Ce séminaire a trouvé son origine dans un questionnement de longue date relatif à la violence, violences individuelles subies ou agies, violences institutionnelles. Je vous propose quelques prolongements ou remarques supplémentaires à ce qui s’est déjà dit les séances précédentes. « La violence met au travail toute culture, autrement dit provoque toute culture à sa propre énonciation dans le travail d’élaboration » écrit Patrick Baudry.[1]
DSM-5 : un diagnostic nouveau est arrivé : les TDDD ! TDDD : Temper Dysregulation Disorder with Dysphoria autrement dit : Troubles de dysrégulation de la colère avec dysphorie, visant les enfants excessivement colériques. Plus précisément, pourraient être qualifiés de TDDD, les enfants de 6 à 10 ans sujets à des déchaînements de colère exprimée physiquement ou oralement, ou débouchant sur l’agressivité physique à l’égard de personnes ou de biens, tout cela au moins trois fois par semaine, dans des situations qui ne semblent pas le justifier. La colère donc se pathologise. Mécontents expressifs s’abstenir ! Le discours contemporain ne cesse de scander son aspiration au « tout positif ». « Si nous sommes souvent mal à l’aise avec nos affrontements quotidiens… c’est que nous agissons comme s’ils ne devaient pas exister, tant nous fonctionnons avec les catégories de l’harmonie (harmonie du couple, harmonie intérieure) …C’est là un symptôme de la société disciplinaire enkystée en nous-mêmes, qui nous rend incapables d’assumer cette réalité autrement que comme un accident regrettable »[2]. Comme si l’élimination du négatif était enfin accessible, qu’il n’y avait plus que d’ultimes verrous à faire sauter pour l’expulser de l’Histoire à jamais. Nous assistons à un enfouissement massif contemporain du négatif et de tout jeu oppositionnel. Pourtant la démocratie dans son principe grec, repose sur la possibilité d’un affrontement, affrontement des discours, logos contre logos (les antilogies), que ce soit au tribunal, au conseil, à l’assemblée et même au théâtre… Pour François Jullien, « c’est dans la capacité à gérer du négatif sans l’aseptiser, ou plutôt, – ce gérer étant par trop managérial-, à le faire « lever », à le rendre productif au lieu de le désamorcer, que je vois se renouveler la vocation de l’intellectuel à l’heure de la mondialisation »[3].
Dans l’Eloge du conflit, Miguel Benasayag parle des effets ravageurs du fantasme de paix définitive dont le corollaire, pour y parvenir serait la guerre totale, l’éradication de l’adversaire. « L’inflation des guerres barbares serait précisément un fruit de l’idéologie pacifiste (…) c’est quand le but de la guerre n’est pas la paix perpétuelle que la guerre n’est pas barbare. »[4] Une telle conception de la guerre est tout à fait étrangère à l’Antiquité (à la Chine aussi comme nous l’avons vu dans l’Art de la Guerre de Sun Tsé). Chez les Grecs, la valeur guerrière n’est pas l’apanage des seuls soldats, mais est déployée dans l’ensemble du tissu social. Son principe est d’ailleurs considéré comme divin, c’est Eris, la déesse de la discorde. La discorde est conçue comme une réalité irréductible, impliquant des rites qui posent les limites de ce qu’il est permis ou défendu. Ces règles entraînent une autorégulation de la violence dont un des principes est qu’aucun camp ne doit définitivement l’emporter ; c’est pourquoi la disparition de l’ennemi ne peut-être la règle. Pour ce faire il faut que l’ennemi ne soit pas perçu comme non-humain. (Ce qui pose à mon sens la question de certains diagnostics psychiatriques ou jugements sociaux posés sur certains jeunes ou moins jeunes qui les condamnent définitivement : irrécupérables ! psychopathe à vie dès 10 ans : cf fait divers Angleterre).
Pour que la guerre ne soit pas totale, il faut renoncer à l’idée d’une éradication qui règlerait définitivement le problème, et réintégrer dans nos schémas de pensées ce qu’on croyait pouvoir éliminer. « L’autorégulation de la guerre est possible quand elle ne relève pas de l’affrontement entre humains et adversaires perçus comme non humains, mais d’un conflit, nécessairement complexe et multiple. »[5] « Loin d’être pacifiée, les sociétés contemporaines qui nient ou refoulent le conflit sont lourdes d’une violence – froide ou chaude – extrême et sans limites. »[6] « On voit que le problème de notre société, ce n’est pas « la » violence, mais sa dénégation. C’est dans la mesure où on se met en tête que la violence ne devrait pas exister, que les sociétés, devraient être pacifiques et que les gens dans leur majorité, sauf quelques exceptions peut-être, ont les meilleures intentions, qu’on tient hors de soi ce qui ne tarde pas, faute de soutènement, à traverser l’ensemble des relations. Autrement dit « la » violence est d’autant plus présente dans notre société que celle-ci fait comme si elle ne devrait pas être là, c’est-à-dire comme si le social devait se borner à l’entre soi, à la bonne gestion relationnelle, aux discussions entre amis… »[7]
Réintégrer, repenser à nouveaux frais la conflictualité, la discorde, l’agressivité, la violence et maintenant la colère, le mécontentement… Travail à faire d’autant plus rapidement que l’autorégulation fonctionne de moins en moins bien, tant individuellement qu’institutionnellement. Et ce n’est pas l’inflation des règles interdictrices qui pallie à l’affaire : rabattre la question de l’interdit au rang des interdictions n’arrange rien, bien au contraire ; dans ce domaine aussi l’excès nuit, si ce n’est à la santé, à la pensée. (Cf : les Maisons Vertes de Dolto qui fonctionnaient (au moins au début, aujourd’hui je ne sais pas, avec 3 règles) alors que tous les lieux d’accueil parents- enfants qui se sont développés par la suite en ont multiplié le nombre de façon massive).
