POESIE ET ENFERMEMENT

 à l'heurt du Cordoba virus...     

05/05/2020
Marie Weber

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POESIE ET ENFERMEMENT

Casse dédit à tous les insoumis. À tous ceux qui nous inspirent l’élan vers la liberté. Big-up à Roland, ce que tu dis du langage sera le point de départ et d’arrivée, je te laisse parler :

         Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre.

C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots.

Mon langage tremble de désir.

  1. L’écriture, sa nécessité est arrivée simultanément avec la chronique de la mort annoncée du service dans lequel je travaillais alors. Où je venais de passer les 5 premières années de ma vie professionnelle, où j’avais été formée au métier d’éducatrice spécialisée et dont je tisse encore le sol d’une pratique. C’est en l’écrivant que je m’en rends compte d’ailleurs. Comme donner forme et traces à quelque chose en train de s’éteindre, mais aussi perpétuer le vivant, l’étincelle, le mouvement. Ne pas se figer sous les forces à l’œuvre qui ne cessent de vouloir anéantir passion, amour, plaisir, jeu, joie, tendresse, engagement. Fuerzas de vida… Écriture du et dans le désastre (merci Maurice).

Écriture d’une lutte, lutte par l’écriture mais aussi lutte avec l’écriture, avec ses mots, ses jeux, ses codes, ses sens. Chercher le mot juste et tenter de décortiquer la langue, les corps, l’expérience pour toucher au plus près ce dont il s’agit, tout en sachant par avance, que ça va louper. C’est dans cette tentative que se situe la recherche du pronom personnel adéquat, même s’il peut être différent en chaque occasion. Mais aussi situer ce qu’il recouvre. Je est multiple, je est un autre tout en étant moi. Unique sans être figée, sans être définissable, sans être jamais la même.

Écrire à partir d’une pratique, sur une pratique est un exercice difficile, crucial pour moi aujourd’hui. Il me semble que c’est sur elle que j’écris et non pas sur les autres, même si ça parle d’eux aussi. La recherche se situe comme une tentative d’en cerner certaines énigmes, certains mystères plutôt que de chercher à définir et contourer ceux que je fréquente et rencontre.

Et là aussi ça part d’une quête, peut-être désespérée, de garder en vie un métier qui semble voué à la disparition, du moins sous ses formes connues jusque-là. En partie parce qu’il n’a pas trouvé les mots pour se dire en dehors des discours psychologisants et normativants. Au lieu de chercher la subtilité et la finesse à la manière d’un joaillier, on brandit des coquilles vides de sens comme si, leurs généralités et leurs usages surannés permettaient à tout le monde de comprendre sans resituer ce dont il est question dans un « ici et maintenant », unique et précieux. Balayer la matière pour ne laisser que des éléments informatifs, des signes dits communicables.

 

ACTE 1 : On est pas poètassé. Soyons assez poètes pour lire dans les méandres de ses traces autre chose que de la salissure !

Au commencement il y a E.

Ses regards c’est comme un scan à 360. Elle ne lève les yeux que quand on ne la voit pas.

Sauf à être plus rapide qu’elle.

Sauf à pouvoir tenter le même qui-vive et se détourner aussitôt.

Sauf à pouvoir être assez loin pour la veiller, tout en étant assez proche pour qu’elle le sache. Proximité sans regard, regard dans la distance.

L’un et l’autre simultanément n’est possible que rarement.

La prévenir de toute approche, être prévenant, qu’elle puisse voir venir.

Être suivie à la trace. Des traces elle en fout partout. Elle s’essuie les doigts sur les murs, jusqu’au plafond. Empreintes. Des doigts remplis de feutre à tableau qu’elle vient d’essuyer à pleines mains. Ses mains comme des chiffons qui effacent ce qui a été écrit par d’autres.

