Introduction. Dans ce texte, j’ai tenté d’intégrer la notion de dispositif à la notion de service et montrer comment il peut participer à notre vécu d’impuissance, en faisant un détour par la notion de travail émotionnel. Ceci m’amènera aussi à poser quelques questions au sujet de la motivation. A noter que je recourrai souvent à des exemples de la vie quotidienne, ceci me permettant de supposer une pré-compréhension commune des situations exposées et de me concentrer sur les concepts, mais ce qui implique une part supplémentaire de travail pour les auditeurs, qui doivent tenter de transposer ce que je raconte à leur propre pratique.
Rapport social de service. Je repars ici de la définition du service de Peter Hill, qui définit le service comme « la transformation de la condition d’une personne, ou d’un bien appartenant à un agent économique quelconque, résultant de l’activité d’un autre agent économique, à la demande ou avec l’agrément du premier agent »[1]. Jean Gadrey, à partir de cette définition, en propose une plus formelle :
« Lorsqu’une organisation A, qui possède ou contrôle une capacité technique et humaine (on parlera aussi de compétences dans ce cas), vend (ou propose à titre gratuit, s’il s’agit de services non marchands) à un agent économique B le droit d’usage de cette capacité et de ces compétences pour une certaine période, pour produire des effets utiles sur l’agent B lui-même, ou sur des biens C qu’il possède ou dont il a la responsabilité »[2].
S’agissant des « effets utiles » attendus, Philippe Zarifian propose de définir le service comme : « une transformation du mode d’existence et/ou des dispositions de la personne humaine, dispositions de son corps et de sa pensée »[3]. Le résultat d’une activité de service est donc, pour cet auteur, celui d’une transformation, chez le bénéficiaire, de ses manières de penser et d’agir ou d’utiliser ses objets.
Je rappelle ici quelques idées de Philippe Zarifian déjà évoquées au sujet du travail de service. Il le définit comme un rapport social et non comme une relation, dans le sens où « c’est dans le rapport que les protagonistes se produisent et s’engendrent ». Ceci se distingue d’une relation, qui mettrait en lien ou en interaction deux « acteurs » lui préexistant, ainsi que d’une perspective fonctionnaliste où le prestataire et le bénéficiaire du service joueraient un rôle prédéfini. Ici les protagonistes du rapport « sont constitués par lui et l’animent ». Cette « animation » se traduit notamment par un « affrontement », à la fois affrontement entre les protagonistes et « affrontement à un enjeu autour duquel se constitue et se structure le rapport »[4].
L’enjeu du rapport social de service, selon Philipe Zarifian, se caractérise par l’appropriation effective du service, et donc de la transformation du mode d’existence et/ou des dispositions de la personne. Cette appropriation est conflictuelle du fait des différences de perspectives existant entre bénéficiaire et prestataire : alors que le bénéficiaire est égocentré, dans le sens où il tend à s’approprier le service pour son propre intérêt et ne se soucie que de cela, le prestataire a le plus souvent une perspective excentrée et se soucie des intérêts de tous les usagers, réels et potentiels. Un travailleur au guichet doit ainsi se préoccuper de rendre service au bénéficiaire qui se tient face lui, mais aussi à ceux qui viennent après dans la file d’attente, ce que le bénéficiaire n’entend pas toujours d’une très bonne oreille lorsqu’il estime que c’est au détriment de ses propres intérêts. Enfin, Philippe Zarifian souligne que le plus souvent, il existe une composition des rapports au sein d’une même situation, comme la composition entre le rapport social de service et le rapport capital-travail.
Les dispositifs. Il me semble ici judicieux d’introduire le terme de dispositif à ce stade de la réflexion. En citant la définition que Jean Gadrey donne du service, j’ai dit que celui-ci se caractérise par le fait qu’un prestataire propose un droit d’usage de certaines capacités techniques et compétences humaines au bénéficiaire. Or, les termes de capacité technique et de compétence humaine ne sont pas bien définis par l’auteur (probablement par souci d’être le plus général possible) et ne m’apparaissent pas complètement clairs. Je crois que je préfère les remplacer par ceux de puissance d’agir et de dispositif. La puissance d’agir appartient ainsi au prestataire de service, qui a en son pouvoir (par le biais de techniques plus ou moins sophistiquées) de modifier l’état du bénéficiaire ou des biens qu’il possède ; pouvoir qu’il actualise le plus souvent grâce à l’utilisation d’un certains nombres de dispositifs, ceux-ci étant matériels (comme les outils du mécanicien automobile), discursifs (comme les questionnaires ou les algorithmes de conseils pour les hotlines téléphoniques) ou mixtes (comme les documents et, surtout, les objets numériques).
Avant d’aller un peu plus loin, je vais m’attarder sur la notion de dispositif. Je me fie, pour cela, à la définition, très générale, du philosophe italien Giorgio Agamben : « tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler, et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions, et les discours des êtres vivants »[5].
Il y a, à mon sens, trois avantages à employer ce terme de dispositif.
