« Pour la survie psychique, un thêrapon est nécessaire, comme l’appelle Homère, un second au combat à qui il est vital de parler. Patrocle pour Achille, et pour Don Quichotte Sancho Pança ». F.Davoine
« Dans des situations extrêmes, il faut passer par les soins corporels pour permettre une reconstruction psychique » JC Weber
Cette notion de thêrapon, que j’ai déjà évoqué plusieurs fois dans ce séminaire, je la reprends à nouveau frais. Non seulement elle concerne une modalité thérapeutique intéressante dans des situations à la limite de la psychanalyse : « dans un contexte d’effondrement, – quand la violence explose les garanties de la parole, de la confiance, de la continuité, de la sécurité de la loi- qui permet de poser une communauté de champ entre trauma et folie, là où la survie est en jeu, pour le corps et l’esprit indissolublement » mais aussi parce qu’elle amène de façon particulière la question du transfert et de la parole – en corps. Qu’est-ce qu’écouter un corps dans le transfert, se demande Laurie Laufer dans un article : « L’informe et le transfert », « quand les mots seuls ne suffiraient pas à retenir le sujet du côté du vivant et de l’inanimé ». « L’atrocité est hors langage, comme disait Pierre Legendre, mais l’empreinte est restée dans le corps. Alors pour certains patients, les mots sont parfois superflus, ils sont insuffisants pour dire l’horreur, l’effroi, la terreur infantile. La cure dont le dispositif classique serait réglé sur l’association libre toucherait là une limite, le traumatisme ayant atteint les formes même de l’énonciation. Lorsque la parole devient elle-même informe, lorsque la voix même semble se défaire et se soustraire à faire tenir le corps, il resterait peut-être ce que la mémoire du corps a à dire. Les documents du corps peuvent donner à lire l’informe ».[1]
Ceux qui ont le plus travaillé cette notion sont sans doute Françoise Davoine et son compagnon Jean-Max Gaudillière qui ont tenu de longues années un séminaire « Folie et Lien social », à l’EHESS à Paris. Davoine et Gaudillière ont trouvé inspiration chez Wittgenstein (qui a connu la guerre de 14-18, et dont les frères se sont suicidés), mais aussi dans les lieux de soins psychiatriques pour les vétérans aux USA, dans le travail des analystes qui ont été des médecins sur les champs de bataille, et encore chez Don Quichotte qui traverse les désastres tout en élaborant un outil thérapeutique[2]. Travaillant dans le champ des psychoses, ils retrouvent « sans cesse la référence à la guerre, parmi les pionniers de la psychanalyse des psychoses ; La 1ere guerre mondiale avait compté Bion comme officier des chars et William Rivers, anthropologue et neurologue…Les rangs d’en face comptaient notamment Ferenczi et Frieda Fromm-Reichmann... ».
« « Quel que soit leur guerre les survivants disent la même chose que Bion : « Je suis mort à Cambrai en 1917…nous étions de vieillards avant d’avoir vécu ». En 1978, peu de temps avant sa disparition Bion écrit encore : « Je n’ai plus jamais eu d’ardeur à vivre après que James, Ernest, Charles et moi nous avons été anéantis à Cambrai en 1917…Oh oui, je suis mort à Amiens en 1918 » ». Il y a là une cassure de la temporalité, voir des repères spatio-temporels. Comment revient-on de ces zones de combats, de catastrophes, quand le Réel est là, quand la mort rode et frappe, quand il faut faire face à l’imminence de la destruction de soi et du monde, quand la survie est en jeu, pour le corps et l’esprit indissolublement ?
Traumatismes, guerres et folie partagent quelques traits communs
Pour Davoine et Gaudillière : sujet et objet se confondent, comme l’ici et l’ailleurs, le dedans et le dehors, le passé et l’actuel. Il n’y a pas d’Autre pour répondre de l’expérience du Réel. Les garanties ont explosé, les repères sont détruits (le plus souvent sans métaphore), toute valeur s’est effondrée[3]. La genèse du sujet de la parole est alors véritablement une question de vie ou de mort[4]. Le monde s’écroule, la catastrophe est imminente, et il s’agit moins du refoulement classique, de retour de refoulé, que de retranchement ou de l’excès des stimulations par rapport aux capacités du sujet, ainsi que de l’insuffisance du filtre du langage par lesquelles passent normalement un certain nombre de ces stimulations[5]. Davoine et Gaudillière lisent la folie comme « le moment et la dynamique du passage où un sujet tente d’exister en essayant d’inscrire un réel jusqu’ici non transmissible »[6].(Souffrance de ne pas oublier). Pour le psychanalyste, s’il accepte de prendre en soin ces traumatisés et ces fous, il est nécessaire d’adopter de nouveaux points de vue, de nouvelles dispositions, de nouveaux dispositifs. En particulier, la neutralité habituelle contrevient en pareil cas à l’éthique[7]. Dans ces cas d’expériences humaines extrêmes, « l’amour ne suffit pas »[8]. Il s’agit ici de l’amour de transfert, qui ne peut plus être unidirectionnel[9]. Parfois il faut imaginer, sentir, rêver à la place du patient[10], aller assez loin dans l’identification au patient[11].Davoine cite Otto Will racontant l’histoire d’un soldat hospitalisé, « forme mutique sous son drap de l’hôpital. Otto Will qui pour sa part relevait d’une intervention chirurgicale, avait pris l’habitude de s’assoir à ses côtés, en disant tout haut à l’adresse de cet homme, les images et les mots qui lui venaient à l’esprit. Cela l’avait semble-t-il sorti de son marasme » p. 177/1
Les constats et pratiques des psychiatres du front se retrouvent dans les quatre principes énoncés par Thomas Salmon, psychiatre américain, pour servir de repères aux analystes qui affrontent l’urgence des traumatismes et de la folie[12]: proximité, immédiateté, expectancy (qui contient une charge d’espérance que ne contient pas l’attente[13]), et simplicité[14]. Ces principes, sont « des coordonnées amorçant la possibilité d’une relation transférentielle dans le contexte de l’effondrement d’un monde »[15]. On le saisit, il s’agit moins de règles techniques que de l’attitude fondamentale du thérapeute[16]. A l’instar de Wittgenstein prononçant sa Conférence sur l’Ethique, il faut y être de son propre fonds, parler à la première personne[17].