La scène :

Inscription sur une table de ping-pong. Un cœur qui semble ne pas vouloir l’être. Des rivalités entre E et M qui voilent le message écrit. Des insultes qui s’en font le masque. Masquer le mot d’amour. E qui efface le mot d’amour tracé. Un tracé, un dessin, un trait sinueux sinuant sur la surface. Bien différent des empreintes habituelles, floues, diffusant et s’imposant dans l’espace, courant sur les murs. Mais déjà je l’ai lu. Et malgré le frottage, le grattage, le script apparaît encore.  Indélébile.

Tout ça c’est pas pour les débiles.

Et mon regard se baisse sur mon poignet, deux petites croûtes qui tardent à se détacher. Résidus d’une morsure acérée. Plus tôt, le même jour, j’avais été intrônisée par la couronne de ses dents. On ne reste jamais princesse trop longtemps. Mais ses incisives ont eu le temps de me marquer, de m’atteindre dans le corps,

En-corps une histoire d’amour au pied d’un mur comme décor.

Alors après ça, le début d’une quête, corps, écriture, inscription, traces…

Les paroles s’envolent, les écrits restent

Les paroles s’envolent, les cris restent

Les paroles se volent, les cris restent

Jacques a dit et écrit « les paroles restent. Les écrits ne restent pas ». Entendre l’homophonie l’écrit/ les cris alors que je pensais à la difficulté de nombreux gamins de l’ITEP avec l’écriture, avec son geste.  Par contre, pas de souci pour crier, voire être rassurés de susciter les cris sur eux de la part des adultes. Substitution d’écrits sur eux par des cris sur eux. C’est peut-être bien à ça que m’a servi l’écriture pendant les 18 mois à l’ITEP, ne pas que les cris durent.

Tourner autour du pot, longtemps. Encore et encore, avoir l’impression de s’approcher de ce qui pourrait devenir texte et s’en éloigner, longtemps. Histoire de processus ? En procession de traits et d’espaces, les traces s’accumulent sur d’innombrables pages. Dans la graphie du crayon de papier sur ce qui fut écorce d’arbre, au son du clavier numérique qui s’agite, se suspend, se réexcite.

Frustrations innombrables de ne pas y arriver. Quand le geste est guidé par la recherche de production, de productivité, comment parvenir à supporter son inefficacité ?

Un autre Jacques a dit et écrit : S’il n’y avait que perception, perméabilité pure aux frayages, il n’y aurait pas de frayage. Nous serions écrits mais rien ne serait consigné, aucune écriture ne se produirait, ne se retiendrait, ne se répéterait comme lisibilité. Mais la perception pure n’existe pas : nous ne sommes écrits qu’en écrivant, par l’instance en nous qui toujours déjà surveille la perception, qu’elle soit interne ou externe. Le « sujet » de l’écriture n’existe pas si l’on entend par là quelque solitude souveraine de l’écrivain. Le sujet de l’écriture est un système de rapports entre les couches : du bloc magique, du psychique, de la société, du monde. À l’intérieur de cette scène, la simplicité ponctuelle du sujet classique est introuvable. Pour décrire cette structure, il ne suffit pas de rappeler qu’on écrit toujours pour quelqu’un ; et les oppositions émetteur-récepteur, code-message, etc., restent de fort grossiers instruments. On chercherait en vain dans le « public » le premier lecteur, c’est-à-dire le premier auteur de l’œuvre. Et la « sociologie de la littérature » ne perçoit rien de la guerre et des ruses dont l’origine de l’œuvre est ainsi l’enjeu, entre l’auteur qui lit et le premier lecteur qui dicte. La socialité de l’écriture comme drame requiert une tout autre discipline.

Alors socialité de l’écriture et je fais le pont avec quelques questions lancinantes, quels mots fabriquent le monde ? Quel monde est fabriqué par les mots ? Qu’est-ce que fabrique le fait d’écrire, le fait de lire ? Ou, plutôt que des faire, des actes, des agirs. Passage à l’acte de Jean. Je t’aime. Ce n’est pas « je dis que je t’aime », « je pense que », « je me dis que ». Pas une déclaration. Performativité ? Qui fait exister l’amour et l’enveloppe qui va avec. Je t’aime. Agir sans intention. Fait exister l’autre dans le mot lui-même, dans son adresse ?