Premièrement, il permet d’englober la multitude d’objets qui intervient dans la réalisation d’un service, tant l’architecture du bâtiment dans lequel est présent le prestataire de service, que les logiciels utilisés ou encore les protocoles divers et variés qui organisent le travail. Si la définition d’Agamben est très large et permettrait même de considérer le langage comme un dispositif, je garde à l’idée que pour Michel Foucault le dispositif émane d’un processus rationnel réalisé dans une visée stratégique de manipulation des rapports de forces (restant très proche en cela de la définition militaire du dispositif)[6]. Il s’agit toujours d’un dispositif de quelque chose, qui vise à réaliser un objectif particulier. Je m’intéresserai par la suite plus spécifiquement aux dispositifs mis en œuvre dans l’activité de service, ce que je nommerai parfois dispositif serviciel, bien que cela ne soit pas les seuls utilisés dans le cadre du rapport social de service. Par exemple, le dispositif de vente d’une boulangerie comprend le local de vente, la porte d’entrée (parfois distincte de la porte de sortie), un marquage de la file d’attente, la vitrine, la caisse enregistreuse, le lecteur de carte bancaire, etc… Ces différents éléments sont le plus souvent agencés d’une certaine manière pour rendre plus efficace le service de vente.
Deuxième avantage de cette notion pour notre réflexion : l’usage d’un dispositif implique le fait que si le prestataire de service agit sur les dispositifs qui lui sont nécessaires à l’accomplissement de son travail, les dispositifs agissent aussi sur lui dans le sens où ils lui font adopter certains comportements. Plus exactement : il semble nécessaire pour utiliser un dispositif dans un certain objectif d’adopter certains comportements spécifiques : si je veux visser une étagère, le comportement à adopter sera défini par l’outil que j’utilise : un mouvement de torsion du poignet si c’est un tournevis ou un mouvement de pression du doigt si c’est une visseuse ; d’une certaine manière l’outil agit sur moi autant que j’agis sur lui. Giorgio Agamben parle ainsi « de corps à corps » entre les êtres vivants et les dispositifs[7].
Troisièmement, ce « corps à corps » se caractérise par le fait qu’il est accompagné par un processus de subjectivation particulier à chaque dispositif. Giorgio Agamben suggère ainsi que la subjectivité résulte de la relation entre les êtres vivants et les dispositifs qui les entourent. Sans entrer ici dans l’examen des conséquences d’une telle affirmation, je me contenterai de rappeler de façon minimale que l’utilisation d’un dispositif par un être humain n’agit pas seulement sur sa manière d’agir, mais aussi sur celle de se représenter le monde et soi-même, c’est-à-dire, pour le dire de façon générale, sur sa forme de vie. Une citation attribuée à Abraham Maslow (qui a théorisé la pyramide des besoins éponyme) dit ainsi en substance : « si je n’ai qu’un marteau à ma disposition alors le monde entier tendra à ressembler à un clou ».
Cette distinction entre puissance et dispositif me parait particulièrement utile pour bien saisir ce que concerne le droit d’usage évoqué dans la définition de Jean Gadrey : à mon sens il ne concerne que les dispositifs serviciels et non la puissance d’agir des prestataires du service. Lorsque je me rends dans une boulangerie, il parait correct de dire que j’ai le droit d’utiliser le dispositif de vente (le local, la vitrine, le lecteur de carte bancaire), alors qu’il parait incorrect de dire que j’ai le droit d’utiliser les compétences de vente du boulanger. Il me semble qu’à ce sujet, il est plus correct de dire que je demande au boulanger de coopérer pour que nous fassions fonctionner ensemble le dispositif, même si cette demande de coopération est implicite. Cette demande de coopération est par ailleurs réciproque : si je souhaite que le boulanger me rende service en me vendant son pain, celui-ci attend de moi que j’adopte certains comportements pour qu’il puisse me servir au mieux.
De plus, et cela rejoint la logique d’affrontement évoquée par Philippe Zarifian[8], c’est que lors de la réalisation de l’activité de service, le prestataire et le bénéficiaire du service se tiennent part et d’autre du dispositif. Dans le cadre d’un dispositif de vente d’une boulangerie, ceci est généralement rendu visible par l’aménagement du local (le comptoir faisant office de séparation physique), mais c’est parfois plus discret. De fait, il ne s’agit peut-être pas du même type de coopération que celle de deux boulangers qui se tiennent du même côté du dispositif de production du pain ; j’y reviendrai après. Le service impliquant un face à face, le prestataire et le bénéficiaire du service n’ont pas la même perspective de l’activité et l’utilisation du dispositif serviciel ne fait pas faire les mêmes actions au prestataire et au bénéficiaire, et que si certaines tâches sont transférables de l’un à l’autre, il en existe certaines qui ne le sont pas. Dans tous les cas, il reste nécessaire que tous deux doivent s’engager dans un corps à corps avec ce même dispositif pour que le service soit rendu.