Ces principes sont destinés à former une base rigoureuse pour la « dynamique d’un transfert » d’un type particulier requis par le caractère extrême de la situation. Sa visée n’est autre que « la genèse d’un nouveau lien social sur les ruines de la loyauté et donc de la parole » : « La proximité ouvre un nouvel espace de fiabilité face au chaos », l’immédiateté « une temporalité vivante au contact de l’urgence », l’expectancy « construit l’accueil au retour de l’enfer » et la simplicité est la « nécessité d’en faire état sans jargon » [18].
C’est dans la description de ces principes, sur lesquels nous reviendrons, que Davoine et Gaudillière évoquent le therapôn : ils l’ont trouvé dans un ouvrage américain de Jonathan Shay[19], qui veut rendre compte de l’importance vitale du buddy, du copain au combat en comparant la guerre du Vietnam avec l’Iliade[20],
Avant d’approfondir ces principes je développerai les diverses occurrences où apparaissent le terme de thérapon, avec les variations et modulations de sens qui s’y glissent. Pour ce faire je m’appuierai sur la recherche quasi exhaustive qu’en a faite JC Weber dans sa thèse de philosophie : « La clinique, laboratoire de la médecine ». Thèse dans laquelle il aborde au chapitre XI la question du médecin, thêrapon du malade, notamment dans les situations où le corps est sévèrement atteint, et où la question première n’est pas celle du désir et de la demande du malade, mais celle urgente d’insuffler du vital. Ayant pris la notion de thêrapon à Visa-Vie, il m’autorise à reprendre à mon compte le fruit de ses recherches.
Le therapôn, un serviteur privilégié
Hésiode, ce paysan devenu poète, est l’auteur du poème Théogonie, qui présente les dieux de la mythologie grecque. Son nom, Hésiode, signifie « celui qui émet la voix » : les Muses lui ont confié cette mission, et il se considère comme le therapôn (Θεράπων), le serviteur, l’auxiliaire des Muses[21]. On retrouve cette idée d’un serviteur privilégié dans la Bible. Therapôn est un hapax dans le Nouveau Testament[22]. Il figure dans l’épître aux Hébreux (Hb 3 ; 5) : « Or Moïse fut accrédité dans toute sa maison comme serviteur en vue de garantir ce qui allait être dit… ». La traduction œcuménique de la Bible signale par une note que le mot grec que traduit ici serviteur (therapôn, donc) a un caractère honorifique. Hésiode therapôn des Muses, Moïse therapôn de YHWH. Ce terme établit une distinction avec d’autres mots possibles pour désigner des serviteurs : diakonos représente le serviteur dans son activité au travail (étymologiquement dia-konis : quelqu’un qui court à travers la poussière) et non dans sa relation avec une personne. Doulos est l’esclave, en relation servile permanente avec un autre. Hypēretēs (ὑπηρέτης) est un serviteur de rang inférieur[23]. En Grèce, l’homme libre (eleutherôs) s’oppose à l’esclave (doulos)[24]. Selon le théologien Richard Trench, « la nuance entre doulos et therapôn existe réellement. Doulos (…) c’est proprement l’homme lié – quelqu’un en relation permanente de servitude par rapport à un autre, et cela, abstraction complète de tout service rendu à cet autre : mais therapôn c’est celui qui accomplit des services actuels sans égard au fait que c’est comme homme libre ou comme esclave qu’il les rend, sans se dire qu’il est lié par le devoir ou par l’amour ; et ainsi il s’ensuit tout naturellement que le therapôn fait toujours songer à quelqu’un dont les services sont plus spontanés, plus nobles, plus libres que ceux du doulos »[25].