Le premier Jacques a dit, c’est écrit : « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. » Et ça fait un moment, essentiellement par le biais d’une activité de formatrice vacataire en centre de formation pour TS… je suspends la phrase. Voilà qu’à l’écrire l’ironie apparaît ! Peut-être pas sans lien avec les questions de ces journées… En quoi, par leurs prises de positions les Travailleurs Sociaux participent (ou pas) aux tentatives de suicidation du corps social ? De l’ES expert ès à l’AS de la jungle ou trou du cul à l’anglaise, il n’y a plus que le ME qui résonne délicatement à l’oreille. Parce que les mots résonnent, façonnent, tranchent, coupent, se crient, se murmurent, se chantent, se taisent, touchent.

Sylvie dit, c’est entendu : « le toucher est sur tous les sens ». Et l’entendre dit et dire me touche. Comme si je sentais à même la peau, au- delà d’une voix, un regard, une main. Je hume cette phrase qui m’arrive à travers l’oreillette. Elle sent bon. Elle sent une odeur que je veux garder, une odeur qui fabrique un monde que j’ai envie d’habiter.

Judith répond, c’est écrit : « (…) je chercherais à transformer le monde économique et social de façon à le rendre plus habitable, pour moi et celles et ceux qui sont comme moi. Vous pouvez l’envisager en termes de mouvements gays, lesbiens, trans, qui essaieraient de décloisonner le discours, d’offrir un langage, une structure sociale, un ensemble d’institutions qui rendent la vie plus vivable. Le désir de vivre mieux, ou dans un monde vivable, peut donc nous conduire à transformer la société, de façon à accroître les conditions de viabilité (livability), non seulement pour moi mais pour toutes celles et tous ceux à qui je suis liée ou qui souffrent dans des situations sociales similaires à la mienne ». Et nous y sommes, je veux un monde habitable, pour moi et celles et ceux qui sont comme moi.

Déferlement, tous toquent à la porte, tous les mots dits, écrits, les idées, les flashs, les mots lus, entendus, répétés. C’est la cohorte qui se précipite sur le seuil d’un document qui vient de s’ouvrir dans la mémoire de l’ordinateur. Mais dans la mienne de mémoire, apparaît que ces dits n’ont jamais cessé de courir, de me faire courir et au moment de prendre le temps d’écrire ils accourent. Et l’urgence avec eux, de ne pas les oublier encore, d’en fixer ne serait-ce qu’une petite trace qui fabrique un signal de reconnaissance pour se rappeler demain ce que je voulais dire, écrire. Mais c’est impossible. En fait, malgré la sensation d’oubli, rien n’a été oublié. Chaque élément est convocable pièce par pièce, je sais où le chercher. Pas oublié mais simplement ne pas avoir pensé, ne plus y avoir pensé. Imprimé quelque part en moi. « T’imprimes c’que j’te dis ? Ça rentre là, c’est bon ? « . Pression primer. Encore de la matérialité.

Le deuxième Jacques convoqué ici a écrit, je le lis :« (…) après le labeur souterrain d’une impression. Celle-ci a laissé une trace travailleuse qui n’a jamais été perçue, vécue dans son sens au présent, c’est à dire en conscience. » Alors, telle une obsessionnelle des puzzles, choisir de faire taire la fatigue d’un corps habité par une fusée maniaque et continuer. Parce que ça circule, à travers le temps et l’espace. À travers l’espace-temps. Mais le corps ne peut écrire à la vitesse de la lumière…

Roland a prononcé, c’est publié : « le cours travaille. Le cours suit son cours ou peut-être du moins un cours qui est propre à chacun. Propre à la manière dont le cours travaille chacun et travaille en chacun. L’idée est de partager alors ce qui dans son cours me travaille mais surtout m’aide ou du moins influe sur ma manière de travailler. » Et alors là encore on fait entrer la matière, le labour de la terre, le labeur à sillonner la terre ne m’atterre pas. Plutôt me met en joie. Parce que là il ne s’agit pas que de fabrication d’images, dicibles mais impalpables. C’est physique, psychique. Le cours est là et nous nous transformons en son lit.

