Comment vivre ou survivre quand on a fait l’expérience d’une catastrophe de ce qui fonde l’humain, catastrophe qui génère des modes de vie qui sont plus exactement des modes de survie (galère, errance, fugue, drogue, vol…) ?
« Certaines personnes ont rencontré dans leur histoire une catastrophe de ce qui fonde l’humain (inceste, meurtre, torture, déportation…). Elles ont du vivre l’effondrement des lois fondamentales qui ordonnent les rapports entre les hommes et garantissent les bases du langage. Cet effondrement a entraîné une rupture dans la transmission et l’impossibilité d’inscrire ce qui se trouve dès lors condamné à l’errance » [1]
Nous zonons dans des espaces indexés du préfixe « in », dans sa valeur de négation, qui marque l’absence, le contraire : inimaginable, inconcevable, indescriptible, innommable, indicible. C’est la « négativité » que présentent les innocents qui est là, première et nous saisit. Il convient de renoncer à nos repères habituels pour s’avancer vers eux et se laisser enseigner : qu’ils nous apprennent de quelles contrées ils viennent, où ils zonent… Ceci peut être défini comme la position analytique « par excellence » ; mais là les choses sont poussées à l’extrême.
« Peut-il éviter dès lors de projeter des perspectives familières, des habitudes de pensée, des préjugés savants sur l’horizon énigmatique qui se présente à lui (le psychanalyste) ? C’est en fait le souci prévalant qu’il se doit d’avoir mais il lui faut pour cela supporter l’insécurité de la recherche en terre inconnue, se maintenir à la pointe d’une ignorance jamais découragée, et maintenir en outre, tout ce que la rencontre avec un psychotique réclame d’engagement personnel » [2].
Nous pouvons transposer ces réflexions pour penser certaines questions cliniques rencontrées avec les « innocents », ces jeunes qui nous occupent et préoccupent. Quelques lignes plus loin Perrier ajoute : « notre souci sera surtout de ne pas expliquer trop vite ce qui n’est peut-être pas donné à comprendre ».
A propos de « l’intuition clinique » qui fait mot d’ordre de la compréhension, J.Allouch écrit : « Seule la parenthèse comprend, et qui prétend comprendre met ce qui dérange entre parenthèses, se maintient ainsi dans le bien être de l’évidence ».
Ceci est en effet un point délicat : la précipitation à vouloir comprendre, d’autant plus qu’on n’y comprend rien ! Qu’est-ce qu’il veut nous dire ce jeune ? Qu’est-ce qu’il montre ou manifeste par son attitude ? Qu’est-ce qu’il y a derrière cette crise qu’on ne comprend pas ? Comme s’il y avait toujours quelque chose à chercher derrière, comme s’il s’agissait d’un rébus à déchiffrer. Or nous dit encore Perrier, poser les choses ainsi, suppose « la reconnaissance par le malade de nous même comme interlocuteur, voire comme traducteur d’une parole chargée de sens. Méconnaître cette hypothèse se serait éluder qu’à l’origine nous ne sommes peut-être personne pour le fou et que dès lors ce qu’il dit ne nous est pas destiné, et n’a pas à induire une réponse qui n’est pas attendue ou même supposée possible. A l’inverse, partir de cette hypothèse (n’être personne) …c’est ne pas fonder unilatéralement une relation, pour nous interpersonnelle alors qu’on ne sait pas comment elle est vécue par l’autre. C’est garder l’oreille ouverte à tout ce qui peut être découvert d’inconnu et de fondamentalement propre au psychotique, propre à la lexique schizophrénique ».[3]
Comment les jeunes nous calculent-ils ? Peut-on accepter que souvent ils ne le fassent pas et qu’il faudra parfois longtemps et beaucoup d’investissement transférentiel de notre part pour se constituer pour eux comment interlocuteur ou encore comme sujet supposé savoir permettant une parole autre.
