« Jamais la violence ne fait l’économie d’un sujet, elle l’habite »
Richard Hellbrunn
Et pourtant c’est du mal, de ce qui fait mal, c’est de destruction, de meurtre sans fusil, de violence en douceur dont je veux parler ou plutôt que je veux essayer de penser, continuer de penser. (Penser comme seul contraire possible au mal, penser pour le tenir à distance, penser contre le désespoir, penser pour résister à la destructivité). Ce qui m’intéresse, de creuser, de repérer, de débusquer, c’est un au-delà de la violence manifeste, sanglante…-facile à repérer, à analyser, à délimiter et dont nous avons déjà parlé-, une violence « calme », froide, « aseptisée », « propre », blanche… Ça croisera des questions de violence, de cruauté, de sadisme… de perversion (attention) du traumatisme (attention) mais sans s’y réduire…
Dans un article[1] André Green écrit : … « le méchant il est non pas celui qui fait le mal, mais qui aime le mal. Tout le monde fait le mal, mais certains l’aiment. Mais aimer le mal, qu’est-ce que c’est ? Est-ce jouir de la souffrance d’autrui ? Sans doute et c’est le cas le plus banal. Mais il y a un amour du mal beaucoup plus radical, bien plus impersonnel ». Il y a un au-delà du sadisme, forme la plus évidente du mal, pouvant fonctionner comme écran pour masque une dimension plus radicale. « Aimer le mal sans remords se fonde sur la certitude d’assurer le triomphe définitif du Bien ». (La race chez les nazis, la vraie religion pour le vrai dieu…le progrès pour tous…)
« Le mal qui se glisse dans les efforts pour promouvoir le bien– (je rajoute le progrès, la sécurité (sanitaire, terroriste et maintenant globale, le bonheur) – demeure inconscient et traverse les opérations violentes qui prétendent conduire à son éradication »[2] RH
Le Mal pour asseoir le Bien, le Mal pour ton bien !
Le mal n’est pas souffrance, puisque dans la souffrance, on supporte. Du latin populaire * suffire, altération du latin classique sufferre (« supporter, endurer ») de fero (« porter ») avec le préfixe sub- (« sous »). Mais « il relève de la douleur absolue, de l’épreuve insupportable, sans visage, sans localisation, fluide et ravageur, comme la tornade (non annoncée) qui ne laisse après elle que décombres et désolation. »[3] Pour Prigent, quand le Mal frappe, c’est l’Humain qui est atteint. Ce sont ses capacités à penser, à rêver, à vivre sans horreur … qui sont détruites ou longuement sidérées, pétrifiées… Il est à chercher non pas dans le chagrin, les douleurs, les soucis, mais dans ses effets sur l’humain qu’il sidère et détruit. « Si le Mal me traverse, c’est une pensée gelée, glacée, figée qui me tient lieu d’existence. »[4] On n’est pas loin de la tête de la Méduse.
En fin de séance, lors de notre 1ère rencontre, Philippe nous avait fait part de son « scrupule », et m’avait interpellée, en posant la question de la relativité du mal en fonction des discours qui le constituent, et en soulignant que je chargerais le néolibéralisme de tout le Mal… Évidemment, cette interpellation m’a fait cogiter, et comme je le supposais, utiliser ce terme de mal allait … me mettre à mal puisqu’il s’agit là d’un bien gros mot, et qu’il s’agit d’essayer de penser quelque chose qui fondamentalement échappe à la pensée, garde une part d’impensable, d’insaisissable… qui d’ailleurs peut laisser en panne. On ne fera donc que tourner « autour du pot ». Tentative de penser – l’impensable- pour en panser peut-être certains effets de destruction. Tentative de soutenir, à partir des questions qui sont les miennes -pour le meilleur et pour le pire- une exigence de pensée/penser, pensée qui permette une suspension, un écart d’avec les actes, une réflexivité…
Lors de la 1ère séance du séminaire, du 24/10/2009, intitulée : « Vous avez dit Violence(s) ? »[5] je disais : « Parler de violence est un exercice compliqué. Sujet fourretout qui envahit nos journaux, nos écrans, notre vie quotidienne…. Mais de quoi parle-t-on quand on parle de violence ? A y regarder de plus près tout acte de mécontentement, de protestation, toute élévation de voix, toute porte qui claque peut-être taxé de violence. Ce qui apparaît, c’est une inflation en même temps qu’un nivellement des discours. Indépendamment de l’acte, presque, c’est le discours porté sur l’acte, ce qui va en être dit, qui rend l’acte violent ou pas.