Coordination et convenances. Ceci nous amène à considérer quelques facettes de l’engagement dans l’activité de service, notamment dans le corps à corps aux dispositifs, mais pas seulement. Je vais m’appuyer ici sur les analyses de Laurent Thévenot dans son ouvrage l’action au pluriel[9] dont le regard porte principalement sur la coordination entre les êtres humains. S’il utilise une description de l’installation de passagers dans un wagon de train pour illustrer les différents niveaux de coordination impliquée par l’action humaine, et donc différents niveaux d’engagement associés, je partirai d’une situation quelque peu semblable : à savoir l’arrêt en station d’un tram à la station Homme de Fer. A cette occasion, les personnes doivent se coordonner pour pouvoir entrer et sortir de la rame sans trop d’encombre, ce qui est loin d’être évident à cette station car il y a souvent beaucoup de monde.
Pour que cela se réalise de façon optimale, ceci implique tout d’abord que chacun coordonne ses actions : anticiper et se positionner près de la porte avant l’arrivée de la rame à la station ; adopter le bon timing au moment de l’ouverture de la porte, etc…
Deuxièmement, il est nécessaire d’une part que les personnes qui souhaitent entrer laissent d’abord les personnes sortir, et d’autre part, que pour chacun de ces deux groupes, soit déterminé un ordre de passage, selon différents critères comme le positionnement dans la rame ou sur le quai, l’encombrement relatif des accessoires des personnes (un vélo, un cabas), la situation de handicap des personnes (les personnes à mobilité réduite) ou encore des règles de préséance selon l’âge voire le sexe. Tout cela implique une coordination collective fondée sur des habitudes.
Le troisième niveau évoqué par Laurent Thévenot surgit lorsqu’il éclate un conflit entre deux usagers ou plus, lorsque cette coordination collective jusque-là relativement implicite et qui se passe le plus souvent d’échange verbal, ne fonctionne pas comme les personnes le voudraient. A ce moment-là, les personnes doivent alors faire appel aux règles qui président à une bonne coordination, voire à les justifier publiquement : « j’étais devant » ou « laissez sortir avant de monter » ; justification qui se réduit parfois à une interjection, un soupir, ou un simple regard désapprobateur.
Il est à noter ici que le dispositif de la rame agit sur cette coordination. Par exemple, sur certaines rames les boutons qui permettent d’ouvrir la porte sont situés d’un côté et de l’autre de la largeur de la porte, en fonction qu’ils sont à l’intérieur ou à l’extérieur, ce qui tend à créer spontanément une file entrante et une file sortante parallèles. Dans les bus, cette séparation des flux est encore plus manifeste puisque des portes sont dédiées à l’entrée et à la sortie.
Les trois niveaux de coordination évoqués par Laurent Thevenot s’articulent par ailleurs autour de ce qu’il appelle « l’action-qui-convient ». Cette triple distinction est éclairante sur la manière dont il est possible d’utiliser un dispositif.
Le premier niveau d’engagement est du registre du familier, en rapport avec la convenance personnelle. Il s’agit là de s’approprier de façon personnelle la manière d’utiliser un dispositif. En poursuivant l’exemple du tram, on pourrait dire que nous avons nos préférences sur la manière d’entrer et de sortir : il y a ceux qui préfèrent anticiper leur positionnement à proximité de la porte deux stations avant, ceux qui se débrouillent pour bouger en premier ou ceux qui attendent que la mêlée soit passée au risque de voir la porte se refermer devant leur nez. Nous avons tous une manière d’aménager et d’agencer les dispositifs à notre convenance ; certains dispositifs se prêtant particulièrement bien à la personnalisation et d’autres beaucoup moins.
Le deuxième niveau d’engagement est en rapport avec les convenances sociales et les usages que l’on pourrait dire ordinaires des dispositifs. Agir convenablement à une station de tram implique de prendre en compte la manière dont habituellement les gens font. Par exemple, laisser la préséance à une personne ayant un accessoire encombrant apparait fondé sur un certain bon sens pratique, de la même manière qu’il parait plus pratique de mettre d’abord les grosses valises dans un coffre de voiture. Néanmoins, cette règle ne fait pas l’objet d’une convention particulière.
C’est ici que le troisième niveau intervient, qui est celui de la justification et des conventions collectives. Utiliser un dispositif peut être ainsi normé par des règles formalisées et conventionnelles. Cela implique un processus de standardisation qui concerne à la fois la conception des dispositifs et les usages qui leur sont associés, tendant à uniformiser les coordinations individuelles et collectives et de les rendre en quelque sorte impersonnelles. Ces normes peuvent de plus entrer dans un régime de justification. La règle de laisser sortir les personnes avant d’entrer dans la rame est ainsi justifiable par le surcroit significatif d’efficacité d’une telle coordination ; tandis que la priorité aux personnes à mobilité réduite est justifiable par un souci d’équité dans l’utilisation que chacun peut faire du dispositif de tram.