Vivre ou survivre donc, quand on a été « massacré », mal-traité, « mal torchonné », tant physiquement que verbalement. « Certaines personnes ayant vécu ce genre de situations (incestes, maltraitances graves) accèdent à une élaboration par fomentations hystériques, ouvrant la possibilité à un travail analytique, entendu classiquement. Mais ce n’est pas le cas de tous. L’invention freudienne a laissé isolé et en suspens le traitement des réalités matérielles qui n’ont pas été intégrées dans des réalités psychiques ». [4] C’est sur cette question que se nouera en 2012 un dialogue et des échanges de travail encore actuels avec des collègues argentins de Cordoba.[5]
Cette distinction, entre « réalité matérielle » et « réalité psychique » pose question et nécessitera d’être reprise : l’une ne va pas sans l’autre. Pourtant elle fonde bon nombre d’organisations institutionnelles (au moins en France) : aux éducateurs, la vie quotidienne, matérielle ; aux psychologues, la vie psychique, l’écoute, l’élaboration… Nous nous intéressons là à ceux qui sont exposés à une situation in-subjectivable, ceux pour qui la pratique du dire ne fonctionne pas ou pas bien. Quand le réel a fait irruption, ou quand, pour reprendre des termes de Françoise Davoine et Gaudillère, il y a « catastrophe du lien social » ou « catastrophe du symbolique ».[6] Il faut aller se balader du côté de la clinique du trauma pour penser un certain nombre de questions et s’approcher de ces zones « in ». Et tenter de penser l’impensable, de dire quelque chose autour de l’indicible, et de créer des espaces, aux confins de l’horreur, au bord du néant. « Nous n’avons pas à faire au refoulement, à l’oubli. Le langage a fait naufrage, la pratique habituelle de l’imaginaire a disparu dans la catastrophe et c’est alors au corps que revient d’accueillir une quête d’adresse et d’un lieu pour s’inscrire… ». [7]
Dans le manuscrit K joint à la lettre 85 du 1er janvier 1896, adressée à Fliess et intitulé « Les névroses de défense », Freud donne l’explication clinique de l’hystérie. Le texte concerne le mécanisme de formation du symptôme à partir « d’affects psychiques normaux » qui, à défaut d’être parvenus à une liquidation, conduisent à un « endommagement permanent du moi ». Dans « L’hérédité et l’étiologie des névroses » article lui aussi de 1896, Freud écrit : « la cause spécifique de l’hystérie est bien un souvenir qui se rapporte à la vie sexuelle, mais qui offre deux caractères de la dernière importance. L’évènement duquel le sujet a gardé le souvenir inconscient est une expérience précoce de rapports sexuels avec irritation véritable des parties génitales, suite d’abus sexuels pratiqués par une autre personne et la période de la vie qui renferme cet évènement funeste est la première jeunesse ». L’invention de la psychanalyse peut donc se lire comme la reconnaissance des abus sexuels sur enfants et l’élaboration des mécanismes développés pour survivre à ce traumatisme. Toutefois un écart est introduit d’entrée de jeu entre l’évènement et ses effets. « Ce ne sont pas les expériences vécues elles-mêmes qui agissent traumatiquement mais leur revivification comme souvenir, après que l’adulte est entré dans la maturité sexuelle ». C’est en tant que souvenir que les représentations sexuelles ont une action de déliaison. Freud introduit là l’idée d’une action non pas directe mais posthume d’un traumatisme sexuel, l’idée de l’après-coup.
Assez vite Freud remet en cause sa théorie de la séduction traumatique et introduit le fantasme dans la formation du symptôme. Dans un premier temps, l’introduction des fantaisies n’invalide pas la théorique traumatique : à côté des scènes qui sont des souvenirs de faits réels, il y a les fantaisies. Les fantaisies ont ici pour Freud deux fonctions :
1) Une fonction de protection : placées devant les scènes comme écran, elles évitent au sujet la confrontation directe avec l’intolérable. Ce sont des arrangements, des déguisements, des embellissements des faits et servent en même temps à l’auto-décharge. 2) Une fonction d’interprétation consistant à créer une histoire sous l’action de la nécessité de comprendre et de donner sens.
Réalité matérielle et réalité psychique marchent encore de paire. Mais dans la lettre 139 du 21 septembre 1897, Freud se décide à « confier le grand secret qui au cours des derniers mois s’est lentement fait jour en moi. Je ne crois plus à ma neurotica ».
Un des points décisifs de ce renoncement est « le constat certain qu’il n’y a pas de signe de réalité dans l’inconscient, de sorte que l’on ne peut différencier la vérité et la fiction investie d’affect ». Du coup c’est cette fiction même qui tient lieu de vérité inconsciente ; « la solution qui restait est que la fantaisie sexuelle s’empare régulièrement du thème des parents » ; une formulation qui indique les futurs développements du fantasme comme œdipien. Même si la réalité matérielle n’est pas déniée, Freud ne soutient plus le fait qu’il y ait un lien de causalité entre elle et la réalité psychique.
Une des questions particulièrement importantes pourtant et qui donne lieu à des réponses ou des pratiques très variées, est celle de savoir si oui ou non, ou jusqu’où devons-nous nous soucier de distinguer phantasme et réalité matérielle. Dans son article « On bat un enfant »[8], Freud s’intéresse au fantasme « être battu par le père ». Jusqu’où un tel texte nous aide-t-il à entendre un enfant qui a été réellement battu ? Qu’advient-il quand le fantasme devient réalité ou quelle est la place du fantasme quand l’enfant est « réellement » battu, maltraité ? Démêler la part du fantasme et celle de la réalité est souvent difficile, voire impossible. Quelle réception accordée au préjudice de l’autre ?
Pour Paul Laurent Assoun se référant à l’œuvre de Goethe, les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister, loin de dénier la réalité du trauma, ni d’en accréditer immédiatement le témoignage, le geste originaire de Freud consiste à engager le patient « à traverser la ligne de position subjective du trauma, pour dégager son au-delà, soit l’espace de la véritable question : que vas-tu faire, toi, de ce qu’on » t’a fait ? … pour ne plus être réduit à ce rôle de « pauvre enfant » auquel, supposant que « l’autre » fut-ce un père t’y a mis, tu t’es identifié pour le pire ? Geste décisif par lequel le créateur de la psychanalyse accepte de se laisser questionner par ce préjudice du sujet, tout en lui demandant des comptes sur sa propre posture ».[9]
Mais à rabattre trop vite les choses du côté du fantasme, ou à poser trop vite la question: « et toi, que vas-tu faire, de ce qu’on t-a fait ? » on risque de redoubler quelque chose du côté de la violence même du trauma à savoir l’extrême solitude, l’abandon émotionnel et le silence venus souvent en seule réponse aux interrogations formulées ou muettes de l’enfant.