Ce que nous apprend l’histoire, c’est la variabilité de la définition de la violence à travers les âges, violence comme fait de culture, dont la qualification reste ouverte selon les contextes culturels, sociaux, historiques, politiques et judiciaires. »
« En réalité, un fait n’est pas a priori violent ou non. La qualification dépend des conventions sociales en vigueur ; ces conventions se négocient au quotidien ou dans l’arène politique ; elles fixent les conditions dans lesquelles la violence est appréhendée comme telle » A.Roché. À noter encore, qu’au-delà de ces conventions, la violence perçue n’est pas la même selon les groupes de référence. Par ailleurs, la violence est d’abord décryptée comme telle par une victime ou un observateur qui interprète un fait (part subjective de celui qui parle de violence). Tout travail sur la violence, est nécessairement inséparable des représentations dont elle est l’objet et nous renvoie à notre intimité dans le rapport que nous entretenons avec elle. »
On pourrait remplacer le terme de violence, par le terme de Mal, poser les mêmes questions et effectivement retrouver la question des discours qui le constituent. Bien sûr, la violence, avec toutes les précautions à prendre quant à l’usage de ce terme, a à voir avec la question du Mal, par sa dimension d’excès de force, de débordement qui vise à atteindre voire à détruire l’autre. On pourrait dire « la violence » est une certaine laïcisation de la question du Mal. Mais le questionnement est encore plus grand puisque la notion de Mal croise encore autrement que la violence, des champs très divers et concerne les théologiens, les philosophes, les religieux, et le tout-venant… Bien sûr nous irons aussi voir du côté de la psychanalyse.
Le bien/le mal. C’est bien/c’est pas bien/ c’est mal…Et donc la question de la morale est tout près ! Nous grandissons avec ces catégories bien différentes d’une culture à l’autre, d’un pays à l’autre, d’une famille à l’autre…. Elles servent la base du jugement. Ce qui montre bien au ras de nos vies, la relativité du bien et du mal, et la question de normalisation qui l’accompagne. J’imagine que beaucoup de philosophes qui ont pensé la question du mal, faisaient et font de la philosophie morale. Là on va penser avec Laure, et la philosophie politique. Mais la violence, notion aujourd’hui presque galvaudée, assez localisée, délimitée… n’épuise pas la question du mal, notamment dans ces aspects de démesure, de non-sens, d’injustifiable… que l’on retrouve dans ce qui est appelé par exemple « la violence gratuite », « la méchanceté pure », pour autant que ça pourrait exister, ce que je ne pense pas. Ou quand on parle de monstruosité, de monstre. On va essayer d’aller au-delà du ç’est bien, c’est mal, qui n’est pas ce qui nous intéresse ici, sans être dupe du fait que c’est en arrière fond, et en gardant à l’esprit que nous ne pouvons penser la question du mal comme un objet extérieur à nous-mêmes, mais, et là je reprends l’avertissement de R.Hellbrunn : « Jamais la violence ne fait l’économie d’un sujet, elle l’habite ».
Penser la question du mal, donc, ou de ce qui nous apparait comme tel, sans faire l’économie de comment il nous habite. Il ne s’agit pas d’un objet extérieur à nous-mêmes, qui nous serait totalement étranger. Nous participons à sa définition et à sa réalisation. Pour Éliette Abecassis[6] : « La contagion s’effectue par le regard. Regarder le mal, c’est être pris par lui » « Devant le mal, il n’y a pas d’attitude neutre ou indifférente. Le spectateur du mal est gros de la relation qui s’effectue entre le mal commis et le sujet qui le perçoit, et dans laquelle il n’y a pas de place pour l’innocence. Être témoin du mal, être le contemporain du mal, c’est participer du mal effectué ». « La vue du mal est aliénante, car chacun de mes gestes, chacune de mes attitudes, chacun de mes silences et chacun de mes aveuglements apparents, m’engagent plus loin dans un milieu où l’essence même de mon être est pris ».