Ces deux « entrées » (j’emprunte le terme à Laurent Thévenot), celle de la coordination et de l’action-qui-convient, permettent à mon sens de dessiner plus clairement les lignes de tension qui peuvent survenir dans le cadre d’une utilisation coordonnée d’un dispositif serviciel, qui vont d’une utilisation privée à une utilisation publique. Utiliser un dispositif implique de composer sa propre coordination avec celle des autres personnes en présence, et donc pour cela de connaître ou de reconnaître ce qu’ils sont en train de faire (ce qui oblige parfois à poser directement la question : « vous descendez au prochain ? »), et d’articuler l’aménagement personnel du dispositif à notre convenance, avec les aménagements ordinaires et les conventions publiques d’usage.
Néanmoins, avant de faire ce détour par la coordination et l’action-qui-convient, j’ai suggéré que l’utilisation d’un dispositif serviciel impliquait une demande plus ou moins explicite de coopération. D’autres vignettes observées dans le tram me paraissent intéressantes pour mettre en lumière ce qui distingue la coordination de la coopération, tout en m’appuyant sur les analyses de Christophe Dejours[10].
Premièrement, il arrive parfois, pour un couple d’amis, que l’un ait réussi à monter avant l’autre et que retentit la sonnerie du départ. Souvent la personne entrée avant retient la porte pour que la personne encore sur le quai puisse entrer à son tour. Ce couple d’ami a fait plus que se coordonner, ils ont coopéré. Ils peuvent d’ailleurs se féliciter mutuellement d’avoir réussi à monter ensemble, alors que l’on imagine mal un groupe d’usagers s’applaudissant parce qu’ils ont réalisé une entrée dans la rame particulièrement réussie.
Si toute coopération nécessite une coordination, elle s’en distingue par le fait que l’action collective produite est attribuable un groupe formant une équipe ; équipe qui peut donc être estimée en tant que telle, évaluation globale qui est différente de la sommation des évaluations individuelles des partenaires. Du point de vue des partenaires qui composent l’équipe, il est nécessaire qu’il existe un sentiment d’appartenance sociale pour qu’elles puissent se représenter comme la partie d’un groupe, et qu’ils puissent se sentir concernés par les résultats et l’évaluation de l’action collective (ce sentiment d’appartenance pouvant être plus ou moins large dans les organisations complexes, voire très large si l’on se réfère aux « Nous avons gagné » des supporters français en 1998 ou 2018). La coopération repose aussi sur une confiance réciproque et personnelle entre les partenaires, qui n’est pas la confiance ordinaire qu’un usager du tram peut avoir vis-à-vis des autres usagers sur le fait qu’ils vont se comporter ordinairement. Cette confiance d’équipe se constitue historiquement, dans le sens où c’est la répétition des activités coordonnées qui permet de faire naître et grandir cette confiance.
Deuxièmement, lorsque je prends le tram avec ma femme et mes enfants nous formons probablement une équipe, mais avec ceci de particulier : ma femme et moi sommes amenés à expliciter et à montrer à nos enfants comment s’utilise le dispositif de tram et comment s’effectue la coordination avec les autres usagers. Nous devons ainsi leur montrer comment nous nous « débrouillons » personnellement, pour qu’ils puissent éventuellement s’inspirer de pratique familière, mais aussi leur indiquer quels sont les usages ordinaires et les conventions collectives qui président à l’utilisation du tram. Nous devons aussi leur apprendre à coopérer pour que nous ne nous retrouvions pas séparés. Ici la coopération est dyssymétrique : les tâches ne sont pas interchangeables ; et hiérarchique dans le sens où une partie de l’équipe décide des tâches à faire et des moyens adéquats pour les accomplir.
Autre situation, il arrive aussi qu’une personne demande de l’aide pour entrer ou descendre de la rame. A ce moment-là, un autre type d’organisation se met en œuvre, qui se rapproche aussi, à mon sens, d’une coopération, puisqu’alors un ou plusieurs usagers se mettent au service de cette personne, lui permettant de réaliser l’action qu’elle a à faire. Ce qui distingue les deux situations précédentes avec celle-ci, c’est que dans les précédentes les usagers forment une équipe, ils coopèrent à la même action, alors que dans la deuxième, s’il y a une action qui devient commune (le fait que la personne qui demande de l’aide arrive effectivement à entrer ou sortir), cela n’annule pas l’action que doivent réaliser les autres usagers pour leur propre compte (entrer, sortir, ou rester). De fait, un dilemme peut survenir lorsque l’aidant se rend compte que rendre service l’empêchera d’agir selon ce qu’il avait prévu, mettant à mal ses plans pour la suite.
Pourquoi la demande d’aide se distingue d’une demande de coordination ou de coopération ? Premièrement, si l’aide apportée prend parfois l’aspect d’une coopération, cette aide peut aussi être apportée sans que la personne aidée participe à la coordination nécessaire. Sa situation fait qu’elle est parfois dans une passivité telle que les autres doivent faire pour elle. Par ailleurs, la personne aidée donne sa confiance d’une façon qui me semble différente de la confiance ordinaire qui sied entre co-usagers ou celle existant entre partenaires d’équipe. Elle est bien obligée de faire confiance, au sens fort du terme, sans que cette assurance puisse s’appuyer de précédentes expériences de coordination et de coopération.