Ferenczi[10] a soulevé la question de savoir s’il fallait ou non appliquer une technique différente. Il a senti que dans les cas d’abus sexuels ou physiques importants les interventions analytiques devaient résolument être différentes de la technique standard de son époque. D’abord et surtout l’analyste devait authentiquement être disposé à accueillir et à croire à la véracité du récit du patient. Il ne pouvait se réfugier dans un « c’est peut-être vrai mais c’est peut-être un phantasme » sans « retraumatiser » le patient dont le sens de la réalité a déjà été profondément malmené du fait d’un parent supposé aimant et protecteur, mais en fait violent et agressant l’enfant.
Pour F. Davoine, « l’interprétation référé au fantasme ou à des fragilités psychiques n’est pas pertinente ; il ne s’agit pas pour autant de suppléer au symptôme par la fourniture d’informations »[11]. Maurice Berger parle de la nécessité d’être « témoin impliqué »[12]
La question du traumatisme se complique aujourd’hui par le nouveau statut politico-social qui lui est réservé. Cette notion de traumatisme réélaborée à partir des blessés de guerre (14-18) et des accidents ferroviaires d’abord, a connu une profonde évolution : à la suspicion (quelle est l’authenticité de leurs souffrances, ne cherchent-ils pas seulement des bénéfices secondaires) succède une ère de réhabilitation et avec elle l’émergence d’une nouvelle subjectivité politique : celle de la victime.
Nous vivons une époque de « l’Empire du traumatisme » pour reprendre le titre du livre de Didier Fassin et Richard Rechtmann.[13]Aujourd’hui la notion de traumatisme s’impose comme un lieu commun du monde contemporain, autrement dit comme une vérité partagée. Un accident arrive il y a nécessairement traumatisme, et donc souffrance, quoiqu’en disent les personnes, par définition victimes. Personne ne s’étonne plus de la présence massive des psychologues ou des psychiatres sur les scènes de malheur. Les samus psychologiques se précipitent au devant des « blessés psychiques ».[14] Aujourd’hui la victime est reconnue, le traumatisme revendiqué. Est traumatisée toute personne qui a vécu tel type d’évènement décrété comme grave, quelque soit la façon dont elle le vit. Par définition l’inceste est traumatisant, par définition on ne peut qu’aller mal quand… La question ne se pose même plus. Victime obligée ! Peut-on encore ne pas l’être ? Pour D.Fassin, paradoxalement, alors qu’il s’agit de porter attention aux victimes « le Traumatisme » posé comme tel oblitère les expériences. Il opère comme un écran entre l’évènement et son contexte, d’une part et entre le sujet et le sens qu’il donne à la situation d’autre part. Il faut rentrer dans la peau d’une victime (définie socialement) pour être reconnu. La victime est là mais le sujet passe à la trappe. Autre paradoxe, la prise en compte desdites victimes se fait bien souvent dans des tempos totalement inadaptés au temps psychique. Immédiateté, injonction de parler, de s’exprimer pour éviter que les choses ne se figent et surtout il faut qu’assez vite, voire très vite, ça aille mieux ! (cf le deuil aussi). On arrive à cet extrême déjà évoqué : faire parler pour faire taire au plus vite. Ou faire taire avant que quelque chose n’ait pu se dire. « Parlez ! vous dis-je »
Par ailleurs, la réparation est accolée à la question du traumatisme. Traumatisme=préjudice=coupable=condamnation=réparation. La justice doit passer par là, il faut obtenir réparation, pour pouvoir aller mieux psychiquement de surcroît (« faire son deuil » par ex …). Pour Fassin et Rechtmann « si l’expérience subjective des victimes nous demeure opaque, la reconnaissance qu’on leur accorde publiquement au titre du traumatisme nous donne la clef d’une anthropologie du sujet » [15]. Le traumatisme est l’indicateur des transformations des sensibilités collectives et indique un nouveau rapport au tragique et ce qui est en jeu de l’interprétation du monde et de ses désordres (risque zéro, rien ne doit arriver…).
Pour F. Davoine citant B.Shephard « Les chaînes de télévision ont rapidement vu le potentiel du « trauma » … Le « Trauma » est devenu un des ingrédients de base de la télé réalité quotidienne, la forme la moins chère des distractions… les programmes de debriefing semblent aller davantage dans le sens du besoin collectif qu’a la société de se voir en train d’aider les victimes, que d’atteindre les besoins cliniques des patients eux-mêmes… »[16]
Dans un contexte d’éthos compassionnel, la réparation sert à préserver l’illusion d’une unité collective ; elle console l’ensemble de la société. Or comme nous disait Roland Léthier lors de la première séance, les habités de la rupture soignent la rupture, ne veulent pas de la réparation qu’on leur propose et mettent tout en échec. Victimes indisciplinées, récalcitrantes.
Pour Roland : « La réparation est l’erreur politique qui a conduit les services sociaux à proposer des solutions de remplacement à la rupture d’avec le milieu familial et scolaire. Ces solutions de remplacement sont calquées sur le modèle du milieu qui n’a pas contenu ses membres. Les foyers et les familles d’accueil restent des modèles conformes avec les lieux qui ont été discrédités par la rupture : la famille et l’école. Ces solutions réparatrices effacent, dénient la rupture. Respecter la rupture est une pratique de l’inhabitable. Pratiquer l’inhabitable est un exercice obligatoirement collectif, car pratiquer l’inhabitable en solitaire est mortel. Ce nouveau collectif habilité à occuper l’inhabitable est proche de ce que Georges Bataille a appelé « la communauté négative : la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté » Pratiquer l’inhabitable consiste à développer un bouillon de culture dans la communauté négative. La création d’un marais nauséabond et en même temps étrangement accueillant dans lequel les germes peuvent commencer à se développer ».[17]
La victimologie essaye à tout prix de réintégrer un corps abîmé dans une dialectique de réparation physique, psychique, économique, par horreur de ce possible abord d’un corps non inscrit. Comme si la réparation, souvent pensée comme compensation, substitution, mettait de côté la question de la perte sèche telle que J. Allouch l’a développée dans son livre : « Erotique du deuil au temps de la mort sèche ».[18]
Leçons du Front
pour reprendre un mot de F.Davoine
Il sera question dans cette partie de corps : A l’Ecoute du Corps, au ras du corps.