Malick Ndoye remarque qu’à l’époque homérique, les therapôntes, comme les thètes[26] et les démiurges[27], « proviennent aussi bien de l’aristocratie que des basses couches sociales. Ces hommes libres accomplissent un « travail pour autrui » qui « implique non seulement que d’autres recueillent une partie des fruits, mais aussi qu’ordinairement ils contrôlent de façon directe le travail fait et ses modalités d’exécution » »[28]. Cette catégorie sociale intermédiaire et hétérogène prend place entre les maîtres d’oikos (aristocrates ou paysans, ils agissent pour eux-mêmes, leurs activités et leurs travaux sont personnels), et les esclaves, subissant un travail forcé. Le therapôn, est la figure presque oxymorique d’un serviteur libre, mais aussi un homme de confiance, avec lequel on dialogue, auquel le dieu ou les muses parlent de vive voix. Mais la première référence donnée par le dictionnaire Bailly pour le therapôn évoque un autre contexte que la poésie, la divinité, ou le travail domestique. Il s’agit de la guerre, et notamment la guerre de Troie. Le therapôn, défini comme « qui prend soin de », est, comme substantif[29], en tout premier lieu un serviteur dévoué, un suivant, non synonyme de doulos, mais homme de naissance noble, qui remplit volontairement un service honorable (Patrocle auprès d’Achille).
Dans l’Iliade, Patrocle est désigné comme le therapôn d’Achille. C’est la figure par excellence du therapôn[30],. Les therapôntes sont des ankhémakhoi, des experts en corps à corps, dans le combat rapproché[31]. Le terme de therapôn suppose un lien avec un chef : c’est une relation hiérarchique[32]. Mais selon Nagy, les contextes où Patrocle est nommé therapôn d’Achille[33] montrent que la force du mot va au-delà des dimensions d’un simple écuyer au combat, alors qu’il persiste un doute sur ses capacités de combattant lorsqu’il se trouve isolé d’Achille : Patrocle et lui sont des combattants équivalents aussi longtemps qu’il (Patrocle) se tient à ses côtés[34]. En fait Patrocle va se laisser aller par sa colère à transgresser les limites fixées par Achille[35] et trouvera la mort. (cf note) Meurt quand il va au combat, à la place d’Achille ? Quand il se met en avant ?
Du serviteur au thérapeute. L’important, c’est l’action du therapôn : le therapôn prend soin[36]. Dans la famille sémantique de therapôn, on trouve le verbe therapeuein[37]. La fonction du therapôn est en effet aussi celle de soigneur. À partir du Ve siècle (av. JC), therapeuein signifie aussi soigner, guérir un corps, restaurer son bien-être, et plus généralement prendre soin de quelqu’un[38]. On retrouve cette proximité dans la langue anglaise (to care for, utilisé aussi dans le contexte spécifique du soin de santé, et dans la proximité entre cura = le soin, le souci, et la cure médicale). Therapeuein, au sens de maintenir le bien-être, se soucier de, prendre soin, et au sens spécifique de soigner, guérir, est relié à l’idée d’un substitut rituel qui maintient le bien être d’un être supérieur dont il est le serviteur en se tenant prêt à mourir pour lui. ?? C’est la fonction thérapeutique du therapôn. Therapeuin, dans la connotation affective du « s’occuper de » quelqu’un, est lié au philos dans le sens de « proche et cher ». Il est donc question de philia, de tendresse indéfectible, d’amitié. Le thêrapon est à a fois serviteur et ami. Quand la médecine s’emparera du therapeuein, elle lui donnera un sens spécial : mais a-t-elle importé en même temps du therapôn la dimension de service ? A lire ces remarques, on peut songer que le therapôn est à situer davantage du côté de l’epimeleia,(prendre soin) et que le médecin thérapeute a peu, si jamais, été pensé comme un serviteur à cette époque.
Que retenir alors de l’histoire du therapôn pour notre actualité ?
Le principe repéré dans l’Iliade, chez Cervantès par Françoise Davoine [39], et ce qui ressort des leçons produites par les psychanalystes qui se sont aventurés dans ce champ du traumatisme et de la guerre est le suivant : « Pour la survie psychique, un therapôn est nécessaire, comme l’appelle Homère, un second au combat à qui il est vital de parler. Patrocle pour Achille, et pour Don Quichotte Sancho Pança » [40]. Le therapôn, c’est celui ou celle qui permet de ne pas être seul quand on est en menace de disparition[41]. C’est donc une présence vitale en temps de crise extrême[42]. Ainsi, quand Don Quichotte s’en prend aux moulins à vent, et qu’il se trouve dans un état d’égarement, qu’il a perdu toute mesure humaine (reviviscence des violences de la guerre), Sancho Pança « inaugure son travail thérapeutique qui consiste d’abord à regarder les blessures, à redonner forme à ce corps désarticulé, et à lui parler. Il prend la résolution de dire à sa place la faim, la fatigue, la douleur, que Don Quichotte est bien en peine d’exprimer »[43]. Il est aussi question de la proximité physique, d’un « corps à plusieurs »[44], « proximité qui permet de construire d’abord un miroir, quand, au réveil d’un coma, par ex, on a perdu la face »[45]; et encore, d’un savoir reconnu à l’autre : Cervantès écrit que « seul Sancho Pança pensait que tout ce que disait son maître était vérité, sachant qui il était et l’ayant connu depuis sa naissance »[46]. Le therapôn ne dédaigne pas le « premier baume » qui consiste en « paroles de réassurance » relevant du simple « savoir-vivre »[47]. Plus technique, il a recours à l’art de raconter des histoires pour distraire, pour braver les monstres de la nuit[48]. Averti, il « ne peut attendre la demande de celui qui a renoncé au commerce des hommes. Mais il doit s’attendre par contre à la question « Qui êtes-vous ? »[49] C’est-à-dire qu’il est prêt à des libertés par rapport au standard du traitement[50].