Bien sûr, l’entraide et la sollicitude ne sont pas absentes dans la coopération mise en œuvre par une équipe. Néanmoins, il est ici possible de s’appuyer sur le paragraphe 26 d’Être et temps de Martin Heidegger[11], qui différencie deux formes de sollicitude : celle qui « peut en quelque sorte décharger l’autre de son souci et, s’agissant de ce qui le préoccupe, prendre sa place en se précipitant à son aide » ; et celle « qui ne se précipite pas tant à la place de l’autre qu’il n’anticipe sur lui en devançant son pouvoir-être existentiel, non pour le décharger du souci mais bien pour tout d’abord le lui restituer véritablement dans ce qu’il a de propre ». Pour rendre cette nuance dans des termes plus contemporains et concrets, je pourrais dire qu’il s’agit de distinguer les situations où nous « prenons en charge » la personne, et où nous l’enjoignons à « ne s’inquiéter de rien » ; et les situations où nous la « prenons en soin », où nous l’invitons alors à « se prendre en charge » et que nous lui proposons de l’accompagner dans un processus de capacitation et de responsabilisation.
Or, cette demande d’aide sous la forme d’une attente de « prise en charge », vient « déranger » la coordination tant individuelle que collective des usagers du tram. Elle vient ici prioriser l’usage personnel de la rame d’une personne singulière, potentiellement au détriment de l’usage public qui peut en être fait. Certes, la conception des transports en commun dans une logique « inclusive » tend à réduire au maximum ce type de situations. Il n’en reste pas moins que cela survient de temps en temps et qu’il est alors nécessaire de « tordre » à la fois les usages ordinaires et conventionnels du dispositif, comme maintenir la porte ouverte plus longtemps que prévu par l’usage habituel ou laisser la personne entrer avant que les usagers sortants n’effectuent leur sortie.
Ici, certains pourraient exiger de la CTS qu’elle emploie des grooms à chaque porte pour s’occuper de ce type de situations, comme la CAF emploie une personne pour « gérer » la file d’attente à l’accueil. Mais il y a quelque chose de questionnant dans le fait de demander aux dispositifs de prendre en charge le souci de prendre-en-charge, comme si nous souhaitions que les dispositifs puissent régler ces demandes, ce qui serait une façon de les ordonner et donc les rendre propices à s’intégrer dans les différents régimes de coordination.
Comme le rappelle Aurélie Jeantet[12], au sujet de son travail d’enquête auprès des guichetiers de la poste, être engagé dans un rapport social de service du côté du prestataire, c’est être sous la dépendance des bénéficiaires s’agissant de l’organisation et du contenu de sa journée. Tant le rythme du travail que les tâches à effectuer sont ainsi définis par la succession des usagers qui se présentent au guichet. Les demandes, toujours singulières, tendent toujours à ramener l’usage des dispositifs serviciels à une utilisation personnelle et peuvent ainsi déranger l’utilisation coordonnée, collective et publique du dispositif. Tout le travail du prestataire consiste à adapter les dispositifs serviciels nécessaires à la réponse aux demandes individuelles tout en maintenant son usage possible par tout un chacun. Ceci apparait source de tensions chez le prestataire de service, mais c’est aussi une détresse pour l’usager que de se rendre compte qu’il n’est que le « suivant de celui qu’il suivait » et qu’il est parfois « plus humiliant d’être suivi que suivant » comme disait la chanson.
Travail émotionnel. Il y a donc cette composition à faire entre d’une part maintenir en état un service utile à tous et d’autre part réaliser un service utile à chacun. La demande d’aide est toujours plus qu’une demande de coopération à un dispositif serviciel, dans le sens où elle déborde (parfois, souvent, toujours ?) la visée d’un usage optimal du dispositif. Si cette tension traverse de façon globale les rapports sociaux de service, elle semble particulièrement importante dans le cadre du soin, où chaque demande est d’autant plus singulière qu’elle concerne le corps propre et la subjectivité des personnes. Elle s’inscrit dans ce qu’on pourrait appeler un rapport social de soin qui implique, un corps à corps à la fois littéral et « émotionnel » entre les personnes, et qui, dans tous les cas, dépasse le rapport social de service et semble s’imposer de façon plus fondamentale.
Ces dérangements et ces débordements impliquent à mon sens de prendre en compte ce que Arlie Hochschild appelle le travail émotionnel[13], et plus exactement la régulation émotionnelle à l’œuvre dans les rapports sociaux et les « conventions de sentiment » qui participent à cette régulation. Elle définit ainsi le travail émotionnel comme « l’acte par lequel on essaie de changer le degré ou la qualité d’une émotion ou d’un sentiment ». La notion de travail indique ici que cela mobilise de l’énergie, certaines tâches spécifiques et des compétences en relation avec ces tâches. Elle insiste sur le fait que le travail émotionnel est d’abord une tentative d’agir sur ses émotions, et que le succès de cette tentative ne rentre pas directement en ligne de compte pour le définir.
