Accompagnements de mineurs confiés par l’Aide Sociale à l’Enfance
« Qui trop embrasse mal étreint »
La loi Taquet du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, et son décret d’application du 16 férier 2024, interdisent sans exception la mise à l’hôtel des jeunes confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance. De ce fait ils rendent caduque le dispositif Kairn et imposent de fait sa fermeture au 30 juin 2025.
Une loi ambitieuse, trop peut-être, qui alors même qu’elle vise au mieux-être des enfants et jeunes de l’Aide Sociale à l’enfance, en laisse quelques-uns de côté. Ainsi en ne les prenant plus en compte elle s’interdit de répondre aux enjeux que la précarité et les difficultés de certains exigent.
Comme nous l’avions écrit le 2 mai 2023 dans un courrier à Madame Charlotte Caubel, Secrétaire d’Etat chargée de l’Enfance « …nous ne pouvons que reconnaître les avancées considérables de ce texte (…) et être en accord avec les conclusions du rapport de l’IGAS concernant l’accueil dans des structures non autorisées ou habilitées au titre de l’ASE. Cependant il nous semble qu’en faire un principe sans exception serait confondre la question du lieu et des murs avec celle de l’accompagnement. De notre pratique de plus de 10 ans, et l’accueil de plus d’une centaine de jeunes pour une durée moyenne de 2,3 ans chacun, le choix de l’hébergement en hôtel est dans certaines situations un « choix positif » et assumé. Appuyé sur l’analyse de la situation, toujours singulière, ce choix devient ainsi le « meilleur lieu » d’hébergement (ou à tout le moins le moins mauvais) pour un jeune à un moment donné de son parcours. »
Dans tous les cas, mieux que la rue, les squats… Lire l’intégralité de la lettre
Durant toute l’année 2024 nous auront loué des studios (5 en l’occurence) qui seront restés vides, faute de jeunes pouvant les occuper de façon « suffisamment tranquille » pour les voisins, ou suffisamment sécure pour elles.
Les jeunes concernées, sauf très rare exception, n’auraient pas supporté de petits collectifs de 2-3 jeunes avec un éducateur. Les mettre dans des FJT ou nouvelles structures qui accueillent d’autres jeunes ou des personnes en difficultés sociales, aurait été les renvoyer là où elles ne veulent ou ne peuvent pas être.
On ne pourra s’étonner alors que des embrouilles apparaissent rapidement. Et la question de l’ « exclusion » surgira inévitablement . Là où de par la souplesse du dispositif Kairn et le choix toujours possible d’hébergement adapté, nous n’avons jamais mis fin à un accueil, ni demandé aucune réorientation.
Visa-Vie aurait pu faire le choix de poursuivre des accompagnements en accueillant des jeunes en situation moins complexe que les jeunes « extra-ordinaires » avec qui nous aurons eu la chance de cheminer 15 ans. Mais c’eût été accepter de les laisser sur le bord du chemin, ce que nous n’avons pas voulu.
Paroles d’anciens-anciennes à l’annonce de la fermeture du dispositif:
– N: « Mais c’est n’importe quoi , pourquoi? Vous nous donniez une stabilité avec les studios ou l’hôtel…Le fait pour ceux qui sont en difficulté, qui peuvent pas être en foyer, qui ont besoin de leur bulle, de leur indépendance… ils vont aller où? »
-S: « Ça m’a tellement aidé dans ma vie. On a une chance énorme d’avoir pu être à Visa-Vie. Je suis triste pour ceux qui ne pourront pas en bénéficier »
-I: « C’est la meilleure chose qui me soit arrivé dans ma vie »
Lire aussi : De la marge à l’exclusion
Le dispositif KAIRN proposait des modalités—spécifiques d’accueil et d’accompagnement « hors les murs » pour des mineurs confiés en placement par l’ASE, dont la prise en charge ou le maintien en institution s’avère très difficile, du fait de comportements explosifs, inadaptés au collectif ou de fugues et « mises en danger » répétées.
Lorsque Visa-Vie était sollicité pour l’accueil d’un/une jeune dans le dispositif Kairn, nous proposions, dans la mesure du possible, que le jeune appelle lui-même la directrice ou le coordonnateur (les thérapons du pôle dit socio administratif) pour une première rencontre. Celle-ci se faisait généralement dans les locaux de l’association et délibérément sans étude préalable de l’histoire du jeune ni rencontre avec le référent précédent.