Le therapôn ne s’arrête pas aux recommandations de prudence, « de ne pas faire intrusion dans le monde si fragile de nos patients », car ces mises en garde « ignorent la solidité des défis qui nous sont lancés, avec l’espoir fou que nous nous risquions dans la bagarre », à partir « de notre propre fond »[51]. Sans évoquer la figure du therapôn, O’Dwyer de Macedo dit quelque chose d’analogue : « dans toute situation clinique limite, l’essentiel du travail se fait d’abord chez l’analyste – c’est lui qui porte le transfert – et dépend donc à la fois de son investissement et de sa créativité »[52]. De même, ce qu’écrit Laurie Laufer sur la clinique de l’informe (elle appelle ainsi le travail analytique avec des personnes fortement traumatisées) rappelle, sans qu’elle y fasse référence explicitement, certains des traits du therapôn : le « corps à corps psychique » est une proximité particulière ; le retour à la sensorialité de la parole, une simplicité inusitée[53]. L’analyste est l’éraste.
Pour JC.Weber, le chaos de l’épreuve somatique requiert vitalement la proximité du médecin (et c’est probablement plus vrai encore des infirmières et aides-soignantes) et des gestes immédiats qui assurent a minima le sentiment de « continuité d’existence » comme dirait Winnicott[54]. Ici, le terme de « prise en charge » est à prendre à la lettre : les soignants se chargent des besoins corporels du malade. Si la situation du patient semble lancer un défi, il faut relever le gant, et « relever le gant, c’est aller immédiatement au contact, donc parler. Il ne s’agit pas d’attendre passivement la suite : il n’y a pas de suite »[55]. Et avant la parole, il y a aussi souvent le toucher du corps de l’autre. L’expectancy renvoie selon moi à l’hospitalité première, qui construit l’accueil sans attendre la formulation d’une demande, qui vient au-devant du malade et lui signifie concrètement qu’il a une place « réservée », autrement dit qu’il est « aimé »[56]. La simplicité est aussi l’ordinaire des pratiques des soignants non-médecins. Elles sont accomplies généralement sans jargon, sans aversion non plus[57]. Pour les médecins, c’est une maxime qui semble plus difficile à adopter[58].
Quel est le régime érotique du therapôn ? Eros, Philia et Agapé sont en jeu
Pour Davoine, « Les affects qui animent cette relation vitale transcendent ceux de l’amour, et les stéréotypes interprétatifs passent complètement à côté des nécessités et des obligations de cette place mutuelle »[59]. Patrocle plus âgé est l’éraste (Banq. 179e), et Achille, plus jeune et très beau, l’aimé (éromène). Le passage du therapôn à l’amour s’éclaire par l’action du therapôn : le therapôn prend soin. Le therapôn se départit de ce qu’il a et de ce qu’il est, pour ne s’assurer que de ce qu’il fait[60]. Il promet « Me voici ! » Être là. Davoine et Gaudillière suggèrent une philia particulière par le lien inconditionnel qu’elle implique, une relation « si intense que le mot grec philia en devient difficile à traduire, car elle est plus et autre que l’amitié ou l’amour »[61]. L’idée du service y est prégnante. L’absence de réciprocité également. Son inconditionnalité renvoie aux principes d’action (immédiateté) du therapôn, qui incarne aussi une forme de « gratuité pure de la donation » désintéressée. Mais l’amour du therapôn ne partage-t-il pas des aspects de l’agapē ? (Amour « divin » spirituel, et inconditionnel). Mais il convient d’être particulièrement vigilant pour occuper cette position, d’autant plus que l’éromène est dépendant.
On peut saisir ainsi l’extrême délicatesse qui est requise de la part du therapôn. Roland Barthes en caractérise quelques « scintillations » (ce qui brille par éclats, en désordre, fugitivement)[62], que je reprends ici pour notre propos. La minutie[63] témoigne d’un art, c’est-à-dire d’une « pratique fine de la différence ». La délicatesse est alors de « ne pas traiter les objets de la même façon : traiter l’apparemment même comme différent ». Alors, que sous couvert du principe de justice, on s’emploie le plus souvent à dire qu’il faut « traiter de manière similaire les cas similaires », ici l’accent est mis sur l’attachement à la singularité. La discrétion[64] agit sans donner à voir qu’on agit. Dans le champ de l’amour, cela signifie de « ne pas peser sur l’autre par des manifestations démonstratives »[65]. La métaphorisation est la délicatesse dans l’usage de la parole, dans le choix des mots, pour dire la maladie, sa gravité, le pronostic, etc. « En choisissant sa langue, on choisit son réel »[66]. Face au grand malade, ou dans des situations de grande douleur, il faut parler avec délicatesse. Le principe de délicatesse est sous-tendu, et ses conduites sont déterminées « par quelque chose qui est comme un état amoureux », « décroché du vouloir-saisir »[67]. C’est ici qu’on peut rapprocher la proximité immédiate du therapôn avec le « laisser l’autre être seul », si l’on reprend l’idée d’Allouch (aimer, c’est laisser l’autre être seul), La proximité, parfois vitale, n’enferme pas l’autre, même si, et surtout quand tout semble l’y autoriser. Le propre du therapôn, c’est celui qui ne laisse pas seul au moment de la disparition possible, mais décroché du vouloir saisir.