Réintégrer la conflictualité, la rivalité, l’agressivité, la violence, c’est repenser aussi à nouveaux frais le social contemporain, l’articulation de l’individuel et du collectif. C’est penser la différence ou mieux, l’altérité. « On croit souvent que c’est l’excès de différences qui provoque l’opposition. Alors que – c’est à l’inverse le manque de différentiation (R. Girard) qui produit les antagonismes les plus destructeurs »[8]« Le déni de la violence engendre la violence de la pacification et de l’homogénéisation…. La violence vient là faire obstacle à la société – Une, et au fantasme de maîtrise ».[9]
Repenser le social contemporain et l’articulation de l’individuel et du social dans le cadre moderne liquide, c’est, avec Zygmunt Bauman,[10] réinterroger l’Avenir d’une illusion et Malaise dans la civilisation, textes dans lesquels Freud attribue à la suppression coercitive des pulsions, le statut générique de traits nécessaires et inévitables de toute civilisation : la civilisation « en tant que telle ». Comme si le modèle freudien de civilisation était intemporel, anhistorique. Baumann développe les thèses de Norbert Elias qui se propose de rendre de l’historicité aux conceptions freudiennes et s’interroge sur leur validité à l’ère de la société non plus de producteurs mais de consommateurs. « Le secret de tout système durable (c’est-à-dire qui réussit son autoreproduction) consiste à transférer ses « conditions nécessaires fonctionnelles » aux motivations comportementales des acteurs. Autrement dit le secret de toute « socialisation » réussie consiste à faire en sorte que les individus souhaitent faire ce qu’il faut faire pour permettre au système de se reproduire. »[11] Dans la phase solide de la modernité (Bauman), dans la société des producteurs, la dévaluation de l’instant présent, de la satisfaction immédiate et plus généralement de la jouissance était nécessaire. « Du même coup, il fallait également introniser le précepte de la satisfaction retardée – à savoir le sacrifice des récompenses présentes spécifiques au nom de bénéfices futures imprécis, ainsi que le sacrifice des récompenses individuelles au bénéfice du « tout » ; précepte qui devait assurer en temps voulu une vie meilleure à tous. Opération extrêmement coûteuse et oppressive puisqu’elle va à l’encontre des inclinations humaines « naturelles » (…) Freud fut l’un des premiers penseurs à le remarquer (…) mais il fut incapable de concevoir une alternative à la suppression coercitive des instincts, dont il fait un trait nécessaire à la « civilisation en tant que telle ».»[12] Ceci, indépendamment de toute historicité et contextualisation. Abandonner ces références est interprété comme accepter ou entrer dans un processus « dé-civilisateur ». Or ce qui se produit avec l’émergence de la société de consommation et le passage du monde-solide au monde-liquide « c’est l’apparition d’une méthode alternative de civilisation (dont l’objectif est la reproduction du système), une autre façon de manipuler les probabilités comportementales nécessaires au soutien du système de domination présenté comme ordre social. Une nouvelle variété de « processus civilisateur » apparemment plus pratique fut découverte et mise en place. Cette nouvelle variété de processus civilisateur ne provoque pour ainsi dire aucun dissentiment, aucune résistance. Et ce parce qu’elle présente l’obligation de choisir comme une liberté de choix. Ce faisant, elle passe outre l’opposition entre principe de plaisir et principe de réalité. La soumission envers les exigences strictes de la réalité peut être vécue comme un exercice de liberté, voire comme une affirmation de soi. »[13] Bon je m’arrête là sur ce point mais laisse ouverte la question des nouvelles modalités de socialisation et de subjectivation. Mais aussi ce que ces changements entrainent comme conséquences sur les questions « d’éducation ». Ce qui me paraît intéressant dans les positions –dérangeantes- de Baumann, c’est qu’il invite à penser pour aujourd’hui et pour demain, et non à nous retourner en arrière dans une complainte du « tout fout le camp ». Penser la civilisation d’aujourd’hui autrement que nécessairement comme un processus de « dé-civilisation ». Et poser la question du Politique, au 21ème siècle : quelle vie sociale, quel Commun, à l’ère de la mondialisation ?