Agir sur ses émotions est, pour Arlie Hochschild, une question de « jeu en profondeur ». Il ne s’agit pas seulement d’exprimer l’émotion attendue de façon superficielle mais bien d’essayer de la ressentir intérieurement pour que l’expression de l’émotion soit la plus authentique possible. Elle suggère ainsi que les « conventions de sentiment », qui dépendent grandement des rapports sociaux dans lesquels l’on se trouve pris, prescrivent non pas des comportements expressifs mais aussi des ressentis intérieurs, selon des normes « d’étendue » (trop ou pas assez), de « direction » (joie plutôt que tristesse) et de « durée ». Ces normes peuvent s’exprimer de deux manières : ce que l’on s’attend à ressentir et ce que l’on devrait ressentir.
Pour un prestataire de service, ce travail émotionnel comporte alors plusieurs types de tâches :
- Reconnaitre et interpréter ses émotions ;
- Agir sur elles soit dans le sens d’une suppression, soit d’une modification de son intensité ou de sa durée, soit d’une évocation ;
- Mais aussi :
- Reconnaitre et interpréter les émotions chez le bénéficiaire du service ;
- Agir sur les émotions du bénéficiaire par le biais d’une communication non verbale et verbale.
Pourquoi cela parait-il important dans le contexte d’un rapport social de service et plus spécifiquement dans les situations de soin ?
Une première réponse serait de dire que certaines émotions, qu’elles affectent le prestataire ou le bénéficiaire, diminuerait l’efficacité de l’activité de service, dans le sens où lorsque certaines émotions sont présentes ou qu’elles sont trop intenses ; elles nuiraient ainsi à la coordination tant individuelle que collective, et rendraient inutilisables les dispositifs serviciels. Il conviendrait alors, dans le travail quotidien, de repérer ces émotions et de les supprimer ou à tout le moins de les minorer.
Une deuxième réponse serait de dire qu’il existe au contraire certaines émotions qui rendent plus efficace l’activité de service. L’on peut ainsi penser à la joie des vendeurs qui participe au dispositif euphorisant des magasins, sensé faciliter l’achat compulsif des clients. Néanmoins, dans le contexte du soin, ce n’est pas tout à fait de cela qu’il s’agit. Si les termes de neutralité bienveillante ou de juste distance (ou encore de juste proximité) tendent à qualifier ce que seraient les « conventions de sentiments » dans les rapports de soins, il me semble que le terme de syntonie me parait plus adéquat. Si je tire ce terme dans la clinique psychiatrique, et qui a servi notamment à décrire une particularité de l’affectivité présente dans la manie, à savoir l’hypersyntonie qui est l’adhésion immédiate et excessive à « l’humeur ambiante », c’est qu’il implique l’idée d’une harmonie affective avec les autres, les conventions de sentiment, et avec soi-même (on parle alors d’égosyntonie ou d’égodystonie).
Il me semble ainsi que ce qu’on l’on vise dans le cadre d’une relation de soin, ce n’est pas tant d’être d’une neutralité absolue ni dans un mimétisme quasi-fusionnel vis-à-vis de l’émotion du patient, mais c’est plutôt de pouvoir ressentir et exprimer une émotion harmonieuse avec celle que l’on reconnait chez lui. Dans cette perspective, le travail émotionnel participe à un art, qui serait l’art de la relation (comme le travail des couleurs permet l’art de la peinture), ce qui implique alors de penser ses techniques, son esthétique, son éthique, et, peut-être surtout, son érotique pour reprendre quelques catégories de le relation soignante selon Jean-Christophe Weber[14].
Une troisième réponse à la question de l’importance du travail émotionnel est qu’il me semble que régulièrement les demandes singulières, qui viennent, comme je l’ai dit, perturber la coordination ordinaire du service, sont potentiellement sources de dissonances entres les différents membres d’une équipe. Cette dissonance peut aussi être de l’ordre de l’égodystonie, à la fois dans le fait que plusieurs émotions contradictoires surviennent, mais aussi du fait des réactions inconscientes que ne manque pas de provoquer toute relation et qui font lien avec le « jeu » affectif inconscient et des pulsions qui s’y rattachent. Il y a donc « à faire » avec ces dissonances, possiblement vécues de façon désagréable, et qui peuvent en rajouter à l’irritation et à la frustration déjà là par ailleurs. Le travail émotionnel, dans cette perspective, résonne avec la notion de travail psychique telle qu’on peut l’employer en psychothérapie, et plus particulièrement en psychanalyse. Cela renvoie alors à d’autres modalités de travail émotionnel que l’on peut retrouver dans les activités de supervision et qui lui associent un travail d’élaboration et d’interprétation, tant individuel que collectif.