 Anastasia a dit, je l’ai transcrit : « Y a des choses qui, dans la réalité, ne servent à rien, c’est à dire que bien évidemment je sais qu’tu n’ pourras pas venir avec ton épée dans mon cauchemar et balayer tous ces méchants ou tous les méchants. Mais le fait de l’dire fait exister quelque chose d’une possibilité quand même. (…) ou en tous cas de la possibilité même de l’imaginer et que du coup, comme elle existe chez toi, elle peut exister chez moi. Et ça aussi j’me dis, on est tellement dans un truc de la réalité à tout prix… Mais j’pense que ça renvoie encore à cette idée d’imaginaire mine de rien. Mais de cette force-là. Cette force d’échapper en fait aussi à des choses qui sont parfois plus fortes, comme le cauchemar ou le rêve qu’on n’peut pas maîtriser. Mais pour pouvoir s’endormir plus tranquillement, y a des choses qui peuvent nous renforcer quand même. Ou même, si ce n’est pas en s’endormant ce sera au réveil. »

 

ACTE 2 : Autre décor. Nouvelle préambulation

Scène 1 :

Nouvel emploi. Maintenant on dit préventeuse. L’association a gardé intervenante en prévention, je dis celle qui anime un espace-temps de rencontre possible avec et entre des élèves autour des questions d’addictions et de prises de risque. De la vie quoi ! Mais bon, l’auto-réintitulation de mon poste n’est pas venue de suite. D’abord, avant les rencontres avec les gosses dans les lycées, impression d’atterrir dans un monde inconnu où l’on parle une langue que je ne connais pas. Ce n’est pourtant pas faute d’être coutumière des ESMS et d’intervenir toujours comme déformatrice vacataire auprès d’éducateurs spécialisés en devenir. À dire vrai, rien de nouveau sous le soleil, ça fait des années que les plus alertes d’entre nous ont commencé à noter l’irrigation de la langue entrepreunariale dans des champs qui lui sont a priori étrangers. Pourtant, cette année, elle me saute à la gorge non plus par son écho diffus mais par sa présence massive.

J’en veux pour preuve la vague du terme « communication » qui déferle sur tous les espaces que je fréquente. Comme unique action : transmettre un message clair, s’assurer que le destinataire l’a bien compris par la qualité de son feedback. Et alors là, c’est à moi de ne plus rien comprendre. Je dérive en pays étranger qui me semble plus qu’hostile, terrifiant. On vante sa capacité englobante. Gros coquillage creux qui ne laisse même plus résonner les profondeurs océaniques des étrangetés que nous sommes… Ne plus rien comprendre. Pertes de repères dans le monde des programmes, des modèles, des relations dose-effet, de la communication, de grilles d’évalutation, des méthodologies de projets. Des projets éducatifs qui s’ouvrent presque invariablement par la gestion des émotions (même pas reconnaissance mais gestion-régulation immédiate, des pictogrammes météo intérieure, des compétences à acquérir pour tous et par tous. Les CPS ! OMS !

Et au choix, pour s’attarder un peu, un mot à déplier, un mot :  DEPLOIEMENT. Celui qui me marque encore plus que les autres. Je l’imagine et il se met à exister devant moi. Mot qui devient immédiatement chose, ombre qui se porte sur les établissements scolaires.

