18/01/2020
Philippe Koeppel

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La paideia, que l’on trouve déjà chez Homère dans le sens de progression vers l’excellence, est un terme qui se traduit ordinairement par éducation, mais qui peut revêtir différentes significations. Ainsi désigne-t-il aussi bien le mouvement vers l’acquisition de la connaissance que l’édification d’un savoir-être, ou encore le modelage du caractère humain selon un idéal issu de la tradition, de la culture, de la littérature, aussi bien que le façonnement de l’être ou le parachèvement de l’existence. Sous tous ces aspects, le concept est proche de celui de Bildung en allemand. On constate en tout cas qu’il implique des profits non seulement en termes d’avoir (par l’apprentissage comme accumulation des savoirs), mais aussi en termes d’être, autrement dit de construction et de transformation de la personne (en traduction post-foucaldienne : de subjectivation). Vous voyez-là d’ailleurs comment se profile dès l’antiquité la distinction reprise par Foucault entre « savoir de connaissance » (l’accumulation, mais sans effet sur l’être) et « savoir de spiritualité » (où l’acquisition s’accompagne d’un retournement de l’esprit sur ses bases, vecteur d’une transformation dans l’être). C’est une opposition que Michel Constantopoulos avait déjà esquissée il y a quelques mois dans son commentaire de l’Apologie de Socrate, où il dressait le portrait d’un pédagogue singulier, comparable au taon ou à la torpille, autrement dit qui pique ou qui paralyse, faisant perdre à ses interlocuteurs tout repère et toute croyance pour les abandonner à un vide qu’il ne s’agit cependant pas de remplir avec n’importe quoi. Contrairement aux sophistes, pour qui l’enjeu serait de mettre dans l’âme – où il n’est pas – un savoir qui se présente alors comme un ensemble mort ou figé, le Socrate de Platon considère le savoir comme ce que l’âme produit par son propre travail. Loin de se poser en maître dépositaire d’un savoir qu’il n’y aurait qu’à déposer ensuite dans l’âme de ses élèves, Socrate pédagogue ne cesse de proclamer sa propre ignorance, forçant ainsi autrui à justifier et à redéfinir sans relâche ses idées, ses croyances et ses concepts. Dans le Théetète, où il s’interroge sur ce que veut dire posséder la science[1], il va l’illustrer à partir d’une allégorie : chez l’enfant, la cage aux oiseaux est vide[2] ; chasser les oiseaux, autrement dit attraper le savoir et le transmettre, relève d’un double mouvement : 1) la chasse en vue de la possession et 2) la prise en main de ce que l’on possède pour l’avoir[3]. Ce qui vérifie l’affirmation énoncée plus haut, selon laquelle la science réside dans le raisonnement sur les impressions et non sur les impressions elles-mêmes[4]. On n’est pas loin du célèbre « science sans conscience… » de Pascal. Un autre apologue, tiré du Phèdre, vient encore enfoncer ce clou : Thot vient d’inventer l’écriture, pour se voir aussitôt critiqué par Amon, au motif que l’écriture pose le savoir comme un objet fixe et prive ainsi l’âme de son cheminement vers la connaissance[5]. Ainsi conçue, on voit bien que la paideia ne saurait se résumer à un simple apprentissage, mais se propose comme acheminement, mise en question, revirement, retour sur soi (l’épistrophè dont parlait déjà Michel à partir de L’herméneutique du sujet de Foucault). Et on voit aussi pourquoi Platon a pu définir la paideia comme « les soins[6] qu’on dispense à l’âme ». Quoiqu’il en soit, soin et éducation, souvent opposés de nos jours, en tant que la première activité serait parée d’une noblesse dont la seconde serait dépourvue (le « bêtement éducatif »), sont ici confondus sans vergogne.