Dans un contexte inflationniste quant à l’usage du terme « violence », là où le négatif n’a plus d’espace pour se déployer, où la conflictualité n’est plus portée, mais rabattue à de l’affrontement, au duel, nous avons choisi d’accuser réception des questions que soulève pour nous la violence destructrice de jeunes qui fait voler en éclats non seulement leurs auteurs mais aussi leur environnement. « Violences » non pas à réduire, faire taire mais au contraire à accueillir et tenter d’entendre comme cri en attente d’écrit. Nous nous sommes très vite dégagés de la question des actes posés, des comportements, des manifestations « symptomatiques » d’une quelconque pathologisation pour aller vers une question qui nous semble plus urgente et essentielle : Ces gamins hors murs, hors normes, hors cadres, hors nosographie bien établie, ces gamins qui font tout voler en éclat autour d’eux, qui cultivent la rupture et préservent leur non-identité, ces gamins comment les rejoindre ? Pour fabriquer quoi ? Au présent comme au passé l’histoire de ces sujets est pleine de bruits, de fureur et de malédiction (pas de place pour…). Ils ne comptent pas ; presque « on ne les calcule pas ». Avec eux, pour eux, fabriquer des bribes de relations qui laissent des traces ; avec eux, pour eux –les -dessolés-, fabriquer des sols.
La place de l’écriture a pris une grande part dans nos échanges. Un point de défaillance qui laisse place à une béance : l’absence d’inscription de ce qu’ils disent et qui est dit, de ce qu’ils font, montrent, agissent, comme si le système des signes n’était pas là. Roland Léthier nous a montré comment la violence advient là où l’écriture du nom ne se fait pas. Ça ne cesse pas de ne pas s’écrire ; on est dans le réel tout le temps[14]. Même des manifestations de violence insensées ne font pas trace : que s’est-il passé ? Qu’est-ce que ça veut dire ? –je ne sais –je ne saiT- pas, parce que du je, il n’y en a point. Et la réponse est juste !! Permettre une « écriture du désastre », pour reprendre le titre d’un livre de Blanchot. Sans nier que « quelque chose de grave se soit passé » – comme une catastrophe de ce qui fonde l’humain- mais sans pathos non plus. Revenir sur l’histoire n’en permet pas l’écriture ; il faut de « nouveaux trucs », inventer de nouveaux mythes, de nouvelles façons d’être présent, « d’intervenir » ; tant les éducateurs que les « psy » …
Roland disait lors d’une séance précédente : « La paralysie du trauma ça ne se répare pas ; il faut passer à autre chose ». Non pas en niant ou minimisant ce qui s’est passé, non pas en cherchant à le réparer, là où les habités de la rupture soignent la rupture, mais peut-être en occupant une place de « restaurateurs », dans une présence en-corps, encore et toujours, c’est-à-dire dans la durée malgré les tempêtes et ce que ça peut avoir comme effet sur soi, de les fréquenter. Ça ne laisse pas indemne. On en sort transformé. Et nous avions terminé notre première ballade en évoquant la question du transfert, la nécessité de fabriquer du transfert, d’inventer des lieux de transfert, d’espaces discursifs, pour que des subjectivités puissent prendre corps, pour que ça se mette à dire et pas seulement à montrer ; encore une fois pour que ça s’écrive.
Rapides remarques à propos de l’Agressivité
Relisons : Les complexes familiaux de Jacques Lacan[15], en particulier le complexe de l’intrusion ; l’Agressivité en psychanalyse (1948)[16]… Dans un article intitulé : « Lacan et la psychose : 1932-1976 »[17] Philippe Julien note que « c’est précisément à propos de l’absence d’un affect, nommément l’agressivité, que par quatre fois, Lacan a été intrigué et s’est laissé questionner par la folie : -en 1932 : avec Aimée ; en 1955 : avec Schreber ; en 1963 avec Lol V.Stein et en 1975 avec Joyce. » Malgré l’intrusion de sa sœur et sa main mise sur la direction pratique du ménage après la naissance de son premier enfant, Aimée se tait : pas d’agressivité. Pour Lacan : « La personnalité d’Aimée ne lui permet pas de réagir directement par une attitude de combat qui serait la véritable réaction paranoïaque » (telle qu’elle est couramment admise). Lol ne dit pas sa douleur. Duras note : pas d’affect, pas de jalousie, pas de reproche, de lutte, d’affrontement pour garder sa place de fiancée. Plus encore : « La nuit avançant, il apparaissait que les chances qu’aurait eues Lol de souffrir s’étaient encore raréfiées, que la souffrance n’avait pas trouvé en elle où se glisser, qu’elle avait oublié la vieille algèbre des peines d’amour ». L’agressivité en psychanalyse, a à voir avec la question de l’image spéculaire, du stade du miroir, de l’identification et donc est prise dans la question du rapport à l’Autre, à l’autre, l’Otre, pour reprendre notre néologisme. La relation agressive est constituante de cette formation qui s’appelle le moi ; et le moi a une « structure paranoïaque ». L’absence d’agressivité signerait alors, un déficit de la phase du stade du miroir. « S’il est vrai que le moi a une structure paranoïaque », comme le montrera Lacan en 1948, dans « l’Agressivité en psychanalyse », « alors il faut conclure que la psychose est un déficit du moi, insuffisance de paranoïa, absence d’amour propre ». Nous y reviendrons car comme nous l’avons déjà laissé entendre, le rapport des innocents à l’Otre – A / autres – est souvent problématique et les « manifestations de violence » n’ont pas grand-chose à voir avec l’agressivité. Ce serait même un progrès si certains pouvaient « devenir agressifs » ; de même qu’on pourrait souhaiter à certains de devenir capables de souffrir… Philippe Julien souligne « l’absence d’affect lorsque le rapport imaginaire manque ».
INTERLUDE. FERNAND DELIGNY :
Quelle « grande cordée » aujourd’hui ?[18]Lecture conseillée en intégralité !!