 

Scène 2 : Et commencer par le dernier coup de crochet qui a ouvert la porte

Nicolas écrit, je me dis

« Le langage, grand espace

                  De nos enfermements. »

et ça fait ricochet sur un texte que j’ai balayé de l’oeil la veille sur la poésie à St Alban. Du coup question, en quoi la présence des poètes dans un lieu asilaire et disciplinaire a participé à la vitalité et la vitalisation du même lieu ? Mais est-il, reste-t-il vraiment le même ? L’écriture et les vers ne produisent-ils pas une transformation en autre ? Dans quelles mesures ses présences « autres » que les professionnels et discours médicaux, psychiatriques, psychanalytiques, ont participé à fabriquer la puissance de la psychothérapie institutionnelle ? Même si, dit comme ça ce serait déjà tenter d’en faire un objet fini, défini, saisissable ce qui certainement lui couper l’herbe sous les pieds… Ça ricoche une fois de plus sur un petit truc qui me titillait depuis quelque temps. Pierre a parlé du pouvoir des mots. On choisira ici puissance pour son clin d’œil à Baruch et Gilles. Mais un mot, pris tout seul n’a pas de pouvoir, isolé, succession de lettres. N’est-ce pas dans son agencement avec un tas d’autres mots, d’autres lettres, d’effets d’adresses et d’interpellations, de contextes, dans sa position dans une situation particulière qu’il gagne ou non en puissance ?

Jouer avec le mot « déploiement » : Déploiement façon débranchement

Ces échanges ont permis de faire émerger, avec l’aide d’un formateur international, quatre développeurs en capacité d’accompagner le déploiement de débranchement sur de nouveaux territoires. À ce jour, les quatre structures historiques sont intervenues auprès de plus de 3000 élèves. Depuis 2018, de nouvelles dynamiques se sont enclenchées, tendant vers un déploiement à plus large échelle. Achtung ! Mars Attack !!!! Fuyez tant qu’il est encore temps !!! Mais heureusement il est des poètes qui permettent de donner une autre ampleur, une autre saveur, à un mot a priori similaire :

Le même Nicolas a écrit, je vous choisis :

(…)en face les ailes

Étaient déployées

La plume affûtée

Comme le regard d’un aigle

J’ai servi de cible

Le rond rouge qui sursaute en moi

A volé en éclats

Pour tenter d’aller encore un peu plus loin… Est-ce qu’au-delà de cet agencement dans l’écriture, il ne s’agirait pas de la façon dont le texte devient parole ? Imaginons un instant la scène : Un amoureux qui lit un protocole d’admission en institution comme s’il déclarait sa flamme à son aimée. Ça tomberait comme un soufflet les règlements, les mots stricts qui tendent à obturer les voies de respiration et fabriquer une ambiance de mort. Cons d’tes morts !

Roland a soufflé à nos oreilles, je murmure : « je marche au désir de l’autre. » Désir et marche, désir qui fait marcher, marcher au désir de l’autre. Ah bon, on n’est pas seul ? What ? je ne serais pas tout seul ? Tout auto-mate-nome-suffisant-didacte-crate-immune ? Et même, puis-je seulement dire « je » sans autre ?

Florence me dit, je réécris : « un comédien est dépendant de l’autre. Il ne peut pas jouer seul. Il faut au moins un autre. Présent par le regard, la direction qu’il donne au geste, son attention, son intention. »

 Et je vous lis ce qu’une autre avait écrit :

Se désaliéner

Mais supporter les liens

En finir avec les concentrations asilaires

Qui condamnent des gens à l’oubli

À être des morts sans bruit

Des corps non bercés,

Cadavres à venir sans salut devant l’éternité

Supporter la dépendance première,

Vitale, viscérale,

À autrui

À sa présence

À ses impacts et ses caresses

Ses lignes de force et ses faiblesses

Cesser de faire la part belle ou de s’abandonner

A des objets d’une satisfaction immédiate

Insipide et éphémère

Qui donne l’illusion de croire

Qu’en pleine conscience, y a plus d’espoir.

Sans l’autre je n’est rien.