Laure nous avait présenté la notion de Banalité du Mal de Arendt[7]. Banalité : ce n’est pas à entendre ni du côté d’une minimisation, ni d’une déresponsabilisation de quoique ce soit. Ça a la spécificité de ne pas se présenter sous la forme de la violence (c’est ça qui m’intéresse). Et pour Arendt, c’est le non pensé de ce qu’on est en train de faire qui pose souci. Pour Arendt, quand on ne pense pas, on produit du mal. Eichmann fait consciencieusement/ activement son travail mais sans conscience, sans questionnement. Pour Arendt, la seule chose qui peut expliquer -que le système génocidaire ait fonctionné-, c’est le refus de penser de chacun. Les autres causent ne suffisent pas (la haine du juif, etc…). Et pour Arendt la banalité du mal ne peut se penser qu’avec la bureaucratisation (dissolution de responsabilité, acéphale…). Claude Lanzmann ne supportait pas cette thèse : « J’ai l’impression que vous voulez m’entrainer vers la thèse de la bureaucratie. Je ne suis pas du tout d’accord. On peut toujours penser qu’on a été pris dans une chaine ! Je suis résolument contre la thèse de Hannah Arendt de la banalité du mal. Chacun de ces hommes, chacune de ses consciences savaient ce qu’ils faisaient, à quoi ils participaient : la garde de Treblinka, le bureaucrate des chemins de fer, l’administrateur du ghetto de Varsovie savaient »[8].
Autre critique. Michel Wieviorka, sociologue de l’EHESS, qui a pas mal écrit sur la violence critique Arendt, à partir d’une lecture qui me semble erronée. Selon lui, avec l’idée de banalité du mal, Arendt lierait le mal à la culture de l’obéissance, (il cite aussi les expériences de S.Milgram) et les exécutants seraient alors resubjectivés et donc dégagés de toute responsabilité. Pour lui la thèse de Arendt de la simple obéissance ne tient pas, car beaucoup des exécutants ont rajouté à leur obéissance, de la cruauté, du sadisme…et par ailleurs, elle exonère finalement les exécutants d’une responsabilité morale de leur acte et en fait des non-sujets. Arendt ne dit pas du tout que la banalité exonère de quoi que ce soit. Ils savent ce qu’ils font mais ne veulent pas (?) ou n’y pensent pas. C’est une position subjective (sans réflexivité). A noter comme on l’a remarqué lors de la 1ère séance[9], que l’atomisation des tâches, la fragmentation très forte, rend de plus en plus complexe la possibilité de faire des liens avec le but final. D’autant plus si on ne veut pas y penser ! Croisement des différents points : pas l’un ou l’autre…et peut être pas l’un sans l’autre. Car obéir sans réfléchir, sans se poser de questions, n’est-ce pas une façon de se protéger en oubliant « l’autre » ou la finalité de ce qu’on fait. Oublier « l’autre » derrière la tâche, n’est-ce pas déjà agressif ? Personne n’ignore l’écart entre parler ou traiter d’un dossier et avoir la personne en face de soi. Il peut y avoir de l’obéissance avec cruauté, sadisme. Mais pas nécessairement. Et comme les pulsions agressives sont toujours là, même dans la politesse (cf. Lacan), la question est toujours présente.
Il me semble qu’il y a entrelacements de différents éléments et niveaux rendant possibles certaines choses « monstrueuses ». Et c’est sans doute, pour ne pas dire évidemment, une lecture à niveaux multiples qu’il faut pouvoir avoir ou tenter. Sans oublier la dimension singulière de chacun, pris dans un système. Wieviorka amène la haine des Juifs comme justificatif du génocide. Je ne sais pas si Arendt l’a totalement exclue, mais a minima elle ne s’en contente pas. La haine et les discours qui l’accompagnent, la créent et la suscitent sont peut-être le terreau nécessaire pour que ça prenne. Mais si la haine prend, si des discours prennent c’est bien que d’aucuns sont prêts à le recevoir, l’alimenter ou se laisser façonner à leur insu sans pensée critique. Comment y résister ?
Lors de la séance du 28/01/2017 intitulée « Pouvoir des mots. Langue du pouvoir »[10] nous avons parlé de Klemperer et la LTI (la langue du 3ème Reich) : « « Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures de formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconscientes (…) » « Elle change la valeur des mots (mot fanatique) et leur fréquence…elle imprègne les mots et les formes syntaxiques de son poison, elle assujettit la langue à son terrible système, elle gagne avec la langue son moyen de propagande le plus puissant, le plus public, le plus secret ». Le 27 mars 33 il écrit : « des mots nouveaux font leur apparition, ou des mots anciens acquièrent un nouveau sens particulier, ou de nouvelles combinaisons se créent, qui se figent rapidement en stéréotypes ». « Les clichés finissent par exercer une emprise sur nous ». Le pire pour Klemperer est que cette langue se retrouve « mêmes chez ceux qui étaient les victimes les plus persécutés ». « J’observais de plus en plus minutieusement la façon de parler des ouvriers à l’usine, celle des brutes de la Gestapo, et comment l’on s’exprimait chez nous, dans ce jargon zoologique des juifs en cage. Il n’y avait pas de différences notables. Non, à vrai dire, il n’y en avait aucune. Tous partisans et adversaires, profiteurs et victimes, étaient incontestablement guidés par les mêmes modèles ».