« Quelque fois, vers 9 heures en arrivant, je voyais un mur abattu. Albert m’attendait, assis en face de ma table. Il avait frappé, je n’avais pas répondu. La porte était fermée. Alors il avait abattu le mur, d’un coup d’épaule. Et il m’attendait assis sur une chaise en face de mon bureau. On remettait les planches en place à cause du propriétaire qui rodait toujours et ne cherchait qu’un prétexte pour nous mettre dehors. Albert avait 17 ans, 1m80, pupille de l’assistance dont il cassait la figure aux directeurs départementaux. Il disait : « tu rigoles Deligny, tu m’en veux pas ? Tu viens boire un crème ? ». Histoire de voir si je n’étais pas un peu directeur de quelque chose, sur les bords ou dans le fond. » Une prise de position qui accompagne les diverses modalités de prise en charge pour des jeunes implaçables : « Pas de sanction. La porte sera toujours ouverte, les gamins seront libres ». La doctrine de la grande cordée (une des structures) n’était pas facile à afficher ; elle disait : laisser jouer l’imprévu, que n’importe quoi puisse arriver. D’où naquit une collectivité assez originale….
Carnet de route 45-46 :
Création d’un centre d’observation pour jeunes implaçables, caractériels, délinquants, psychotiques qui ne semblaient pas pouvoir s’améliorer par un « placement » où que ce soit…. « Par ce beau mois de janvier tout neuf, il m’échoit une grande villa dans une banlieue très bourgeoise à pignons sur rue (…) un hectare et demi de parc avec souterrain, petit pavillon, petit bassin (…) un concierge aux aguets, attentif à la rhubarbe (…) Les trois premiers qui arrivent viennent de la prison. Ils regardent à peine « le château » (déjà l’habitude de ne rien regarder) (…) La prison, procédé sauvage. Clef de voûte de la société actuelle. Je te mets en prison, tu me mets en prison « y’a qu’à les foutres en tôle ». (…) Hauts murs de tapisseries, matelas mal bourrés de crin végétal, le centre souffre d’un déséquilibre qui va tendre à se résorber aux dépens des tapisseries (car il n’est pas question de pouvoirs améliorer les lits). L’érosion humaine va opérer. Je suis d’ailleurs bien décidé à ne pas interdire, sévir, guetter ou à transformer en un quelconque « concours entre équipes » la protection d’ailleurs illusoire, de cette « propriété » (…) Aux réunions du Conseil d’administration j’étais coincé entre un procureur de la république et un inspecteur de l’assistance publique me parlant de redressement moral (…) Ils sont 70-80, 100 à courir nus dans les gouttières, à démonter les serrures, à transformer l’installation électrique, à cavaler dans les escaliers, à démonter les planchers pour y faire des cachettes, à casser 15 assiettes d’un coup, à jouer à cache-cache à longueur de jour et de nuit, à aller revendre les couvertures dans un petit bistrot complice… et à aller voir les copains dans d’autres centres pour les inciter à partir et à venir avec eux au centre « où on n’est pas emmerdé » (…) Les moniteurs viennent me parler d’un minimum de discipline nécessaire. (…) La baraque est lourde et tangue. Mais les enfants vivent et quelles que soient leur réactions passagères, l’absence totale de sanction désoriente leur agressivité. (…) En quelques semaines l’individu sociologique « Centre d’observation de Lille » est né. Les gosses, les moniteurs, moi, le château aux cheminées fendillées, le parc aux buissons usés, l’atelier sans outil et les tables sans cuillères ni fourchettes, ni bol ni assiette, les douches sans eau chaude. (…) Voilà qui ressemble à un petit morceau bien vivant de l’univers humain, à notre mesure. (…) Pour nous, prendre un gosse en charge, ce n’est pas en débarrasser la société, le résorber, le dociliser. C’est d’abord le révéler (comme on dit en photographie) et tant pis dans l’immédiat pour les portefeuilles qui traînent, les carreaux fragiles et coûteux. (…) Dans les chambres d’accueil, tout ce qui peut servir à provoquer les premières traces attend sur les tables. Papier à lettres, papier à dessin, crayons, gouaches, boites à modèles réduits à construire, matériel très varié de bricolage. Aux murs des photos, souvenirs de toutes les aventures vécues par des « passagers » du Centre. L’entrant restera là quelques jours. Dès qu’il en manifeste le désir et s’il n’y a pas de trop violentes contre-indications, il prend part à la vie collective. (…) Dès le matin une gamme assez variée d’activités est proposée ; certaines sont rémunérées (au rendement) d’autres gratuites. Un éducateur particulièrement doué prend en charge les quelques-uns qui refusent toute activité, en proie à une colère quelconque, un dégoût passager de l’effort ou de la vie de groupe. (…) Le soir le centre « s’ouvre » à tous les amis de l’extérieur : familles, ouvriers, étudiants, amateurs du pittoresque humain sont conviées à venir passer quelques heurs avec nos passagers. Jeux causeries, chants (…) naissent en désordre de ces rencontres. L’heure du couché est laissé à l’envie de chacun. (…) Des observations sont faites par tous les intervenants dont aucune, bien sûr ne comporte de jugement ni d’adjectif qualificatif. Les faits sont notés : circonstances, réactions (forme, violence, durée, …). (…) Un peu poètes, un peu peintres, un peu fredonneurs de belle musique, un peu comédiens, montreurs de soi même et de marionnettes, suceurs de certitudes et cracheurs de questions, pellicule vivante à fleur de société, patients comme des rempailleurs de chaises voilà les compagnons dont les enfants ont besoin. Explorateurs naïfs et pauvres, ils n’accableront pas les peuplades enfantines du poids de leurs bagages pseudo-scientifiques, pseudo-historiques, pseudo-moraux… (…) Une jeune éducatrice vit le plus près possible des garçons, leur parle et les écoute. Elle me dit : « En prison ils étaient plus heureux. Dans leur cellule à 9 ou 10 ils s’entraidaient, ils ne se seraient jamais volés l’un l’autre. Ici, étalés, à l’aise, ils se chapardent, se dénoncent ». Elle est sincèrement déçue. Son observation est juste. Elle ignore que les noyés qui vont revivre commencent par vomir. (…) Je travaillais comme un sourcier sur un terrain apparemment aride. Les richesses, l’énergie, l’avidité découvertes m’ont toujours surpris jusqu’à la stupeur. (…) Situations irrégulières. Administration pas d’accord. Ça sent l’humain. (…)
Ce que nous voulons pour ces gosses c’est leur apprendre à vivre, pas à mourir. Les aider, pas les aimer.