 

 Parole affective, affectivité et affection dans la parole. Si je marche au désir de l’autre, quelle marche quand le désir de l’autre est un désir de destruction ? Quand les mots fabriqués par des voies sans désir (la voie du personne de la bureaucratie d’Hannah) qui dévoient le désir qu’on pouvait avoir à aller pratiquer en institution. Une petite insistance sur les mots du second Jacques de cette histoire. « On écrit toujours pour quelqu’un. » Qu’est-ce que ça dit alors de chacun quand nous cautionnons et appliquons les ordres écrits, décrétés dans des langues que Personne n’a jamais parlé ?

Hannah visionnant a écrit : « (…) la domination bureaucratique, la domination par l’anonymat des bureaux, n’est pas moins despotique du fait que « personne » ne l’exerce ; elle est au contraire plus effrayante encore parce que personne ne peut parler avec ce Personne ni lui présenter une quelconque requête. »

Mon nom est personne, c’est plus réservé à la fiction. Qu’est-ce que ça dit de nous quand nous ne refusons pas de nous soumettre au consensus ambiant qui flirte, dans un subtil mouvement de bascule, avec le consentement. Consentement à être tous les mêmes, tous sans aspérités ni débordements. Avec nos émotions, qui ne sont pas seulement gérées mais régulées grâce des animateurs, des éducateurs, des gourous qui utilisent leurs « compétences de miroir émotionnel ». Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est le plus con en ce royaume ? Celui qui croit que nous allons être tous beaux et heureux dans notre blancheur capitaliste healthy et hétéro ou celui qui s’obstine à penser que tout ça n’est qu’un vaste programme d’éradication massive de la pensée, de l’altérité, de la division subjective ?

Georges a écrit, Michel l’a repris : « Une personne dont l’éducation se serait exclusivement faite en novlangue ignorerait que libre a signifié jadis ‘intellectuellement libre’, tout comme celui qui n’a jamais entendu parler du jeu d’échecs n’a aucune idée du sens secondaire de reine ou de tour »

 

Scène 3 : où la dame tente de se reconcentrer :

Retour au concret, comme si la poésie et la motérialité des mots ne l’était pas… Au bout de 2 mois, la direction de l’association qui m’embauche me demande de travailler à partir de chez moi. Par ailleurs, une partie du suivi avec les étudiants ES se fait par échange de mails. Autant dire que je n’attends pas le confinement pour découvrir le télétravail, même si à ce moment-là je suis seule et pas 7 à la maison. Et je repense au poème de Jim : (soit dit en passant, insidieusement les livres de poésie gagnent du terrain sur mes étagères à mesure du temps passé à évoluer dans un monde débranché)

Donc Jim qui n’est pas triste, calligraphie :

En été je promène les chiennes à l’aube

tant que les serpents à sonnette dorment encore. Dans

le froid je promène les chiennes à l’aube par habitude.

Dans les prés nous trouvons les herbes écrasées de

nombreux lits de chevreuil. Leur corps est leur foyer.

Ça me parle dans la situation, sauf que je ne suis pas un animal sauvage. Et que malgré le confort de pouvoir organiser son temps assez librement, de choisir d’être disponible ou de ne pas l’être, il n’en reste pas moins que c’est l’expérience d’une nouvelle forme de solitude. Et que faire de ces questions qui fusent à la suite de ces rencontres avec des centaines de personnes par semaine, de ces affects qui circulent, se choquent et s’entrechoquent quand on n’a pas d’interlocuteur institutionnellement désigné, de temps et d’espace prévus pour aller en déposer un bout, s’en décharger, élaborer la mixture pour qu’elle ne reste pas en son état, brute de décoffrage ? Parce que les réunions, aujourd’hui ce n’est pas prévu au programme. Après tout, pourquoi se parler ? Et si finalement, c’était par et dans l’écriture que résidait une possibilité d’un devenir point d’intersection, de recentrer en un point tous ces mouvements qui me donnent sinon l’impression d’être ouverte aux quatre vents. Sauf, qui peut écrire quand personne ne se constitue comme lieu d’adresse possible ? S’imposer à des interlocuteurs ? L’étrangeté de la situation réside dans une forme de savoir, qui se constitue d’en entendre autant, sans pour autant être adressable dans les différents lieux traverser. Ne faire que passer…