« Chaque fois que dans mon plaisir, mon désir, ou mon chagrin, je suis réduit par la parole de l’autre (souvent bien intentionnée, innocente) à un cas qui relève très normalement d’une explication ou d’une classification générale, je sais qu’il y a manquement au principe de délicatesse »[68]. Barthes
« J’appellerai volontiers le refus non violent de la réduction, l’esquive de la généralité par des conduites inventives, inattendues, non paradigmatisables, la fuite élégante et discrète contre le dogmatisme, bref le principe de délicatesse, je l’appellerai en dernière instance : la douceur » [69].
Pratique à Visa-Vie, pratique de la psychoboxe, pratique de l’extrême douceur.
Éthique du therapôn
Quel est le régime éthique du therapôn ? Ce n’est pas l’altruisme qui est le guide, comme on aurait pu le croire spontanément ; mais, tant qu’à faire, plutôt l’exploit, tel celui de nouer des éléments épars survivant à une catastrophe, « pour que renaisse un sujet rayé de sa propre histoire »[70]. On retrouve là des notations de Lacan sur le contre-transfert. L’analyste a « un pied dans le bain, ou au feu, de la folie, il se mouille et se brûle, mais non sans avoir un pied sur la terre ferme d’où il prend appui pour tirer l’autre de l’enfer »[71]. Il est également question du courage. Celui de la rencontre en premier lieu, car le malade peut être défiguré, perturbé, agité, agressif, etc. Il faut le témoignage des malades pour prendre conscience des efforts que fait l’entourage pour fuir, rejeter, esquiver une rencontre inquiétante[72] : « Comment celui dont le spectacle suffit à mettre en péril des repères de base pourrait-il être côtoyé sans susciter de l’inquiétude ?»[73] Comme toute vertu, le courage suppose une pratique assidue, une ascèse, ici du regard, pour ne pas être ébahi ou sidéré et pouvoir rencontrer un autre « que tu as avant tout peur d’être », et ne pas souhaiter, « ne serait-ce qu’à ton insu, son anéantissement immédiat, et par tout moyen à ta disposition : la fuite, l’évanouissement, le meurtre, etc. ? »[74]. Mais c’est avant tout le courage du malade que le therapôn assiste de sa présence. Le therapôn est déjà celui qui ne prend pas la fuite, qui ne s’évanouit pas. Présence d’avant toute mise en œuvre d’un savoir-faire spécialisé. Le therapôn répond à un appel, à un cri qui n’est pas encore une demande[75]. On se situe là avant toute réponse à la demande. Proximité simple. Mais cette proximité n’est pas fusion, ne fait pas Un. Trop lointain, sa présence frise l’indifférence. Trop proche, elle peut être envahissante. On retrouve l’éthique du tact. C’est une éthique de fidélité à la situation[76], qui maintient sa présence malgré tout. Sa tâche prioritaire est d’évaluer la qualité de présence requise. Les autres vertus du therapôn sont la sôphrosunē [77]Modestie tempérance. La phronēsis ; la prudence : requise pour juger à tout moment de la bonne attitude, pour jauger l’équilibre érotique et éthique instable de la situation et s’ajuster en conséquence. La présence de l’autre bienveillant peut être violente et éveiller la haine. Il faut beaucoup de prudence pour répondre à un appel qui n’est pas une demande. A-t-on bien entendu ce qui était à entendre ? Seule la phronēsis permet de juger ce qui convient hic et nunc, Repérer ce qui convient à chaque situation est, dans le registre pratique, affaire de phronēsis. La dimension catastrophique n’impose pas de gommer les variations singulières qui la caractérisent. Les soins apportés à un patient fragile, vulnérable, charrient le risque de l’emprise, même – et peut-être surtout – quand on veut bien soigner[78]. Voilà la difficulté éthique et érotique : vouloir bien soigner, et en même temps, se garder de tous les chausse-trappes qui peuvent en résulter. Donc, une érotique investie (force de la libido) et désintéressée (sublimation de pulsions fortes, plutôt que répression ou retrait de la libido et désintérêt). Vouloir tout en ne voulant pas. Peut-être peut-on proposer ici : aimer, comme n’aimant pas. Non pas faire « comme si » (comme si on aimait, alors qu’on n’aime pas vraiment), mais faire « comme non »[79].
[1] Laufer Laurie, « L’informe et le transfert », Recherches en psychanalyse 2005/1 ;3 : 85-96
[2] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.143.
[3] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.200.
[4] Ibid., p.38.
[5] Ibid., p.114.
[6] Ibid., p.149.
[7] Ibid., p.118.
[8] Ibid., p.119.
[9] Ibid., p.141.
[10] Ibid., p.193.