QUESTIONS DE TRANSFERT
« Les aider, pas les aimer. » Il a quand même l’air d’avoir sacrement été pris par ces gamins, Deligny ! Ça avait l’air de transférer pas mal. Dans les Etudes sur l’Hystérie (1893-95)[19], Anna O, patiente de J.Breuer invente des mots pour décrire le processus analytique. « Elle avait donné à ce procédé le nom bien approprié de « talking cure », (cure par la parole) et le nom humoristique de « chimney sweeping » (ramonage) »[20]. Pour Gloria Leff, « dans le meilleur des cas, ces deux expressions ont été lues comme synonymes, mais en privilégiant la psychanalyse en tant que cure par la parole, et après avoir écarté la dimension érotique, talking cure a évincé chimney sweeping qui est tombé dans l’oubli ». [21] C’est pourtant cette définition « chimney sweeping » qui va retenir notre attention pour alimenter notre réflexion sur le transfert « avec les innocents ».
Je reprends ici le fil de Gloria…
Dans sa séance de séminaire du 16 novembre 60, « Le transfert dans sa disparité subjective », Lacan dit « Commençons donc… au commencement… Au commencement de l’expérience analytique –rappelons le- fut l’amour ». A propos de l’interruption de la cure d’Anna O par J. Breuer, Lacan déclare : « il est évident que cet accident est une histoire d’amour, qui n’a pas existé du seul côté d’Anna O ; Breuer a aimé sa patiente. » Freud de son côté dans diverses correspondances avait écrit : « Breuer non seulement est aimé de ses patientes, mais il est effrayé par l’amour qu’il leur porte ». « Breuer s’est enfui atterré par le risque de commencer à aimer ses patientes ». A plusieurs occasions, Freud essaye de se démarquer de Breuer, convaincu qu’il pourrait rester de marbre face à toute manifestation d’amour ou de haine qui lui viendrait de n’importe laquelle de ses patientes. Il rassure d’ailleurs sa future épouse en lui disant : « il faut être un Breuer pour que cela arrive ». Qu’en dit Breuer lui-même ? Il révèle son impossibilité d’en passer par l’expérience d’un transfert amoureux qui ne pourrait qu’engendrer sa perte. Parlant d’Anna O, il écrit à un collègue : « C’est ainsi que j’ai beaucoup appris du point de vue scientifique, mais aussi (…) qu’il est impossible pour un médecin (…) de traiter de tels cas sans que sa pratique et sa vie privée s’en trouvent totalement ravagées. A ce moment j’ai juré de ne plus jamais me soumettre à une telle ordalie ». Lacan commente dans la séance précitée : « (…) le petit éros dont la malice a frappé le premier, Breuer, au plus soudain de sa surprise, l’a contraint à la fuite, le petit éros trouve son maître dans le second, Freud ». Pourquoi Freud n’a –t-il pas battu en retraite ? « A la différence de Breuer, quelle qu’en soit la cause, Freud prend pour démarche celle qui fait de lui le maître du redoutable petit dieu. Il choisit comme Socrate de le servir pour s’en servir ». (Séminaire « Le Transfert », séance 16 novembre 1960)
Anecdote talmudique :
Après avoir soutenu sa thèse de doctorat de logique socratique, un docteur en philosophie se présente chez le rabbin pour être converti. Je vais vous tester pour voir si vous avez l’esprit adéquat pour l’étude juive. Je vais vous poser des questions de logique puisque c’est votre spécialité.
-Deux hommes descendent dans une cheminée. L’un en sort propre l’autre sale. Qui va se laver ?
Le docteur en philo sourit et répond : c’est celui qui est sale qui va se laver.
Faux : c’est celui qui est propre : celui qui est sale voit celui qui est propre et pense qu’il est propre lui aussi, c’est donc celui qui est propre qui va se laver.
-Test suivant : deux hommes descendent par une cheminée. L’un sort propre, l’autre sale. Qui va se laver ?
Vous me l’avez déjà demandé : c’est celui qui est propre.