Dans un article intitulé : « De quoi suis-je fait ? »[19]Jean Allouch écrit : « De quoi suis-je fait ? Les réponses n’ont pas manqué, depuis la nuit des temps, à commencer par celle-ci : d’une glaise, divinement façonnée. D’atomes, disait-on ailleurs. Ou, pour aller encore dans d’autres contrées, d’illusions. Mais une réponse aujourd’hui domine les esprits, tout au moins en Occident : je suis fait de deux substances, l’une, l’étendue, l’autre pensante ; autrement dit de corps et d’âme. Oui, il se pourrait que l’âme n’ait plus tant bonne presse. Ce n’est pas grave, appelons-la « psychisme », le tour sera joué, rejoué, et le dualisme sauvé. Qu’est-ce donc, quelle est cette force qui paraît rendre le dualisme si insubmersible (cf. l’actuel succès de tout ce qui est « psy », au point qu’il faille, dit-on, le réglementer) ? »
Mais lors d’une conférence du 8 juillet 1953, Lacan met fin discrètement au dualisme cartésien. Il donne vie à son ternaire : l’imaginaire, le réel et le symbolique : « je ne suis plus corps et âme (psychisme), je suis fait d’images, de mots et d’irréductibles achoppements ».
Dans un article sur le corps[20], Louis de la Robertie retrace la place du corps cher Lacan. « C’est le décryptage et le déchiffrage des symptômes hystériques, le caractère traumatique de la sexualité qui menèrent Freud à poser l’inconscient. Certes ce qui est de l’ordre de l’inconscient n’est pas de l’ordre du corps, pourtant il semble bien que l’inconscient ne soit pas sans rapport au corps. Il n’en reste pas moins que le problème du corps est une question difficile… Dans le milieu analytique le corps n’a pas bonne presse. Il y a 20 ans, s’intéresser au corps c’était le signe que l’on n’était sans doute pas analyste… Aujourd’hui si on ne dit plus cela, on s’intéresse pourtant à autre chose… mais nous pouvons toutefois reconnaître que tel groupe par exemple s‘intéresse à la psychosomatique… « Pourtant (poursuit l’auteur (qui semble avoir été élève de Lacan)) nous ne pouvons que dire : on ne reconnaît pas au corps la place que lui a donnée Lacan ». Et de recenser dans l’œuvre de Lacan les occurrences où il parle du corps et l’évolution de la place qu’il lui donne. Si Lacan n’a pas fait de théorie du corps, son travail ne se déroule « pas sans » le corps.
Je reprends quelques points.
Dans « Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien », on trouve : « la psychanalyse implique bien entendu le réel du corps et de l’imaginaire de son schéma mental ».
Séminaire 1, « les Ecrits Techniques de Freud », « Nous sommes amenés par la découverte freudienne à écouter dans le discours cette parole qui se manifeste à travers, ou malgré, le sujet. Cette parole, il nous le dit, non seulement par le verbe, mais par toutes ses autres manifestations. Par son corps même, le sujet émet une parole, qui aussi est, comme telle, parole de vérité, une parole qu’il ne sait pas même qu’il émet comme signifiante. C’est qu’il dit toujours plus… qu’il ne sait en dire ».
Très schématiquement, dans une première période : le rapport de l’homme à son corps par l’image spéculaire ; l’image du corps vient en quelque sorte tout dominer. Son importance vient de ce que « c’est l’image du corps qui donne au sujet la première forme qui lui permette de situer ce qui est du moi et ce qui ne l’ai pas (il est homme et non pas cheval) »[21] Dans sa conférence sur RSI en juillet 1953, puis dans le discours de Rome : « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse » il pose clairement le lien entre parole-langage et corps. « (…) le langage n’est pas immatériel. Il est corps subtil mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captent le sujet ; ils peuvent engrosser l’hystérique, s’identifier à l’objet du pénis-neid (…) » Le langage est corps et de plus il donne corps : « le corps du symbolique, corps incorporel qui en s’incorporant vous donne un corps » (Radiophonie 1970). C’est d’être dit qui constitue un corps. A partir de 64, Lacan met de côté le primat du signifiant : la parole ne peut-être à elle seule fondement. Et il situe le lieu de l’Autre dans le corps. En 1975 dans son séminaire RSI, il donne au corps trois dimensions : nous sommes amenés à placer le corps au nouage du symbolique, de l’imaginaire, et du réel.
Ceci nous introduit au nœud borroméen dont Roland nous parlera plus, la prochaine fois et que nous fabriquerons et triturerons ensemble pour voir, quand ça ne tient pas, comment on peut faire œuvre, non de réparation mais de « restauration ». Nous voyons bien là comme Lacan est sorti de la problématique corps-âme en instaurant le corps dans le langage : le corps est pris dans la triade corps-langage-désir. Donc pas de psychanalyse sans corps.