[11] Davoine Françoise, La folie Wittgenstein, op.cit., p.66.
[12] Et nous pensons là encore qu’on peut les transposer en médecine somatique pour les patients traumatisés par la maladie grave.
[13] Macedo propose « attente accueillante » et traduit les quatre principes : espace, temps, affect, manière (O’Dwyer de Macedo Heitor, Lettres à une jeune psychanalyste, Paris, Stock, 2008, p.227).
[14] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.196.
[15] Ibid., p.197.
[16] Davoine Françoise, La folie Wittgenstein, op.cit., p.65.
[17] De sa Conférence sur l’éthique, Wittgenstein dit qu’il a parlé de son propre fonds, à la première personne, car il s’est situé à un niveau où on ne peut parler de constat, on est aux bornes du langage (Wittgenstein Ludwig, « Conférence sur l’éthique », op.cit., p.158).
[18] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.200.
[19] Shay Jonathan, Achilles in Vietnam: Combat Trauma and the Undoing of Character, New York, Touchstone/Simon & Schuster, 1995.
[20] Dans la version moderne de la guerre, Shay a dégagé la figure transférentielle qu’occupe au combat un soldat pour un autre : le « keeper of the mind », celui qui a charge d’âme.
[21] Hésiode, Théogonie, trad. E. Bergougnan, Paris, Librairie Garnier, p.100-101.
[22] Nous avons fait plusieurs recherches dans des thésaurus lexicaux, dont la Concordance Strong.
[23] Ce terme est employé dans le Corpus Hippocratique (Traité des Epidémies, I, 5) pour désigner le médecin, hypēretēs de la tekhnē. Nous y reviendrons un peu plus loin.
[24] Benveniste Emile, Le vocabulaire des institutions indo-européennes . 1…, op.cit., p.321.
[25] Trench RC, Synonymes du Nouveau Testament, Paris, Grassard, 1869, p.34.
[26] Thètes = citoyens les plus pauvres, ils sont contraints le plus souvent de louer leurs services à autrui moyennant salaire. Ce sont en quelque sorte des journaliers.
[27] Démiurges = détenteurs d’un savoir-faire spécialisé (artisans, hérauts, aèdes, devins, médecins), qui offrent leurs services à la communauté. « À la différence des thètes et des esclaves capables seulement d’exercer leur force physique, les démiurges sont dotés d’un savoir-faire qui suscite l’admiration pour leur talent, voire la crainte » : Ndoye Malick, Groupes sociaux et idéologie du travail dans les mondes homériques et hésiodique, Besançon, Institut des Sciences et Techniques de l’Antiquité, 2010, p.141.
[28] Ibidem. Malick Ndoye cite un ouvrage de Moses I. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne.
[29] Comme adjectif, therapôn signifie dévoué à, serviable pour.
[30] Les autres emplois du terme therapôn dans la poésie grecque ancienne seraient sémantiquement dérivés et secondaires : c’est le compagnon d’armes, c’est-à-dire l’écuyer (ex Iliade, VIII 104 : Mérion, vaillant écuyer du héros Idoménée) ou encore le préposé, l’aide de camp (ex Iliade XI 843, XIX 143 : Agamemnon dit à Achille que ses therapôns/serviteurs vont lui apporter des présents). Θεράπων apparaît de façon déséquilibrée dans l’épopée homérique (Iliade : 57 occurrences ; Odyssée : 12 occurrences). Il désigne des guerriers, nobles pour la plupart, mais étrangers bannis de leur patrie à cause d’un crime, dans l’Iliade où ils jouent un rôle très important sur les champs de bataille, et des serviteurs de condition plus modeste dans les oikoi de l’Odyssée. On passe en quelque sorte de l’écuyer au majordome (en temps de paix). Ndoye explique le déclin ultérieur du therapôn guerrier par la réforme hoplitique (soldats- citoyens combattant en phalanges) qui les a rendus inutiles. (Ndoye Malick, Groupes sociaux et idéologie du travail…, op.cit.)
[31] Iliade XVI 272, XVII 165.
[32] Le chef emploie des termes possessifs (mon ou mes therapôntes). Tous les myrmidons commandés par Achille sont ses therapôntes. Un therapôn peut avoir son propre therapôn : ainsi Automédon, le therapôn d’Achille, devient celui de Patrocle lorsque ce dernier prend la tête des myrmidons.
[33] Iliade XVI 165 : tous les chefs des Myrmidons se rassemblent auprès du vaillant écuyer d’Achille qui va conduire la bataille en ayant revêtu les armes d’Achille. Iliade XVI, 244 : Achille invoque Zeus. Tandis qu’il reste à l’arrière, il envoie avec les Myrmidons son ami au combat, et demande à Zeus de faire en sorte qu’Hector apprenne si notre therapôn peut à lui seul guerroyer, ou si ses bras ne se déchaînent, redoutables, que lorsque moi je vais en personne affronter le tumulte d’Arès. Iliade XVI, 653 : Zeus se demande comment il va faire mourir Patrocle : comme c’est un noble therapôn, il choisit l’option où Patrocle va encore tuer de nombreux preux d’Hector avant de perdre la vie. cf. aussi Iliade XVII 164, 271, 388…
[34] Iliade XVI 241–245 Iliade XVI, 244 : Achille invoque Zeus. Tandis qu’il reste à l’arrière, il envoie avec les Myrmidons son ami au combat, et demande à Zeus de faire en sorte qu’Hector apprenne si notre therapôn peut à lui seul guerroyer, ou si ses bras ne se déchaînent, redoutables, que lorsque moi je vais en personne affronter le tumulte d’Arès.