Un des points cardinaux de travail de Visa-Vie était de faire « avec ce qui vient, comme ça vient » ; pour essayer d’accompagner le jeune, en partant toujours de ce qu’il fabrique. Le projet était de ne pas projeter, de ne pas prévoir par avance : « le chemin se fait en marchant ».
Suite à cette rencontre, si le jeune maintenait son « envie » de venir à Visa-vie, c’était à lui de rappeler le coordonnateur ou la directrice, lequel l’orientait vers deux ou trois psychologues du dispositif avec lesquels il devait prendre rendez-vous. Après ces 3 rencontres imposées, le jeune choisissait le thérapon-psychologue qu’il souhaitait, pour l’accompagner, en binôme avec la directrice ou le coordonnateur. Lorsque ce processus était terminé, l’accueil était fait par l’ensemble de l’équipe lors de sa réunion (tous les 15 jours). Nous affinions alors la modalité d’accueil pour être au plus près de ce que ce que semblait amener le jeune (choix de la modalité d’hébergement, façon de donner l’argent, points de vigilance…). Bien sûr, s’ensuivaient des ajustements, adaptations, aussi fréquents que nécessaires, pour « suivre » le jeune, sans toutefois bien sûr tout accepter !
L’accompagnement s’organisait ensuite autour de 3 pôles :
- Des rencontres. 3 à 4 rencontres minimum par semaine avec ses deux thérapons. Entre temps, le binôme était joignable 24h/24,7 j/7. De jour comme de nuit, il devait être garanti qu’en face « ça répond », qu’on pouvait se déplacer, parler … et ce montage fabriquait un entour présentiel malgré l’absence de collectif et de murs institutionnels.
- Un toit. Visa-Vie ne procurait pas d’emblée un appartement mais garantissait un toit autant que faire se peut, c’est-à-dire tant que le jeune arrivait à le garder, qu’il ne se faisait pas exclure du fait de son irrespect des règles des hôtels ou des copropriétés. Il arrivait parfois que certains jeunes ne puissent habiter aucun lieu, qui tous demandent un minimum de règles communes. Ce toit pouvait être une chambre d’hôtel ou un studio. Nous étions en relations étroites avec les gérants d’hôtel avec qui nous avions établi un véritable partenariat. Le premier critère de choix, allait être ce que nous avions pu repérer du jeune lors de l’accueil, de son âge, de ses attentes, de son paysage relationnel, de ses activités. Dans tous les cas, la modalité d’hébergement pouvait varier dans un sens comme dans l’autre, en fonction toujours de ce que fabriquait le jeune : hôtel vers studio, retour hôtel…. Ou changement de studio…
- L’argent. Un pécule était versé chaque mois dans la comptabilité du jeune, dont une partie était mise de côté, comme caution de l’hébergement. Une partie était donnée sous forme d’« allocation hebdomadaire » pour la « vie quotidienne », et le reste était accessible au jeune quand il le souhaitait mais après discussion avec le thérapon du pôle socio-administratif, afin de l’aider à « gérer » son argent. La remise de l’argent était un bon prétexte pour aborder la façon dont les jeunes se situent dans le social.
Télécharger la présentation de Visa-Vie
Les points cardinaux qui nous ont permis d’ajuster notre pratique et d’accompagner chaque jeune.
Kairn était un dispositif qui tentait une organisation qui permettait autant que faire se peut, le mouvement, la création, l’invention de possibles pour chaque jeune, en faisant AVEC, comme ça vient, à partir de ce qui se dit, s’agit, se crie, s’écrit…
Instituer l’éphémère, l’instable, le fragile et le flou comme cadre d’accueil et de travail pour s’adapter et s’ajuster au mieux, sans écrire par avance ce qui devrait être fait, atteint…sans projet pré-défini.
« Le chemin se fait en marchant » dit le poète.
Trouver des repères (marque qui sert à retrouver un emplacement, un endroit précis qui permet de se retrouver ou faire un travail avec précision), plus que des règles qui rendent impossible de faire avec ce qui vient (sauf à les entendre au sens de Wittgenstein : un panneau indicateur)
En principe… « en principe la règle est… » mais là pour telle situation à tel moment précis « il faut adapter » …
Rapports d’activité
Statuts de l’association
Journées de réflexion à Bionville :
Télécharger l’intervention : Trans-mission
Télécharger l’intervention : De la singularité d’une pratique à Visa-Vie
Télécharger l’intervention : Quel paysage institutionnel aujourd’hui ?