Enfin, une dernière réponse est en lien avec la distinction introduite entre les deux formes de sollicitude que propose Martin Heidegger, ce qui différencierait deux types de tâches émotionnelles : le premier qui prend soin de l’émotion de l’autre, qui reste toutefois à sa charge et dont il reste responsable ; et le deuxième qui prend en charge l’émotion de l’autre, dont on lui hôte en quelque sorte la responsabilité, ce qui implique de prendre sur soi cette émotion (et non pour soi) ; c’est-à-dire de permettre à l’autre de se décharger sur soi de cette émotion (de vider son sac) qui le déborde. C’est par exemple le chagrin qu’on laisse éclater ou cette colère qu’on laisse exploser, et qui demandent, pour celui qui prend en charge, de savoir accueillir, sans trop se défendre ni rompre, ce qui apparait parfois comme un déferlement.
Au-delà du fait que ce travail émotionnel est le plus souvent invisible, voire indicible, et qu’il fait peu l’objet de communication explicite dans les rapports de travail, il est à noter que la place des dispositifs, et particulièrement celle des dispositifs numériques, parait actuellement croissante dans ce domaine. Il semble qu’il y ait d’une part la mise en place de dispositifs dont la visée est d’encadrer et de canaliser ce travail émotionnel (pour les prestataires et les bénéficiaires du service) et d’autre part l’apparition de dispositifs qui tendent à supprimer purement et simplement ce travail émotionnel, le prestataire de service étant désincarné et remplacé par des écrans.
L’hypothèse qui peut être faite est que le new public management a introduit un paradigme de réduction du « facteur humain » pour tenter de gagner en efficacité ; le facteur humain étant considéré comme irrationnel, imprévisible, en un mot : émotionnel, et qu’il nuit de ce fait à l’efficience de l’activité. Cela renvoie selon Christophe Dejours à deux visées : l’une de limiter au mieux les erreurs d’origine humaine, et l’autre à encadrer, orienter et optimiser au mieux les actions humaines[15].
Il y a donc deux stratégies qui découlent de ces raisonnements.
Premièrement, il s’agit de remplacer l’activité humaine par des dispositifs techniques fonctionnant de façon automatisée ; il faut néanmoins rappeler que cela nécessite toujours de nouvelles tâches humaines de programmation, de surveillance, de contrôle et de maintenance, mais qui ne sont alors pas du travail effectué en face à face. C’est par exemple la mise en place d’interfaces numériques par les services publiques comme la sécurité sociale, la CARSAT, la CAF, les impôts, etc…
Deuxièmement, lorsque cette activité humaine n’est pas remplaçable, il s’agit alors de protocoliser la pratique et les usages des dispositifs serviciels, de les standardiser pour limiter au plus les pertes d’efficacité liées au travail émotionnel. Cette standardisation intervient de deux manières : d’une part elle tend à encadrer l’expression de la demande du bénéficiaire ; d’autre part à orienter le type de réponses que doit donner le prestataire. Ceci passe généralement par l’élaboration de questionnaires qui assurent par une série de questions fermées et précises le centrage de l’attention sur l’informationnel et non l’émotionnel, ainsi qu’un cadrage de la demande par le biais d’une grille de lecture permettant de distinguer des besoins pour lesquels une tâche standard a déjà été déterminée. La mesure de la satisfaction permet quant à elle de quadriller la dimension affective du service rendu.
Synthèse intermédiaire. A ce stade, apparaissent en filigrane quelques facettes de l’engagement, de l’aliénation et de l’impuissance :
- L’engagement « spontané » dans l’action, tout d’abord, qui implique le plus souvent un engagement mutuel entre les personnes par le biais de la coordination et de la coopération que de nombreuses actions impliquent, mais aussi un engagement dans un corps à corps avec les dispositifs qui ne manquent ni de servir à l’action ni de la contraindre ; Si nous reprenons le partage effectué par Giorgi Agamben, nous avons déjà deux facettes de l’aliénation : celle aux êtres vivants et celle aux dispositifs ;
- Cet engagement est par ailleurs régulé par les différentes normes que sont les convenances personnelles, les convenances collectives ordinaires et enfin les conventions publiques, et qui viennent ici lier l’engagement à de multiples attaches.
- Les coordinations ou les coopérations bien huilées peuvent être par ailleurs dérangées par la demande d’aide, qui vient à chaque fois réinterroger l’engagement dans l’action et les conventions qui l’entourent et qui enjoint à réinventer de nouveaux usages qui répondent à chacun tout en maintenant la possibilité de répondre à tous.
- Ces interrogations et réinventions toujours renouvelées s’accompagnent le plus souvent d’un surcroît de travail émotionnel, particulièrement intense lorsqu’il implique de prendre sur soi l’émotion de l’autre ; travail émotionnel qui serait la partie immergée du soin et dont l’ampleur pourrait expliquer l’épuisement des soignants.
- Epuisement contre lequel il semble n’y avoir qu’une réponse : la multiplication des dispositifs (notamment numériques), qui ajoutent leurs contraintes d’usage aux précédents, et qui, j’ose la grandiloquence, refoule la souffrance liée au travail émotionnel dans l’inconscient collectif, en tentant soit de réduire ce travail à des scripts comportementaux préétablis, soit de le faire disparaître au profit du travail algorithmique.