[35] Les limites qu’Achille lui avait fixées étaient formulées ainsi : « attaque l’ennemi avec vigueur pour préserver les navires, sois docile à mon ordre, retiens dans ton cœur mes avis jusqu’au bout; aussitôt que les vaisseaux seront dégagés, retourne sur tes pas, repousse le désir de combattre sans moi les belliqueux troyens, car tu diminuerais ainsi mon propre honneur, ne va pas, enivré par l’ardeur de la lutte et le sang des troyens, conduire nos guerriers jusqu’aux remparts de Troie, reviens en arrière aussitôt que les nefs seront à l’abri et dans la plaine alors laisse-les tous combattre ». (Iliade XVI 87–96).
[36] Si dans le texte biblique, le mot therapôn conserve un sens particulier, si chez Pindare (né en 522 ans av. J.-C), le therapôn est dévoué au service de ses hôtes, ce ne semble plus être le cas chez Hérodote (né en -480), pour qui le therapôn est simplement un serviteur (dictionnaire Lidell Scott). C’est également le cas chez Platon, où le terme apparaît peu et ne donne pas lieu à des commentaires particuliers (République livre 9, 579a ; Lois livre 1, 633c ; Alcibiade A, 122c). Dans le Phédon (85a), ce sont des cygnes qui sentant leur mort approcher, chantent à la perspective de bientôt rejoindre le dieu dont ils sont les therapôntes. Il faut tout de même évoquer le Banquet. Le mot therapôn y figure une seule fois, dans la bouche de Diotime qui nomme Eros therapôn d’Aphrodite, parce qu’il a été engendré lors des fêtes données en l’honneur de la naissance de la déesse. Nous avons vu auparavant ce qu’il en est des positions d’Achille et Patrocle dans le discours de Phèdre (il n’est alors pas question du therapôn), et nous y reviendrons à la fin de ce chapitre.
[37] Dans le Bailly : Therapeuo : prendre soin de, c’est-à-dire :
- Servir, être serviteur (Platon Euthyphron 13d, servir quelqu’un)
- Entourer de soins, de sollicitude, d’où
- honorer les dieux, les parents (Platon République 467a)
En mauvaise part, choyer, flatter, courtiser
- S’occuper de, entretenir, soigner, prendre soin, [de quelqu’un, soigner des chevaux Gorgias 516e, de choses, s’occuper des choses du culte, cultiver la terre Gorgias 513d, prendre soin de la flotte, veiller à ce que…ne…
- Donner des soins médicaux, soigner, traiter (Hippocrate ancienne médecine 11) Platon Lois 684c : soigner ou traiter les corps ; Aristote EN 1,13, 7 : soigner les yeux.
Par analogie, porter remède aux parties d’un navire qui fatiguent
Figuré : atténuer ou faire disparaître un soupçon
[38] Nagy Gregory, The ancient greek heroes in 24 hours…, op.cit., p.165.
[39] Don Quichotte est animé d’une folie qui explore les reviviscences traumatiques de l’auteur, Cervantès, lequel part à 24 ans à la guerre contre les Turcs, se retrouve en esclavage au bagne à Alger pendant 5 ans, et ne rentre en Espagne qu’après 10 ans d’exil. Le livre est écrit « sous l’angle de la talking-cure psycho-dynamique, entre Don Quichotte et Sancho Pança, quand ils se parlent après chaque crise de reviviscences traumatiques » (Davoine Françoise, Don Quichotte, pour combattre la mélancolie, op.cit., p.21).
[40] Ibid., p.18.
[41] Ibid., p.103.
[42] Par exemple, Hélène Ewenczyk rapporte des éléments de son parcours analytique et des traumas qu’elle a vécus, et évoque un de ses analystes comme un therapôn, quelqu’un avec qui elle pourrait aller au combat et affronter certains dangers. Ewenczyk Hélène, « J’arpente le jour. Le temps du « bruit », le temps de la peur, le temps des pluriels », Che vuoi ? 2009/1 ; 31 :81-97.
[43] Davoine Françoise, Don Quichotte, pour combattre la mélancolie, op.cit., p.110.
[44] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.131.
[45] Ibid, p.154.
[46] Ibid., p.136.
[47] Ibid., p.164.
[48] Ibid., p.188.
[49] Ibid., p.214.
[50] Voir par exemple Chemla Patrick, « Neutralité malveillante », La clinique lacanienne 2009/1 ;15 : 43-59.
[51] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.237.
[52] O’Dwyer de Macedo Heitor, Lettres à une jeune psychanalyste, op.cit., p.35.
[53] Laufer Laurie, « L’informe et le transfert », Recherches en psychanalyse 2005/1 ;3 : 85-96.