Quelques remarques en vrac et brefs questionnements « sociologiques ».
- Vidéo sur la danse (si on la retrouve !) Quand les corps ne sont plus tenus ensemble (danses à 2) …
- Place du corps et du toucher dans nos sociétés. Corps immatériels qu’on ne doit plus toucher. Fantasme : pub sous- vêtements partout, mais une gifle = maltraitance ; prendre un enfant sur des genoux = risque d’être accusé de pédophilie. Le toucher est dangereux, l’autre est une menace.
- Parole et rapport à l’autre culturellement fragilisés ou très nettement modifiés. Les corps ne tiennent plus dans leur rapport à l’autre. A la fois, dématérialisation des relations (téléphonie, numérique, relations virtuelles…) et matérialisation des signes, marquage : zones de discrétion : marquage au sol, ticket « boucherie » partout… Comme s’il fallait une règle pour prendre en compte l’existence de l’autre.
- Violence là où ça ne s’écrit pas, là où on reste du côté du signe. Violence quand les pratiques culturelles désertent le social.
- Présence des absents : cf le téléphone : les « absents » sont plus présents que les présents….
- Dans ce contexte où on ne parle plus, mais communique, où la question des corps en présence se transforme, où le toucher est mis en cause, la violence ramène le corps, éventuellement à l’état brut.
« Tu m’cherches ! »
Relevons le gant ; allons au contact, cherchons à l’établir et entrons dans la proximité du combat et du risque ! Attardons-nous donc dans ces zones « in » ; installons-nous un peu dans ce négatif. S’installer, s’attarder me semble de plus en plus une nécessité là ou tout est fait pour occulter ce qui a bien pu se passer et où les pratiques « psycho-sociales » exigent que ça se dise et « se répare » vite. S’installer donc, y rester, avec l’autre pour autant qu’il puisse supporter une présence et accepter de recueillir en soi des fragments de ce négatif. Etre ensemble, être avec, en corps et encore. Ne pas abandonner (l’autre) et ne pas, par là même, répéter cette violence du silence qui le plus souvent a accompagné les coups ou les abus, laissant l’enfant dans une incompréhension radicale, incertain de ce qui s’est passé, de ce qu’il a ressenti, au bord de la folie parfois. S’installer, supporter d’y rester, en corps, c’est une façon d’authentifier ce qui a bien pu se passer. Etre témoin d’une certaine façon (même si on n’y était pas) avant que d’être un éventuel passeur. Témoin de ce qui ne peut-être dit mais de ce qui en même temps ne peut-être tu. Et qui passe par le corps. Témoin de ce que montre une mémoire chevillée au corps mais qui n’est pas symbolisable parce que n’étant pas advenu comme souvenir, n’étant pas inscrit dans une histoire. Une façon peut-être de permettre une première inscription, de fabriquer un corps sur lequel pourra prendre appui puis se nouer une parole.
Convoquer trop vite du côté de la parole se heurte le plus souvent à un impossible.
D’abord à la question « qu’est-ce qui s’est passé ? » :
1) on se retrouve face à un mur. Pas nécessairement par opposition ou par refus de parler. Mais parce que parfois « il ne s’est rien passé » pour le jeune interpellé. Ou parce qu’il n’y a pas de mots pour le dire, ni même de souvenir ou de représentation ; c’est l’absence de liens repérables avec quoique ce soit de significatif : pas d’associations et si, énonciation de faits, pas ou peu d’affects exprimés ; mais des signes corporels parfois : le corps qui pâlit, ou tremble…Comme si les mots étaient coupés du corps. « Quand des enfants ont été confrontés à une très grande violence ils n’ont pas la capacité d’appréhender une vision d’ensemble de ce qui leur arrive ; ils se trouvent propulsés hors des mots, c’est-à-dire hors de la relation et se trouvent en prise directe avec leurs corps, avec des sensations inqualifiables, intolérables, décousus hors du sens. Et de ça ils ne peuvent rien faire. Ne reste que l’absence »[22]
2) ou, si réponse : ce qu’on reçoit bien souvent est un « je ne sais pas -Je ne saiT pas » et ils ont bien raison de dire ça. Ça s’est passé et ils n’y comprennent rien à ce qui leur est arrivé ou leur arrive, quand ils explosent par exemple. La violence fait obstacle à la pensée. (Ceux qui l’agissent sont le plus souvent dans une simplification abusive : ami/ennemi ; bon/méchant pour/contre…dualisme meurtrier ; ceux qui la subissent n’arrivent pas à relier les différents éléments de ce qui se passe, ils sont aussi fragmentés ; ceux qui regardent sont dans la jouissance : dégoût/fascination, ils s’indignent peut-être mais ne pensent pas).
3) Vouloir les attirer trop vite du côté de la parole c’est une façon aussi de se protéger, soi, et d’édulcorer, me semble-t-il, quelque chose du côté de la violence.