Faux. Tous les deux se lavent : c’est logique, celui qui est propre voit celui qui est sale et pense donc qu’il est sale aussi, et va donc se laver. Celui qui est sale voit celui qui est propre se laver et va aussi se laver.
-Troisième test : deux hommes descendent… et l’étudiant répond : tous les deux.
Faux aucun des deux ne se lave ; c’est logique. Celui qui est propre voit que celui qui est sale ne va pas se laver, donc il n’y va pas non plus.
-Dernière chance. Deux hommes… Réponse de l’étudiant : personne ne se lave…
Faux : parce que c’est une question stupide : comment deux personnes qui passent par une même cheminée peuvent–elles sortir, l’une sale, l’autre propre ? Celui qui ne comprend pas ça immédiatement n’a pas l’esprit adapté à l’enseignement talmudique.[22]
« Quand deux hommes sortent ensemble d’une cheminée, lequel des deux va-t-il aller se débarbouiller ? » Cette fois-ci c’est Lacan qui pose la question à la fin de la séance du 23 janvier 63, construisant une analogie entre la cheminée et le cadre analytique. En 1960 il avait déjà pris cette référence : quand deux hommes se retrouvent au sortir d’une cheminée, tous les deux doivent se laver la figure. En 66 la réponse sera : tous les deux ont la figure sale. Pour Gloria Leff, Lacan fait de cette référence à la cheminée une question de méthode et souligne par là le caractère érotique de cette expérience. Il en vient même à condenser la talking cure et la chimney sweeping en proposant un terme qui articule ces deux dénominations ; la chimney cure. La chimney cure c’est l’espace de la cure. Une cure dans la cheminée. Le caractère érotique mis en valeur là, « ne surgit pas à l’improviste, il n’est pas une contingence dérangeante ni un risque potentiel : c’est le transfert même. L’important c’est d’être ensemble dans la cheminée. Et on ne peut pas en passer par là et s’en sortir blanc comme neige… De l’opération d’être ensemble dans la même cheminée, analyste et analysant ne peuvent qu’en ressortir tous deux noirs de suie »[23]. Ensemble dans la cheminée, ensemble dans le brouillard, dans les zones marécageuses et nauséabondes dans lesquelles nous entraînent « les innocents ». A quelle érotique avons-nous affaire là ? Aller vers, les chercher et créer des espaces discursifs pour que ça se mette à dire, au lieu de seulement montrer. Transférer sur eux. Être l’éraste et eux notre éromène.
Transférer sur :
Dans l’argumentaire de notre seconde ballade, nous avons fait référence au transfert psychotique avec les innocents. Parler de transfert psychotique avec les innocents ne signifie nullement que nous considérons les « innocents » comme psychotiques. Mais le transfert psychotique est une modalité de transfert qui peut nous aider à penser la fabrique du transfert avec « les innocents », avertis que nous sommes déjà, que nous en sortirons la figure sale, voir plus. Dans son article « Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique »[24] Allouch écrit : « Il y a un transfert psychotique, une modalité de transfert spécifique à la psychose. En quoi consiste cette spécificité ? A quoi tient-elle ? » Je vais m’arrêter surtout sur les réponses apportées à la première question qui nous concerne directement vous renvoyant au texte pour la seconde. Jean Allouch marque la spécificité de transfert psychotique par une formule : « Le névrosé transfère ; le psychotique pose transférentiellement ». Cette formule conjoint, en un court circuit, la mise au jour du transfert chez Freud et un énoncé repris de la lecture lacanienne de Schreber. Très tôt le concept freudien du transfert exclut l’existence du transfert psychotique, où du moins, l’analyse d’une spécificité de la question du transfert dans la psychose a d’abord pris le biais d’une affirmation d’inexistence. Pour Allouch, c’est « l’abord des psychoses à partir des névroses, qui a eu pour effet l’érection d’un mur quasi-infranchissable et au regard duquel psychanalyse et psychoses ne se trouvaient pas du même côté. Avec Lacan un autre départ est possible, celui-ci ayant inauguré son parcours en étudiant d’emblée les psychoses. » Dans cet article, J. Allouch insiste sur la psychose en tant qu’elle marque une perturbation dans la relation à l’Autre, liée à un mécanisme transférentiel. « La psychose est une réponse à un dire, celui d’être pris pour. Elle se donne non comme une action mais vaut comme réaction. Cet « être pris pour » joue en chacun des phénomènes psychotiques. C’est d’abord au lieu de l’Autre que le sujet psychotique est pris pour ». Allouch souligne un mode d’énonciation spécifique, qui s’ordonne selon trois places, dont la discrimination est susceptible de nous orienter dans le transfert psychotique. Je cite l’auteur :
* « La place de celui ou celle qu’on dit psychotique est fondamentalement celle de témoin » (qu’il écrit t’es moins, pour bien faire entendre ce que comporte d’atteinte narcissique à sa posture). Le paranoïaque « vous parle de quelque chose qui lui a parlé »