[54] Jaeger Philippe, « La santé selon Winnicott : les rapports psyché-soma », Revue française de psychosomatique 2009/2 ;36 :129-45.
[55] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.211.
[56] Un psychothérapeute écrit ceci : « Je suis persuadé qu’il n’y a pas d’évolution possible dans une thérapie avant que le patient ne se sente quelque part, lui aussi, « aimé ». Aimé pour soi, sans que le thérapeute en attende un bénéfice personnel quelconque, accueilli tel qu’il est, compris et soutenu. Ici il ne s’agit plus de technique ni de savoir-faire, mais de savoir « être avec ». N’oublions pas que thérapein en grec signifie être au service de… avant même de signifier « soigner », le thérapon étant chez Homère le serviteur. La vraie mutation vers le changement possible se fait à ce niveau-là. (Caccamo Joseph, « Le mythe d’Aphrodite », Cahiers de Gestalt-thérapie 2011/2 ;28 :27-38).
[57] Alors que l’effet de la maladie visible dans le regard de l’autre peut produire un effet de retour dévastateur : « j’en suis encore tout chambardé : je t’ai vue te défaire sous mes yeux ; il n’a pas fallu plus d’un instant. Lorsque nos regards se sont croisés (…) j’ai vu quelque chose qui s’effondrait en toi ». (Fennetaux Michel, op.cit., p.13).
[58] Les regards qu’on porte sur Michel Fennetaux, atteint de maladie de Parkinson (la maladie de Parkinson, par les troubles moteurs qu’elle induit, ne passe généralement pas inaperçue, en dehors de ses formes de début) sont rarement des regards « simples », qui n’expriment qu’une chose et ne l’affectent pas ; ils sont le plus souvent complexes, ambivalents, et le plongent dans l’angoisse. « Je les surprends souvent quand ils m’observent à la dérobée, mais l’instant le plus instructif est celui où ils me voient les voir, où ils s’aperçoivent que celui qui les regardaient les a surpris en train de le regarder. Et dans ces regards surpris, je vois de l’ébahissement, de la stupéfaction, de la sidération, et comme une expression de vertige à découvrir qu’un regard habite cette ‘chose’ qu’ils regardaient ». Fennetaux Michel, op.cit., p.37.
[59] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.251.
[60] Marion Jean-Luc, Le phénomène érotique, op.cit., p.122-3.
[61] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.254.
[62] Barthes Roland, Le Neutre, op.cit.
[63] Barthes parle de l’art du thé.
[64] Dictionnaire Trésor de la Langue Française Informatisé : 1. La discrétion implique la faculté de discerner, le pouvoir de décider 2. La discrétion implique la réserve, la mesure, la modération : Qualité d’une personne qui apprécie justement les actes ou les paroles qui peuvent choquer, gêner ou peiner. Mettre de la discrétion dans sa conduite. Synon. délicatesse, réserve, tact. Caractère de ce qui n’attire pas l’attention, ne se fait pas remarquer, est de bon ton. 3. La discrétion implique ou suppose le secret.
[65] Barthes Roland, Le Neutre, op.cit., p.60.
[66] Ibid., p.64 : « ce n’est pas le même réel, le même contact, de dire à l’être désiré : ma langue sur ta peau ou mes lèvres sur ta main ».
[67] Ibid., p.65. Barthes cite un auteur japonais qui décrit le sabi, un complexe de valeurs-sensations : « la simplicité, le naturel, le non-conformisme, le raffinement, la liberté, la familiarité étrangement mitigée de désintéressement, la banalité quotidienne exquisément voilée d’intériorité transcendantale ».
[68] Ibid., p.66.
[69] Ibid. p.67.
[70] Davoine Françoise, Gaudillière Jean-Max, Histoire et trauma, la folie des guerres, op.cit., p.248.
[71] Ibid., p.251.
[72] « Dans l’entourage des malades, la maladie développe des sentiments étranges : de la haine jusqu’à l’amour dévorant, en passant par le mépris, sentiments qui d’ailleurs ne doivent rien aux tendresses ou aux haines qu’inspirent l’être sain. Tel amour passionné se brise ; de vieilles rancunes filiales, conjugales, naît le dévouement le plus sublime ». Reverzy Jean, « La vraie vie » ; op.cit.,p.605.
[73] Fennetaux Michel, op.cit., p.39.
[74] Ibid., p.40.
[75] Levinas Emmanuel, « L’éthique est transcendance – Entretien avec E Hirsch », in Hirsch Emmanuel, Médecine et éthique. Le devoir d’humanité, Paris, Cerf, 1990, p.43.
[76] Seule éthique qui tienne pour la médecine, selon Badiou. Badiou Alain, L’éthique ; essai sur la conscience du mal, Paris, Hatier, 1998.
[77] Comme le courage, elle sera étudiée encore plus loin (chapitre XIII).
[78] Ibid., p.64.
[79] Cf. le « comme non » de l’épître de Paul aux Corinthiens : « Voici ce que je dis, frères, c’est que le temps est court; que désormais ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent du monde comme n’en usant pas, car la figure de ce monde passe » (I Cor 7 ;29-31), que commente Agamben Giorgio, et al., « Une biopolitique mineure », art.cit.