Je vous propose donc de rester « au ras du corps », parce que louper ce qu’il y a à entendre au ras du corps c’est prendre le risque de laisser l’autre totalement en panne. La violence à quelque chose de très physique. La violence c’est « l’homme » dans ce qu’il a de plus archaïque, de plus profond, de plus imprévisible. La violence, physique, verbale ou autre, subie ou agie, ça s’éprouve, on la sent, ressent, c’est quasi palpable, même voire surtout quand on se contient. Corps éprouvés, sans image, sans représentations, sans affects parfois. Corps ravagés déchaînés, affolés … « Dans ces zones de catastrophe, le corps est le lieu par où passe la trace empêchée de ce qui erre en attente de s’inscrire ».[23]
La violence ça explose, ça déchaîne, ça morcelle, ça diffracte, ça fait voler en éclat. Les expressions employées : « j’te crève », « j’m’en bats les couilles », « va’ t’faire foutre », « ça m’troue le cul » … sont exemplaires de la violence destructrice qui atteint le corps propre et toute relation socialisée. Parfois, quand même, ça rassemble et ça apaise, ça donne pour un instant une image du corps unifié.
Les réflexions qui vont suivre s’originent dans une cohabitation et un questionnement très ancien avec et sur la violence ; à partir de ma rencontre aussi avec cette pratique bizarre – pas très catholique ou orthodoxe – peu appréciée de nombreux collègues psy, qu’est la psychoboxe. Rencontre faite il y a bientôt 20 ans et depuis régulièrement pratiquée, tant d’abord pour mon propre compte, qu’ensuite dans l’accompagnement d’autres, aux prises avec la violence. Ce que m’a permis et appris la psychoboxe c’est de faire un peu autrement avec la violence qui violente avant tout l’individu qui l’héberge (de gré ou de force), qui en est « possédé » ou traversé et d’entendre un peu plus, ou du moins autrement, ce qui se joue pour ceux qui viennent essayer de s’en dégager quelque peu. Ce que m’a appris la psychoboxe ce n’est pas seulement la pratique en elle-même, mais ce qu’elle a mis en mouvement chez moi et l’importance d’une écoute « En-Corps ». Ecoute en corps, écoute du corps, façon d’être là dans une certaine « épaisseur », « consistance », indiquant une présence à l’autre qui serait disponible à recevoir, ces fragments de corps, d’affects qui errent sans pouvoir trouver où se poser, s’arrimer.
Où s’Ancrer, comment s’Encrer ?
De la boxe à la danse puis à la peinture …comment donner du corps aux mots, les corporiser, et familiariser le corps avec les mots, là où tout est délié. La psychoboxe est une pratique qui vise l’accueil des sujets encombrés, débordés, écrasées par les effets de violence. En délicatesse avec la violence. La violence est à accueillir de façon bienveillante me semble – t-il, dans une certaine matérialité si besoin, pour avoir des chances, peut-être, d’être transformée ou du moins qu’elle puisse lâcher un peu de sa pression. Accueillir la violence, c’est la reconnaître, c’est lui donner droit de cité, c’est ne pas la juger (ce n’est ni bien ni mal) et surtout c’est ne pas vouloir la faire disparaître trop vite. C’est essayer d’entendre, de quoi elle parle, ou qu’est-ce qui a été malmené, violenté chez celui qui l’agit pour qu’il réagisse ainsi. Et peut-être transformer quelque chose qui serait du côté de passage à l’acte, en acting in dans le transfert. Puis la faire passer, là encore, peut-être, par petites touches dans la parole. Elle est peut-être « hors sujet », et passe alors intacte par le corps, mais jamais hors propos ; elle vient toujours à poings nommés ![24]
Les séances de psychoboxe commencent – surtout chez les jeunes – très fréquemment par un « j’ai pas d’raison de vous taper, quand j’tape y’a toujours une raison ».
Accueillir la violence de l’autre c’est – autre condition préalable- ne pas en avoir peur, ne pas en être inquiété ; c’est laisser entendre que l’on supporte que l’autre puisse en déposer un petit peu et qu’en face, ça tient ; on peut se relever d’un débordement, on ne va pas mourir. La panique est parfois telle pour celui confronté à la violence (la sienne ou celle d’un autre, présente ou passée) que si en face l’intervenant panique avec ou se sent écrasé, c’est foutu. Car ce dont nous parle beaucoup de personnes, c’est que pour eux il s’agit de vie ou de mort, de relation duelle- tuer en premier pour ne pas être tué – mais pas du côté du fantasme seulement ; ça c’est jouer pour eux quasiment en ces termes dans la réalité. Ce sont des survivants ! Ils sont aguets, les sens en éveil, toujours sur le qui-vive, à l’affût de tout danger possible ; baisser la garde est dangereux. Il convient alors d’entrer dans la proximité du combat et du risque, d’accepter un dénuement partagé.
Pour F. Davoine, « La proximité correspond d’abord à la constitution d’un espace de sécurité près du front, où il est possible de se restaurer physiquement et psychiquement, tout en faisant l’expérience d’une parole possible dans la proximité du Réel ». « Il s’agit de se retrouver sur le même front, et non de part et d’autre d’une ligne de démarcation, de discrimination »[25] Ce dont je parle c’est d’une écoute au ras du corps, d’un corps désarrimé. « Le sujet est aux prises avec des morceaux éparpillés, des images, des flashes, des fragments moteurs ou sensoriels décousus, aucune de ces perceptions ne pouvant s’inscrire dans une relation, donc dans le temps. Et ce quelle que soit l’information objective donnée par ailleurs sur les évènements du passé. Vécu de corps éclaté, morcelé, béance entre les affects, fragments de ressenti inaccessible à quelque lien que ce soit qui obligent à créer de nouveaux espaces, aux confins de l’horreur, au bord du néant, afin de remettre le temps en marche. (…) Ce qui est inaudible ce n’est pas (nécessairement) l’évènement traumatique en lui-même, parfois présent, intact et même déclaré, mais ce qui permettrait de le relier à la vie et de l’inscrire dans une histoire ».[26]
C’est à une coupure radicale, à un défaut de maillage que nous avons à faire. Non pas dû seulement à la question du Réel en tant qu’il n’y a pas d’univers du discours ni de signifiant premier, mais au fait qu’une part enclavée, enkystée, ni altérée par le temps, ni travaillée par le langage, non transformée par le refoulement, inaccessible à l’oubli, est là en errance. Là où le langage n’est plus un outil opérant, dans ces temps et zones éloignés des considérations du discours de Rome (1954)[27] Il s’agit de « donner forme, souffle et corps, à ce qui ne génère que déliaison et glaciation ».[28]
Accueillir la violence, lui donner hospitalité c’est déjà indiquer à celui qui vient à nous que ce qui se manifeste, se dit ou se donne à voir, là, dans ces agissements, a notre respect.