* « La place de l’Autre est celle où s’origine une assignation désubjectivante, persécutrice par cela même. L’absolutisation de l’assertitude est en ce lieu telle qu’il est exclu que le sujet puisse y porter son appel, y faire reconnaître la validité de son témoignage. »
* « La place de l’autre, est celle où le sujet fait valoir son témoignage ; place où seulement deux alternatives sont possibles : celle de récuser le témoignage, ou celle de codélirer avec lui. Le psychanalyste (ou le psychiatre) n’a d’autre choix que d’entériner dans son dialogue avec l’aliéné, sa position de « témoin ouvert », de rapporteur de ce qui lui vient de l’Autre. Il le peut en se faisant le secrétaire de l’aliéné. »
Dans son séminaire Les psychoses Lacan dit : « En d’autres termes, nous allons nous contenter de nous faire les secrétaires de l’aliéné, comme on dit pour faire un reproche à l’impuissance des aliénistes.… Mais je dirais que d’un autre côté il s’agit de le faire jusqu’au point où nous nous trouverions presque tomber sous d’autres reproches qui seraient plus graves, non seulement d’en être les secrétaires, mais de prendre ce qu’il nous raconte au pied de la lettre, ce qui à la vérité, est justement ce qui, jusqu’ici à été considéré comme la chose à éviter » (séance du 25 avril 56). Etre à cette place de secrétaire de telle façon qu’il s’agisse d’un faire, comme tel actif : non pas seulement d’enregistrer ce que ce témoin nous raconte de ce qui vient de l’Autre, mais prendre son témoignage « au pied de la lettre, ce qui n’est pas sans portée à proprement parler constituante du témoignage ».[25] Mais pour pouvoir être secrétaire, il faut d’abord mériter aux yeux du psychotique cette place de petit autre ; la confiance ne va pas de soi du tout. Comment la mériter ? Après quelle épreuve ? (Rappelons-nous aussi ce que disait François Perrier : « (…) à l’origine nous ne sommes peut-être personne pour le fou et que dès lors ce qu’il dit ne nous est pas destiné, et n’a pas à induire une réponse qui n’est pas attendue où même supposée possible. A l’inverse, partir de cette hypothèse (n’être personne) …c’est ne pas fonder unilatéralement une relation, pour nous interpersonnelle alors qu’on ne sait pas comment elle est vécue par l’autre ».[26]) Ceci implique, poursuit Allouch, d’une part que « aliéniste et aliéné se trouvent côte à côte : il n’y a pas de mur de l’aliénation qui viendrait les séparer, sauf celui qu’édifie l’aliéniste qui se soustrait en tant que secrétaire. Et d’autre part, que l’on tienne compte que le psychotique ne transfère pas comme le névrosé mais pose transférentiellement, ainsi que le fait le psychanalyste pour chaque demande qui lui est adressée. » Poser transférentiellement, autrement dit se poser comme objet possible d’un transfert (comme possible support pour quelqu’un, du SsS). « C’est ici qu’apparaît la spécificité du transfert psychotique qui est avant toute chose, Lacan le notait, un transfert au psychotique. Il n’est pas sans savoir, et même sans avoir raison sur son savoir. Et nous n’obtiendrons rien de lui si nous lui refusons cela ».[27] Psychanalyste et psychotique sont donc à identité de position quant à la façon d’être situé dans le transfert : l’un et l’autre pose transférentiellement, c’est-à-dire se prête à supporter un transfert ; tous les deux sont candidats au poste de SsS. Mais puisque le psychotique n’en démord pas, ne peut faire autrement que de poser transférentiellement, c’est au psychanalyste que revient la tâche de transférer. Transfert au psychotique donc ; au psychanalyste de transférer et de tenir pour un temps, la fonction de l’éraste avant qu’une bascule éventuelle ne puisse s’opérer. Lacan peut poser les choses ainsi, notamment parce qu’il a reconnu Marguerite- et après elle les autres patients psychotiques-, « comme sachante, comme incarnant pour lui ce qu’il désignera bien plus tard comme étant la figure ordonnatrice du transfert, à savoir le sujet supposé savoir ».[28]
J’ai mentionné un peu plus haut, que Lacan s’était fait le secrétaire de Marguerite et je voudrais revenir un peu sur cette idée, toujours à partir du livre de Marguerite ou l’Aimée de Lacan. Fonction de secrétaire qui peut nous intéresser dans la mesure où nous avons les séances précédentes insisté sur la question de l’écriture tant la violence et la vie des « innocents » a à voir avec ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Par ailleurs, pour Allouch, ce fut essentiellement « en devenant secrétaire de Marguerite sachante que Lacan se réalise comme synthome, et recompose ainsi la structure borroméenne du cas Marguerite ». Occuper une fonction synthomale, étant entendu que ce qui fait synthome varie pour chacun. Pour comprendre la fonction de secrétaire et repérer la spécificité du lien qu’elle instaure, Allouch nous invite à aller voir avec lui du côté des mystiques et de la littérature. La psychanalyse n’en dit pas grand-chose. « Une telle fonction de secrétaire ne se limite pas au seul geste de transcrire sur le papier ce qu’aura été la vie de la sainte…Le secrétaire est aussi directeur d’âme au sens fort de ce terme, au sens de révélateur de désir… Comme Lacan avec Marguerite, le secrétaire de