Je m’en tiendrai là pour ce qui concerne les références antiques. Par un tour de passe-passe, c’est par ce biais de l’âme et du souci que je me tournerai vers Freud, dont je survolerai tout à l’heure les écrits sur l’éducation. Sous le masque des traductions, on oublie trop souvent l’omniprésence de la Seele (l’âme) dans son œuvre. Elle apparaît, soit comme terme isolé, soit sous forme de mot composé comme dans Seelenleben (vie d’âme), Seelenbehandlung (traitement d’âme) Seelentier (animal doté d’âme), etc. À quoi vient s’ajouter l’emploi fréquent du qualificatif de seelisch, et plus rarement celui du substantif das Seelische[7]. Un des premiers textes de Freud, daté de 1895, s’intitule « Psychische Behandlung (Seelenbehandlung) » : « Traitement psychique (traitement d’âme) », et commence par une reconnaissance de dette à l’égard des anciens qui justifie mon tour de passe-passe : « Psychè est un mot grec que l’on traduit par âme. « Traitement psychique » veut dire, par conséquent, traitement d’âme. On pourrait donc supposer qu’il faille entendre par là : traitement des manifestations morbides de la vie de l’âme. Ce n’est pourtant pas la signification de ce mot. Traitement psychique signifie bien plutôt : traitement prenant origine dans l’âme, traitement – de troubles psychiques ou corporels – à l’aide de moyens qui agissent d’abord et immédiatement sur l’âme de l’homme ». Retenons ici que la Psychè, l’âme, est autant pour Freud que pour Platon ce dont il convient de prendre soin : c’est à la fois le lieu et le sujet du soin, ce qui, après tout, est déjà impliqué dans le nom de baptême de la méthode : « psychoanalyse », et son abréviation notée Psa, n’en déplaise aux efforts entrepris pour la dégager de ces fonds baptismaux en l’appelant d’un nom nouveau, par ex. : « spychanalyse [8]» (où l’on peut entendre, entre autres, aussi bien le speak de la parole que la piqûre du taon ou le spi de l’esprit).

J’ajouterai à cela une dernière remarque terminologique, susceptible de nous placer au cœur du parallèle que Freud établit entre psychanalyse et éducation. Dans sa préface de 1913 au livre d’Oskar Pfister intitulé La méthode psychanalytique, Freud conjugue d’un seul jet deux termes : « der Erzieher und Seelsorger » (Sorger : celui qui se soucie, l’éducateur comme celui qui se soucie de l’âme). Mais le psychanalyste, ainsi que nous venons de l’apprendre, est aussi celui qui se soucie de l’âme. Nous avons donc deux Seelsorger au lieu d’un, à moins que les deux tâches, à un certain degré, ne se confondent. Freud, même s’il n’en fait pas mention, aurait-il lu Platon ?

La juste appréciation des comparaisons opérées par Freud entre psychanalyse et éducation est entravée par leur extrême dissémination dans l’œuvre ; souvent jetées en une ou deux lignes ici ou là, parfois en quelques paragraphes comme dans les préfaces à Pfister[9] ou à Aichhorn[10], elles donnent lieu à quelques développements plus longs dans L’intérêt de la psychanalyse (1913)[11] ou dans la dernière des Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, la 34è : Aufklärungen, Anwendungen, Orientierungen (Elucidations, applications, orientations).