La psychoboxe : une chimère entre boxe et psychanalyse
La boxe porte en elle un fragment de violence originaire qui n’a été ni séparé, ni transformé. La boxe (anglaise) est une invitation à se tenir debout face à un autre, dans un rapport d’opposition, de conflictualité. Mais en psychoboxe, d’emblée le cadre est transformé : pas de ring, pas de match où le plus fort gagnerait. Nous ne sommes pas là pour nous défouler, pour vider notre sac…et surtout pas là pour apprendre à nous contenir. Contenir, gérer ses émotions, ses pulsions : la psychoboxe se doit de tenir éloignée de ces injonctions sociales et morales, même si certains de ses effets peuvent aller dans ce sens, mais de surcroit.
Psychanalyse (en extension).
Une visée : ramener la violence du côté de la parole. Que l’agir se transforme en acting in transfert. Par le dispositif, dégager une ouverture aux affects, aux représentations, à la parole et tenter de relier ces différents éléments pour sortir de l’éclatement, du morcellement. Faire passer la violence d’un trop d’excitation à décharger, à une parole à entendre. Passer du signe (ce qui est montré) au signifiant. La psychoboxe est une opération de transcription : faire passer du hors langage dans le langage, donc affaire d’écriture. Le psychanalyste est engagé en corps et de par l’engagement du corps en mouvement dans la séance, ses modalités d’interventions sont différentes qu’habituellement.
Dispositif : Mode de présence qui s’appuie sur le corps : distance, regard, gestes, avant qu’une parole ne surgisse. Travail spatial qui interroge la distance à l’autre, les déplacements, pouvoir dire stop… partir/ revenir… –
Visée : A partir d’une violence vécue, subie ou agie, mise en jeu du corps dans un combat, « encadré » par des temps de parole, dans un cadre transférentiel dont la visée -à travers l’écoute et la lecture des mouvements du corps – est une tentative de nouer ou renouer affects, représentations, mouvements du corps, parole, là où tout est délié. (cf nœud borroméen)
3 personnes minimum :
– Le « psychoboxant », qui vient mettre en question une de ses difficultés ;
– Le psychoboxeur choisi par le psychoboxant pour enfiler les gants et combattre ; il « boxera » non pas contre mais pour l’autre, à l’écoute de ce qui émerge dans le combat ;
– Le 2ème psychoboxeur qui va prendre soin du psychoboxant : veiller sur lui et sur le cadre ; observateur et témoin à la fois. Il a un regard extérieur ; miroir, il renvoie une image. La fonction essentielle d’une image d’après Lacan, est une fonction d’in-formation, au sens littéral, c’est-à-dire au sens de « donner forme à quelque chose », l’image est une forme qui in-forme le sujet… Importance de nommer (sans interpréter) ce que l’on perçoit de l’autre ; effet de transformation sur l’image du corps.
Frappe atténuée :
Combat d’1mn 30, à frappe atténuée : (différent de défoulement, de l’évacuation cathartique, de la canalisation…). D’emblée nous convoquons une autre scène. C’est aussi dans le renoncement de l’acte que peut s’ouvrir un temps d’élaboration, que s’ouvre un espace de pensée permettant plus de choix quant aux décisions que peut prendre le sujet. La frappe atténuée, permet d’explorer des zones entre tuer ou être tué, c’est-à-dire permet de sortir du duel et d’entrée dans une certaine dialectique, autre que le tout ou rien.
La quasi-simultanéité d’une expression -en corps -de la violence (revivre les tensions, les sensations) et de la parole, a un effet de liaison et donc écriture possible. Montée d’affects, de souvenirs (mais pas recherchée à tout prix). Nommer, authentifier les sensations corporelles. Il s’agit presque de tenter de dire les perceptions qui surgissent à l’état brut, sans support d’objets, isolées, éparpillées, réveillées par une impression. Laisser circuler ces fragments de corps, d’affects, les prendre en soi. Laisser l’autre moins seul avec le « monstrueux » en lui. Explorer la possibilité d’être débordé et d’en revenir… Accepter la maîtrise et la perte de maîtrise, la force et la faiblesse, et pouvoir passer de l’un à l’autre. Pour ce faire il faut que « ça tienne » en face.
Travail de nomination, couper dans l’innommable, donner corps. « Fragmenter l’énorme caillou, en petits cailloux ».[29] Nommer pour mettre à distance, différencier : le mot/le meurtre de la chose. Souvent quand « ça explose », c’est parce que ça colle ; le corps essaie de remettre alors de la distance, et par un cri d’accoucher d’une parole. Dynamique du corps en mouvement. Les façons de combattre sont le reflet de « l’état de la vie psychique » du moment. Effets de transformation du psychique par les combats dans ce cadre transférentiel et en retour, modification de la façon de combattre. Autre façon d’être témoin de l’articulation corps/ psychisme. Découvrir sans technique, la possibilité de faire autrement, de créer, de passer à autre chose…Ouvrir des possibles.
