral, libre association dites n’importe quoi… À ce point où nous sommes rendus, je dirais que la clinique est une affaire politique.
Et je vous propose donc pour cette année de revisiter certains concepts analytiques, pour en redonner le tranchant, le vif, les revitaliser pour qu’ils soutiennent nos pratiques et prêtent à conséquences. En soutenant d’être à la marge, à coutre courant … donc largement minoritaires. Movimientos minoritarios. Mouvement minoritaire qui ne cherche pas à recruter, à gagner mais à soutenir, soutenir à quelques endroits des possibles…INSISTER. Ça donne de la liberté !! d’être minoritaire et d’accepter de l’être. Discussion en Argentine : entre résister/insister. M.Balat : Exister, Insister, Résister : ces termes, auxquels il rajoutera avec Pierce obsister ont tous en commun le verbe « sistere » dont la racine STO tourne autour de la question :se tenir debout. Exister –surgir (surprise) ; insister : s’arrêter (se tenir) dans, obsister : s’opposer à ; résister : à la fois rester en arrière, et se dresser de nouveau, (régler ce qui ne l’a pas été tout en surgissant debout). À ce point-là je peux m’approprier dans le terme d’insistance
Encore des mots donc, des paroles, des articulations de mots, de pensées…pour penser et que les mots de la psychanalyse ne soient pas que des mots, des mots faciles… des mots finis.
On soutiendra une pratique non pas du pré-voir mais une fabrique du pré à la Francis Ponge
[1] A lire sur le site de Visa-Vie
[2] Jornadas Movimientos Minoritarios – Visa-Vie
[3] D.J. Haraway, « Gestes spéculatifs », sous la Dr de Didier Debaise, et Isabelle Stengers, collection Drama, colloque de Cerisy,2013,
[4] Que hacer cuando el hacer es como nada? – Visa-Vie
[5] S.Freud, « Malaise dans la civilisation », éd. PUF, 1976
[6] S.Freud, op cité
[7] S.Freud, op cité
[8] S.Freud, op cité
[9] Thérapies cognitivo-comportementales (TCC) | Mon Psy (psychologies.com)
[10] Thérapie Cognitivo-Comportementale (TCC) – Calipsy (corinnejacquet.fr)
[11] Thérapie Intégrative | Centre de Psychologie Intégrative (psychologie-integrative.com)