la sainte l’invite à écrire son expérience. S’il s’en charge lui-même, c’est au prix de son propre effacement : les hystériques font Charcot, elles le servent, alimentent sa notoriété, alors que le secrétaire de la sainte, en dépit de son action directoriale ou plutôt parce qu’il ne s’y refuse pas, notamment à exercer sa direction spirituelle, s’efface devant sa dirigée. (…) Le secrétaire est celui qui admet qu’en son éveil, la sainte âme sait, d’un savoir dont la vérité lui échappe, mais (…) il sait qu’elle sait d’un savoir qui est d’expérience et auquel il reste non seulement attaché en le transcrivant puis en le publiant mais aussi, en tant que directeur d’âme, en le constituant dans son dialogue avec la sainte. Il peut arriver qu’il en advienne saint à son tour ». [29](Autre sortie de la cheminée)
L’écriture est une écriture « sous la dictée » et l’effacement du secrétaire en est la condition nécessaire. Suffisante ? Comment transposer ou « utiliser » ce qui vient d’être dit ? Que faire du transfert psychotique là où nous avons dit ne pas avoir affaire à des psychotiques ? Comme dit, le transfert psychotique peut nous servir à penser, à nous déplacer, à inventer des façons de fabriquer du transfert. D’abord en ne nous plaçant pas de l’autre côté de la ligne de démarcation ; en étant sur le même front, dans le combat –comme dans la cheminée- en en acceptant les risques. Et en créditant les jeunes d’un savoir d’expérience. Il serait intéressant (mais je garde ça peut-être pour une prochaine fois) de reprendre les trois places distinguées par Allouch pour voir comment ça joue pour les jeunes qui nous préoccupent, et si cela peut nous aider à nous orienter dans la question du transfert avec eux. S’ils ne transfèrent pas comme les névrosés, posent-ils transférentiellement comme les psychotiques ? Sont-ils prêts à supporter un transfert ? A être notre éromène ? La réponse ne va pas de soi ou risque d’être négative. Ils appellent plutôt bien souvent le rejet, la rupture de tous liens, d’où la nécessité d’inventer une possibilité de transfert qui tienne compte du fait qu’ils ne demandent rien. « J’ai rien demandé moi ». Et qu’ils sont souvent écorchés vifs, hypersensibles et réactifs, aux aguets du moindre danger pour eux, sur un mode de survie. Ils ne posent pas transférentiellement et pourtant il faut « obliger » – les obliger – au transfert. Ne pas le faire serait totalement les abandonner. Y aller, relever le gant, mais en douceur (ce qui n’exclut pas la fermeté parfois). Il ne serait sans doute pas inutile d’aller voir du côté des pratiques ancestrales de l’hospitalité. Et de déployer des notions comme la bienveillance avec Barthes – (pour ne pas tomber dans les travers de la protocolisation de la bientraitance) -, le taking care (le prendre soin) qui se distingue du cure (soigner) etc…
Mais il serait intéressant maintenant que nous puissions échanger sur les expériences des uns et d’autres ; comment chacun s’y prend et s’en sort, lorsqu’il est au front.
[1] Patrick Baudry, Violences Invisibles, Ed du Passant, 2004
[2] Miguel Benasayag et Angélique del Rey, Eloge du Conflit, ed la Découverte, 2007. En 2018 est sorti un livre fort intéressant sur la question : Happycratie, d’Edgar Cabanas et Eva Illouz, éd. Premier Parallèle
[3] François Jullien, Du mal/du négatif, Seuil, 2004
[4] Miguel Benasayag, op cité
[5] Miguel Benasayag, op cité
[6] Miguel Benasayag, op cité
[7] Patrick Baudry, op cité
[8] Patrick Baudry, op cité
[9] Patrick Baudry, op cité
[10] Zygmunt Bauman, L’Ethique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs, le chapitre intitulé : les défis modernes-liquides à l’éducation, éd, Flammarion, 2009
[11] Zygmunt Bauman, op cité
[12] Zygmunt Bauman, op cité
[13] Zygmunt Bauman, op cité
[14] Cette formulation « dans le réel tout le temps » est excessive mais se réfère à la phrase de Lacan sur les innocents. Nous verrons qu’ils le sont mais pas tout le temps, voir pas tant que ça. Mais insister sur ce point de Réel nous permet, au point où nous en sommes, de penser certaines questions.
[15] Jacques Lacan, Les complexes familiaux, éd. Navarin, 1984
[16] Jacques Lacan, l’Agressivité en psychanalyse, in les Ecrits , éd. du Seuil, 1966
[17] Philippe Julien, « Lacan et la psychose : 1932-1976 », revue Littoral n° 21
[18] Ferand Deligny, Les Vagabonds Efficaces, éd. Maspero, 1975
[19] Freud et Breuer, Etudes sur l’Hystérie, éd PUF, 1992
[20] Gloria Leff, Portraits de femmes en analyste, Epel, 2009
[21] Gloria Leff, op cité
[22] Marc-Alain Ouaknin : la Bible de l’humour juif, éd Ramsay, 1995
[23] Gloria Leff, op cité
[24] Jean Allouch, « Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique », article paru dans la revue Littoral n° 21, Eres, 1986
[25] Jean Allouch, Marguerite ou l’Aimée de Lacan, Epel 1990
[26] François Perrier : Fondements théoriques d’une psychothérapie de la schizophrénie in La Chaussée d’Antin, Albin Michel 1994
[27] Jean Allouch, « Vous êtes au courant, il y a un transfert psychotique », op cité
[28] Jean Allouch, Marguerite, op cité
[29] Jean Allouch, Marguerite, op cité