Pour certains, la psychoboxe peut-être trop violente car trop directe, soulignant trop ce qui est arrivé et qui tente d’être mis de côté- sans succès. Jeunes à fleur de peau, voire écorchés vifs qui ne veulent surtout pas que l’on s’approche de cette zone de catastrophe. Cette image d’écorché vif m’est venue alors que je recevais un enfant de 11 ans dans le cadre de la psychoboxe, où plutôt alors que je tentais de lui proposer une autre modalité de rencontre car la psychoboxe était pour lui beaucoup trop directe, frontale, violente. Il m’imposait un déplacement, un renoncement, pour essayer de le rejoindre encore autrement. Tout mouvement, tout mot, toute parole était de trop, quand il percevait qu’on risquait de s’approcher de cette aire de catastrophe. Et l’image d’un grand brûlé ou d’un grand blessé m’est venue… « Comment les approche-t-on, les touche-t-on, pour les soigner, greffer une nouvelle peau, éviter la gangrène ? »[30]
Comment penser/panser la brûlure du Réel ?
Dans un livre « l’Ecriture ou la vie », Jorge Semprun, rescapé de Buchenwald écrit : « Grâce à Lorène, j’étais revenu dans la vie. C’est-à-dire dans l’oubli : la vie était à ce prix. Oubli délibéré, systématique de l’expérience du camp. Oubli de l’écriture aussi. Il n’était pas question, en effet, d’écrire quoique ce fût d’autre. Il aurait été dérisoire, peut-être même ignoble, d’écrire n’importe quoi en contournant cette expérience. Il me fallait choisir entre l’écriture et la vie, j’avais choisi celle-ci. J’avais choisi une longue cure d’aphasie, d’amnésie délibérée, pour survivre ».[31]
Et quand l’oubli n’est pas possible, il faut revoiler plutôt que dévoiler. « Dans l’aire des catastrophes, la constitution d’un récit ne me parait pas tant avoir pour projet de retrouver la mémoire des faits, que de pouvoir oublier le trauma, ou plutôt qu’il se laisse un peu oublier… »[32]« (…) il va falloir tenter de revoiler. Ou plus exactement, nous allons devoir tisser un voile (…) »[33]
Ne pas s’approcher – trop, trop vite – des zones de catastrophe, respecter les voies singulières de chacun pour survivre, mais ne pas les abandonner en attendant la demande !! Être là, en corps, témoin – t’es moins – dans une présence ténue, dénudée de tout savoir. Mais y être. Et inventer d’autres propositions, tendre d’autres fils, fabriquer des bribes de relation, quand même, qui laissent des traces…
[2] François Perrier, Fondements théoriques d’une psychothérapie de la schizophrénie, La Chaussée d’Antin, Albin Michel, 1994
[3] François Perrier, op cité
[4] Roland Léthier
Voir aussi sur cette question Sandor Ferenczi, le Traumatisme, ed Payot et Rivage p 19-20
[5] A lire sur ce site
[6] Françoise Davoine et JM Gaudillière, Histoire et Trauma ;la folie des guerres, Stock, 2006
[7] Christine Loisel, op cité
[8] Sigmund Freud, On bat un enfant (1919), Névroses, Psychoses et Perversion, PUF, 1973
[9] Paul-Laurent Assoun, Le Préjudice et l’Idéal, Anthropos, 1999
[10] Pour approfondir ce point lire Sandor Ferenczi, Le Traumatisme, Payot et Rivages, 2006
[11] F.Davoine, op cité
[12] Maurice Berger, Voulons-nous des enfants barbares ? Prévenir et traiter la violence extrême, Dunod 2008,
[13] Didier Fassin et Richard Rechtmann, l’Empire du traumatisme, Flammarion, 2007
[14] Jacques Gaillard, Des psychologues sont sur place, Mille et une nuits, 2003
[15] Didier Fassin, op cité
[16] Françoise Davoine, op cité
[17] Roland Léthier, Quelles Ruptures ? novembre 2007, texte inédit à lire sur ce site
[18] J. Allouch, Erotique du deuil au temps de la mort sèche, Epel 1995
[19] Acheronta 21 – De quoi suis-je fait ? À propos de la parution Des noms-du-père de Jacques Lacan – Jean Allouch (lutecium.fr)
[20] Louis de la Robertie, Corps, Littoral n° 27/28- 1989
[21] J.Lacan, Ecrits techniques
[22] C.Loisel, op cité
[23] Voir le livre de Richard Hellbrunn, inventeur de la psychoboxe : A poings nommés, Erès 2003
[24] Richard Hellbrunn, op cité
[25] Françoise Davoine, op cité
[26] C.Loisel, op cité
[27] J.Lacan : Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse (1953), in Les Ecrits, le Seuil 1966
[28] C.Loisel, op cité
[29] C. Loisel, op cité
[30] M. Berger : Voulons–nous des enfants barbares ? op cité et Soigner les enfants violents, Dunod, 2012
[31] J.Semprun, l’Ecriture ou la vie, Gallimard 1994
[32] C.Loisel, op cité
[33] C.Loisel, op cité