Je ne vous en ferai évidemment pas un passage en revue complet, me contentant d’en dégager quelques points saillants. Et, puisque nous y avons déjà jeté un coup d’œil, commençons par cette préface à Pfister. Freud, après un bref rappel historique dans lequel il reprend les mérites respectifs de l’hypnose et de la psychanalyse, qui lui permet de préciser que, sous certains aspects, l’éducation se sert de la suggestion, ne tarde pas à poser le parallèle suivant : « Éducation et thérapie se rejoignent sous un certain rapport. L’éducation se soucie de ce que la prédisposition et les penchants de l’enfant n’entraînent rien de dommageable pour l’individu autant que pour la société. La thérapie entre en jeu quand ces mêmes dispositions ont déjà produit le résultat indésirable des symptômes ». « L’éducation est une prophylaxie », censée prévenir les névroses ou les perversions, la psychothérapie cherche à faire régresser ces dernières et apparaît ainsi comme une « post-éducation » (Nacherziehung). Et si les dispositions inopportunes aboutissent, non à des symptômes, mais à des « perversions du caractère » (Charakterperversionen), l’une comme l’autre sont alors presque impuissantes. Jusqu’ici, il n’est question que de psychothérapie dans cette comparaison. La psychanalyse entre en scène dans le paragraphe suivant, avec une question : à quel titre peut-elle être employée au bénéfice de l’éducation ? Or il s’avère que les enseignements de la psychanalyse sont à même d’éclairer ce qui, dans les dispositions de l’enfance, menace de tourner de travers, le savoir psychanalytique fournissant dès lors à l’éducateur un moyen de prévention : « à l’aide de l’analyse, il peut ainsi agir auprès de l’enfant encore sain de façon prophylactique ». Nul n’est besoin, pour ce faire, de formation médicale, car : « L’exercice de la psychanalyse exige bien moins une formation médicale qu’une préparation à la psychologie et un libre regard humain ; alors que la plupart des médecins n’est pas armée pour la pratique de la psychanalyse et s’est montrée totalement défaillante dans la mise en œuvre de ce procédé curatif ». On peut relever ici une ambigüité, car c’est dans cette prophylaxie même que résiderait « l’activité psychanalytique de l’éducateur » et l’on pourrait alors émettre quelques réserves au caractère un rien disciplinaire de ces propos, qui justifieraient en passant la tendancieuse propension actuelle à la mise en évidence, au contrôle et au traitement précoce des « facteurs de risque » – in statu nascendi. À quoi la suite apporte un léger bémol : l’éducateur (c’est là qu’il apparaît comme Seelsorger) doit se garder de former la jeune vie d’âme selon ses idéaux personnels et se bornera à s’aligner sur les dispositions et les potentialités attachées à son objet. L’éducateur, en tant qu’il se soucie de l’âme, est soumis à la même retenue et aux mêmes égards que le psychanalyste. Restons-en là pour cette préface, et voyons ce que Freud entend par Nacherziehung (post-éducation). On peut ici multiplier les citations : en 1904[12], Freud écrit en résumé : « si vous parvenez à faire en sorte que le malade accepte quelque-chose qu’il rejetait (refoulait) jusqu’ici … alors vous aurez réalisé auprès de lui une portion de travail éducatif… Dès lors, le traitement psychanalytique peut tout généralement être conçu comme une post-éducation au surmontement (Überwindung) des résistances ». Plus tard, dans la 28è conférence d’Introduction à la psychanalyse sur « la thérapie psychanalytique », il dira, à la suite d’un passage dans lequel il opère une distinction entre suggestion hypnotique et suggestion psychanalytique : « Ce travail de surmontement (des résistances) est la part essentielle de la cure analytique, c’est au malade qu’il revient de l’effectuer, et le médecin le lui permet à l’aide de la suggestion agissant dans le sens d’une éducation. C’est aussi pourquoi on a dit à juste titre que la psychanalyse était une sorte de post-éducation[13]». Enfin, dernier exemple, dans l’article Psycho-analysis, publié en 1926 dans l’Encylopedia Brittanica, le traitement psychanalytique, mené avec l’aide de la suggestion impliquée dans le transfert « devient ainsi une post-éducation de l’adulte, une correction de l’éducation de l’enfant. »