Orwell décrira lui aussi un pouvoir qui tente d’exercer un contrôle absolu de la pensée par le biais d’une raréfaction drastique du lexique : « Vous ne saisissez pas, (…) la beauté qu’il y a dans la destruction des mots ? (…) Savez-vous que la novlangue est la seule langue dont le vocabulaire diminue chaque jour ? » « Ne voyez-vous pas que le véritable but du novlangue est de restreindre les limites de la pensée. A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. Tous les concepts nécessaires seront exprimés chacun exactement par un seul mot dont le sens sera rigoureusement délimité. Toutes les significations subsidiaires seront supprimées ou oubliées (…) Chaque année de moins en moins de mots et le champ de la conscience de plus en plus restreint » » Comme aujourd’hui, de façon beaucoup plus abstraite le discours de « on n’a pas le choix » fait marcher au pas.
Pour revenir à la question de la haine, la haine passe par l’animalisation, la déshumanisation, la chosification de l’autre à abattre. C’est la fabrique préalable d’un anti-sujet, d’un sous homme, d’un non-homme. La possibilité de tueries, massacres sans nom, pour lesquels les tentatives, de compréhensions d’explications n’épuisent pas le sujet. Impensable. « En 1994, entre le lundi 11 avril, 11h et le 14 mai, 14h environ 50000 Tutsis, (les cafards) sur une population d’environ 59000, ont été massacrés à la machette, tous les jours de la semaine de 9h30 à 16h, par des miliciens et des voisins hutus…. Génocide, entreprise inhumaine (ou trop humaine ??) imaginées par des humains, trop folle et trop méthodique pour être comprise »[11].
Une femme témoigne : « Il manque un mot dans notre langue, pour désigner les méfaits des tueurs d’un génocide, un mot dont le sens surpasse la méchanceté, la férocité, et cette catégorie de sentiments existants. Je ne sais pas si vous disposez de ce mot dans le vocabulaire français »[12].
Un autre : « Ce qui s’est passé… ce sont des agissements surnaturels, de gens bien naturels…le directeur de l’école et l’inspecteur scolaire de mon secteur ont participé aux tueries à coups de gourdins cloutés. Deux collègues professeurs ont mis la main à la pâte si je puis dire. Un prêtre, un bourgmestre, le sous-préfet, un docteur ont tué de leurs mains…Ces gens bien lettrés étaient calmes, et ils ont retroussés leur manche pour tenir fermement une machette. Alors pour celui qui comme moi a enseigné les humanités toute sa vie, ces criminels-là sont un terrible mystère »[13].
On retrouve là la banalité du mal, dans toute sa splendeur. Il est facile de juger le diabolique. Pour Arendt, « Les actes étaient monstrueux, mais le responsable (…) était tout à fait ordinaire, comme tout le monde, ni démoniaque, ni monstrueux ». Du coup, il est beaucoup plus difficile de juger « quand le mal commis n’est pas issu d’une volonté diabolique, mais d’une volonté banale, sans profondeur ». « Rien n’est plus éloigné de mon propos que de minimiser le plus grand malheur du siècle… Il est plus facile d’être victime d’un diable à forme humaine, que d’être victime (…) d’un quelconque clown qui n’est ni fou ni un homme particulièrement mauvais ».[14]
La banalité du mal n’est donc pas exceptionnelle. Sa possibilité se trouve en chacun de nous. C’est peut -être là que se situe l’horreur. « A l’église, j’ai vu que la férocité peut remplacer la gentillesse dans le cœur d’un homme, plus vite que la pluie d’orage. C’est une pénible inquiétude qui m’égare maintenant »[15].C’est le ressort de beaucoup de film d’horreur ou d’effroi. Quand la personne que vous pensez connaitre, en qui vous avez peut-être confiance, se retourne et devient un monstre. (Cf. « Harry, un ami qui vous veut du bien »)
En 1999 j’avais effectué une recherche, sur le maintien des liens en milieu carcéral présentée l’année suivante aux journées nationales de la FRAMAFD. La question portait en particulier sur la place de l’acte dans le maintien possible, ou non, des liens….