Pour autant, à mon insu parfois, des formes de circulations semblent s’opérer et j’utilise cette place de témoin pour devenir « porte-parole ». Au pied de la lettre je rap-porte la parole de certains qui n’étaient a priori pas destinés à ces autres qui l’entendent alors. Tels des bouts d’entretiens avec les jeunes majeurs restituées aux futurs éducateurs. Telles des déclarations d’élèves lors des interventions de prévention soumises à d’autres élèves, dans un autre département. Prendre appui sur tous ces dires, ces bouts de vie racontés, témoignés pour nourrir de nouveaux échanges, de nouveaux dits qui courent. Je me transforme en véhicule discursif. Ne trouver, par ailleurs, de sens à cette place/non-place que comme ça, à cette place de témoin malgré-moi, pour ne pas que tout reste hors-sens. Une manière aussi, sans doute, de créer du liant là où les liens sont précaires, dispersés, où sinon l’éclatement, le morcellement guette.

Et là où, un an plus tôt, je voyais la nécessité de constituer des ailleurs à une pratique en institution pour la maintenir vivante, j’ai aujourd’hui la sensation de n’être pas loin de la flottaison hors-sol, sans lieu pour dire : à partir d’ici, là-bas c’est ailleurs, ailleurs c’est là-bas. Ce n’est plus un pied dedans et un pied dehors, c’est les deux pieds qui arpentent chaque jour de nouveaux territoires, de nouveaux paysages. Un devenir nomade sans tribu imposée…

Si on m’avait dit il y a quelques années en arrière, que j’en viendrais un jour à prôner la nécessité de constituer des collectifs, du travail à plusieurs, de ne pas refuser la dépendance vitale au lien à autrui, j’aurais bien ri. Solitaire que je suis, j’expérimente aujourd’hui la diversité des solitudes possibles. Solitude qui zone plutôt, sous cette forme, aux parages de l’isolement. Et qui est durcie par le fait que tout relève du choix individuel. On ne dit peut-être pas assez à quel point choisir au quotidien est épuisant. A quel point la contrainte qui opère de l’extérieur est une possibilité de se reposer sur quelque chose. A quel point pouvoir buter contre les paradoxes de l’institution, se pincer le nez quand ses relents sont trop nauséabonds, c’est la possibilité de faire au moins contre quelque chose.

Mais dans ce contre existe déjà la relation, une situation de laquelle partir, à partir de laquelle se positionner. « Contre toi, tout contre toi… » Tout autre que la relation de soi à soi tenant les murs de sa maison-bureau…  Fabriquer du liant pour ne pas vivre et pratiquer seulement par petit bout, petite tranche cloisonnée. Trafico de palabras, dans l’ombre des programmes affichés. Plaisir de la contre-bande, devenir dealer… Un dis-leur qui s’impose en bas détours. Ne pas garder pour soi alors,

 Joy star a écrit, je vous l’confie :

Grandir trop vite. L’savoir s’impose

Qu’à coups d’cuillère les murs s’explosent.

Alors trouve la brèche pour que s’effondre la forteresse

Alors creuse l’entaille quitte à c’que la lime te blesse

On n’a pas dit qu’c’était facile

D’passer de souris à dragon

D’la plume à l’esquive au missile

Une arme pour chaque situation

C’est sur ça laisse pas indemne

D’se frayer des voies de passage

Et l’inconfort se la ramène

Quand on choisit d’pas rester sage

Mais résignation ça sonne

Comme une condamnation

Ne laissez jamais personne

 Rimer fatum et raison !

 

 

 

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