On voit que cette Nacherziehung apparaît dans toutes ces citations intimement mêlée à la suggestion. Sans doute, dans ces analogies entre éducation et psychanalyse, Freud se heurte-t-il à l’épineuse question de l’influence et de ses limites. Au demeurant, il multiplie les mises en garde : de même que l’analyste, qui peut à l’occasion user de la suggestion pour faire avancer la cure, ne doit jamais oublier que la visée terminale reste la liquidation de cette influence qui aura servi un temps, de même, dans la post-éducation que serait l’analyse, il s’agit de prendre garde à ne pas en mésuser. En outre, le psychanalyste ne doit pas seulement se garder d’abuser de son influence, il est aussi sommé de laisser ses préjugés et de ses position politiques et idéologiques au vestiaire. Ce point donne lieu à un développement particulier dans la 34è nouvelle conférence[14] : « Il a été dit – et certes à bon droit – que toute éducation était orientée en fonction d’un parti-pris et qu’elle visait à ce que l’enfant s’inscrive dans l’ordre social existant, sans considération de la valeur ou de la pérennité de celui-ci ». Néanmoins (je paraphrase la suite) : quels que soient les défauts des dispositifs sociaux en vigueur, ce n’est pas à l’analyste d’en fixer de meilleurs. Un tel but constituerait lui aussi un parti-pris et ce n’est pas l’affaire de l’analyste que de décider entre deux partis. (Autrement dit, même si Freud ne le précise pas ici, le poids de l’idéologie de l’analyste formerait des représentations de but indésirables au regard de la méthode et de la règle fondamentale[15].) Enfin, j’ouvre à nouveau les guillemets pour vous lire la fin du paragraphe : « L’éducation psychanalytique prend une responsabilité intempestive lorsqu’elle se propose de modeler son élève pour en faire un séditieux. Elle aura fait sa part en le laissant aller en bonne santé et capable d’action. Elle porte en elle-même assez de facteurs révolutionnaires pour assurer que celui qui est éduqué par elle ne se placera pas dans sa vie future du côté de la réaction et de la répression. Je crois même que les enfants révolutionnaires ne sont souhaitables sous aucun aspect ». Je vous livre cela sans plus de commentaires, pour apporter un dernier élément à cette mise en perspective freudienne de l’éducation et de la psychanalyse. En plusieurs endroits, comme dans cette même 34è Nouvelle conférence, ou dans l’Abrégé de psychanalyse, Freud, interprétant la thèse d’Ernst Haeckel de la récapitulation de la phylogénèse dans l’ontogénèse pour en retenir l’idée de la répétition de l’histoire de la culture dans le développement individuel, note que l’enfant, « le petit sauvage » prématuré, doit être devenu en quelques années un homme civilisé. Il doit avoir parcouru en si peu de temps une partie formidablement longue de l’histoire de la culture humaine. Ce qui ne va pas sans le concours de l’éducation et de l’influence parentale dont le surmoi prend le relais, qui restreint l’activité du moi par des interdictions et des punitions et favorise la mise en œuvre des refoulements ou l’impose par contrainte (à quoi viennent s’ajouter en s’y mêlant les exigences de la culture). Ce parcours forcé est alors un des facteurs de la névrose infantile, ce qui, d’un côté, justifie de facto l’intérêt de la pédagogie et légitime, d’un autre côté, l’utilisation de la thérapie analytique auprès des enfants.

Au moment de conclure, je constate que je n’ai fait que vous livrer en vrac des données un peu éparses, en mesurant bien le caractère fragmentaire de ce recueil d’éléments dont je ne perçois qu’intuitivement le rapport qu’ils entretiennent les uns avec les autres, sans parvenir à en produire une synthèse solide.

En résumé, qu’est-ce que nous avons ? Un ensemble d’extraits qui montrent l’intérêt de l’éducation pour la psychanalyse, son importance en quelque sorte préventive, et qui soulignent certains aspects proprement éducatifs, aux yeux de Freud, de la pratique psychanalytique elle-même[16], mais qui tirent leur puissance de l’influence suggestive du transfert. Au demeurant, la correspondance entre la paideia, en tant que « soins dispensés à l’âme » et la Seelenbehandlung[17] me paraît tenir la route (comme on l’a vu, textes à l’appui). La psychanalyse pourrait du reste être présentée comme un patient retournement sur soi et si, dans des conceptions plus tardives comme celle de Plotin, la paideia équivaut à sculpter sa propre statue, c’est à dire à dégager une forme nouvelle en se débarassant des scories, on pourrait en dire autant de la psychanalyse, dont le procédé « per via di levare », a précisément été comparé par Freud à la sculpture dès 1904 dans Über Psychotherapie – où il l’oppose au « per via di porre » de l’hypnose et de la peinture. Or on voit bien, dans cet inventaire des passages de Freud sur l’éducation, qu’il y a pour lui aussi du « per via di porre » dans la psychanalyse [18]

 

[1]    Théétète, 197 a.