La violence est parfois interprétée selon trois grands principes : la violence comme réaction à une agression, une frustration… ; la violence instrumentale, mobilisée pour obtenir quelque chose ; les prédispositions individuelles, culturelles. On peut rajouter l’insuffisance du symbolique, l’insuffisance de la capacité de parler, d’élaborer ! Mais non ! On peut très bien parler, élaborer, avoir une grande culture, la littérature, la musique classique et être violent.
Les massacres de masse, se font souvent « Au nom du Père ».
Banalisation, on banalise… micro acte… micro démission…. Micro-lâchetés…. Qui nous concerne tous, tous les jours bien sûrs. Relativisation….
Le mal serait-il la violence pour la violence ? Pour la jouissance qu’elle apporte ? Violence effrénée, pure quête de plaisir ? Un excès de violence par rapport à ce qui est nécessaire pour parvenir à ses fins ? Excès apparemment superflu ou inutile de cruauté… La violence est déjà excès, débordement de force. On arriverait à l’excès de l’excès ? Ce n’est pas la violence fondamentale de Bergeret, qui relèverait non pas de l’agressivité, encore moins d’un quelconque sadisme, mais de l’instinct de survie. Il n’y a pas là de négation active de l’autre comme sujet, même si elle peut aboutir à sa destruction ou mettre en cause son intégrité physique.
« Finalement cette histoire de suicides, c’est terrible, ils ont gâché la fête » Didier Lombard, PDG France télécom, 6 mai 2019. « Nos collaborateurs ont été privés de leur succès ». Les réussites du Next et ACT ont été injustement ternies. Les plans Next Act, se sont 22000 postes à supprimer pour libérer 7 milliards de cash-flow, le tout dit dans la LCN (novlangue du capitalisme néolibéral dont nous avons déjà parlé dans le séminaire : Façons de Dire).
Bien ? Mal ? Problématique ? Selon l’OMS la santé mentale serait « avoir assez confiance en soi pour accepter ce qui ne peut être changé ». « Il faut mettre les gens en face de la réalité de la vie » dit un autre dirigeant de France Télécom et tous ceux qui comme lui disent « il n’y a pas le choix, il faut s’adapter ». « C’est ainsi » Cf. Lordon. Qu’aurait dit Hannah Arendt de ce que certains ont appelé « le Nuremberg du management ? » (in le Figaro)
Arendt parle d’une nouvelle catégorie de crimes « les massacres administratifs »[16] rendus possibles par une structure bureaucratique qui supprime la distinction entre bien et mal. Il s’agit donc d’une compréhension non morale du mal. Ces deux points : bureaucratie et non moralité, voire non-intentionnalité du mal me semble être des points particulièrement pertinents pour nous pour penser quelques questions institutionnelles aujourd’hui. Le management actuel n’a certainement pas l’idée de tuer, ni même de mettre à mal. Il n’y a sans doute pas fondamentalement une volonté de nuire ! Au contraire, c’est pour un mieux…pour notre bien à tous ??… Question d’un système qui ne veut pas le mal, mais détruit.
[1] A.Green, « Pourquoi le Mal » dans « La folie privée, psychanalyse des cas limites », éd Gallimard, 1990
[2] R. Hellbrunn, « A poings nommés, genèse de la psychoboxe », éd. L’Harmattan, 2014
[3] Y. Prigent, « La cruauté ordinaire », éd. Desclée de Brouwer, 2003
[4] Y. Prigent, op cité
[5] À lire sur le site de Visa-Vie : VOUS AVEZ DIT VIOLENCE(S) ? – Visa-Vie
[6] Eliette Abecassis, « Petite métaphysique du Meurtre », éd. Puf,1998
[7] L. Barillas, à lire sur le site de Visa-Vie : « Eichmann à Jérusalem » – Visa-Vie
[8] C. Lanzmann, « L’amour de la haine », éd Folio, 2001
[9] Lire la séance précédente sur le site de Visa-Vie : Banalité du Mal et Air du Temps. Préliminaires – Visa-Vie
[10] Pouvoir des mots. Langue du pouvoir. – Visa-Vie
[11] J. Hatzfeld, « Une saison de machettes », éd. Seuil, 2003
[12] J. Hatzfeld, op cité
[13] J. Hatzfeld, op cité
[14] H. Arendt, « Eichmann à Jérusalem », éd. Gallimard, 1966
[15] J. Hatzfeld, op cité
[16] H. Arendt, « Eichmann à Jérusalem », éd. Folio histoire, 1997