[2]    197 e.

[3]    198 d.

[4]186 c. Tout ceci trouvera son prolongement chez Thomas d’Aquin, Somme théol. Ia, Iae : « Le maître ne produit pas la lumière intelligible dans son disciple ni ne lui communique directement les formes intelligibles ; mais par son enseignement, il pousse son disciple à former lui-même par la puissance de son esprit les conceptions intelligibles dont le maître lui propose les signes extérieurs ».

[5]Phèdre, 274 d.

[6]Épimeleia : le soin, le souci. Se soucier de l’âme est le but d’une paideia elle-même régentée et orientée par le souci.

[7]La traduction de ces derniers termes (traditionnellement : « psychique » pour seelisch et « le psychique » pour das Seelische) n’est pas sans avoir suscité la controverse. Au point que l’équipe des Œuvres complètes s’est cru obligée, par respect de la littéralité et en détournant le mot de son usage contemporain, de rendre seelisch par « animique ».

[8]Une écriture proposée par Jean Allouch dans : La psychanalyse est-elle un exercice spirituel ? Paris EPEL, 2007.

[9]S. Freud, Geleitwort zu die psychoanalytische Methode von Dr Oskar Pfister, (Introduction à La méthode psychanalytique du Dr Oskar Pfister), GW VIII, OC. XII.

[10]A. Aichorn, Die verwahrloste Jugend, 1925, tr. fr. : « Jeunesse à l’abandon », Privat, Toulouse, 1973 (une autre traduction a été publiée au Champ social sous le titre de « Jeunes en souffrance »).

[11]Das Interesse an der Psychoanalyse, GW. VIII, OC. XII.

[12]Über Psychotherapie, GW V, p. 24-25.

[13]Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, GW XI, p. 469 ; OC XIV, p. 468.

[14]Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse, GW XV, p. 162.

[15]cf. les nombreux rappels de la méthode des « freie Einfälle », avec leur corollaire du côté de l’analyste, en particulier l’invitation à laisser de côté toute représentation de but (Zielvorstellung), à l’exception de celle du transfert.

[16]Notons qu’il n’y a pas que l’éducation à la chasse aux résistances, l’instauration par Freud, en début de partie, d’une « Probeanalyse » (analyse à l’essai), tout comme l’énonciation de la méthode, semblent bien du même tonneau. On pourra se demander ce qu’il en est de ce dispositif à l’heure actuelle, maintenant que la résistance ne tient plus le haut de l’affiche, que l’essai se limite aux entretiens préliminaires et que l’énoncé de la méthode se borne à sa plus simple expression : « dites n’importe quoi ».

[17]Une question, qu’on aura esquivée ici tout du long, demeure : que veut dire âme, dans ce contexte ? Faute de réponse immédiate, contentons-nous de paraphraser Socrate : « Mais à présent, c’est l’heure pour moi de m’en aller ». (Ménon, 343).

[18]Insérons ici une digression qui n’a pu prendre place dans le texte, mais qui fut provoquée en cours d’exposé par une remarque de Sonia Weber à propos du choix entre psychanalyse et « spychanalyse ». On pourrait, disait-elle, s’entendre sur « analyse » en éludant le psy. Néanmoins, sur quoi met-on l’accent en parlant, comme on le fait souvent, d’« analyse » ? Si l’on admet l’étymologie du terme proposée par Heidegger (Zollikoner Seminare, Klostermann, Frankfurt am Main, 2è éd., 1994, p. 148), qui soutient que la première occurrence écrite du mot est dans l’Odyssée d’Homère, αναλύειν désigne le geste de Pénélope qui, chaque soir, défaisait la tapisserie qu’elle venait de tisser le jour même, analyser signifierait donc : dénouer le bâti, défaire la trame (mais, pourrait-on ajouter, afin de mieux la tisser à nouveau). Or, dans ce que j’évoque aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de défaire, car dans le « soin de l’âme », il y a aussi du tissage, de l’édification, de la reconstruction, du nouage.

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