- Epuisement face à une aliénation subie toujours plus grande qui se transforme alors en impuissance : impuissance à engager l’action face à la multiplication et l’éclatement des coordinations et des dispositifs, impuissance à réinventer les usages pour chaque situation singulière, impuissance à pratiquer son art de la relation qui se traduit en impuissance à subir les émotions des autres (les patients, les collègues) et les siennes.
Il y a, comme qui dirait, un nœud entre cette aliénation constitutive du soin et cette aliénation qui se renforce à chaque tentative de desserrement. Je ne suis pas sûr de pouvoir le dénouer, mais il me semble que la notion d’épuisement nous indique un chemin pour mieux comprendre de quoi il est fait. Ceci me conduit à aborder la notion de motivation.
La motivation. Je n’ai pas prétention à être exhaustif sur ce sujet, mais j’espère le défricher suffisamment pour que cela soit utile à notre réflexion. A noter que je ne parlerai ici que de motivation dans son sens psychologique, que le trésor de la langue française informatisé définit comme ceci : « ensemble des facteurs dynamiques qui orientent l’action d’un individu vers un but donné, qui déterminent sa conduite et provoquent chez lui un comportement donné ou modifient le schéma de son comportement présent »[16]. Il semble que d’une part il soit indubitable que nous soyons motivés à agir, puisque nous agissons, et que d’autre part il soit très difficile de définir ce que peut être cette motivation.
Dans son ouvrage Les théories de la motivation[17] Fabien Fenouillet rappelle que ces théories ont principalement pour ambition d’expliquer les causes du comportement humain et propose une définition générale plus technique : « la motivation désigne une hypothétique force intraindividuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externes multiples, et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action ». Notons d’emblée que cette définition de la motivation postule un certain « individualisme méthodologique », probablement intrinsèque à toute psychologie cognitive et expérimentale, et une internalité de la motivation à cet individu. Elle évoque aussi la causalité entre motivation et action sous une perspective déterministe. Enfin, en distinguant comportement et action, la définition porte l’attention sur le fait que la motivation cause à la fois des mouvements involontaires et volontaires. Je reviendrai un peu plus loin sur la difficulté qu’implique d’associer dans une même définition un postulat déterministe et une distinction entre le volontaire et l’involontaire.
Je vais m’attarder sur une théorie motivationnelle qui parait plutôt dominante à l’heure actuelle, notamment dans le champ du travail et de la santé. C’est une théorie élaborée initialement par Edward Deci et Richard Ryan et qui est nommée théorie de l’auto-détermination[18].
Le postulat de départ de ces auteurs est de considérer que les humains sont « des organismes actifs, orientés par le développement qui sont naturellement inclinés à l’intégration de leurs contenus psychiques dans un sens unifié de soi et à l’intégration d’eux-mêmes dans des structures sociales plus larges ». Cette tendance naturelle s’exprime par trois besoins psychologiques fondamentaux que sont les sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale.
Le sentiment d’auto-détermination, est décrit comme un jugement d’attribution de l’action à soi-même et non d’un autre ou des circonstances. Cela fait notamment référence au concept de psychologie cognitive d’attribution de causalité qui nous permet d’attribuer les actions à un agent, qu’il soit nous-même, une autre personne, où un élément de l’environnement. Ce qui est donc motivant, c’est de pouvoir agir par soi-même.
Le sentiment de compétence fait à la fois référence au jugement qu’une personne fait de sa performance et à la confiance qu’elle a en ses capacités à accomplir une action. Selon cette théorie, nous serions donc plus motivés lorsque nous nous sentons compétents dans la tâche à accomplir. Il est à préciser toutefois que lorsque les tâches sont jugées trop faciles, ou que la personne se juge en quelque sorte sur-compétente par rapport à l’activité à réaliser, la motivation tend à décroître. De fait, la compétence serait d’autant plus motivante que celle-ci se déploie sur des tâches de plus en plus complexes jusqu’à un niveau jugé optimum.
Enfin, le sentiment d’appartenance sociale s’appuie notamment sur la théorie de l’attachement (proposée par John Bowlby) et plus particulièrement sur le fait que l’être humain cherche à développer des attachements sécures. Au-delà du fait que cette recherche d’un sentiment de sécurité dans les relations ou sein d’un groupe social motive la personne à agir dans une certaine orientation, le fait de se sentir sécure autorise aussi plus facilement la personne à agir de façon auto-déterminée (notamment de façon exploratoire et créative) et à développer son sentiment de compétence.
Cette notion d’appartenance sociale, qui se présente sous la forme d’un sentiment d’attachement sécurisé, qui motive la personne et qui favorise les actions réalisées de façon auto-déterminée (à l’instar du comportement exploratoire que l’enfant sécure peut mener), permet à Edward Deci et Richard Ryan de mettre en lumière ce qui différencie la motivation intrinsèque de la motivation extrinsèque. Les travaux sur la théorie de l’autodétermination invitent ainsi à fortement relativiser la hiérarchie établie par Abraham Maslow qui indiquait (dans sa formulation initiale) que les besoins d’accomplissement survenaient après les besoins d’estime, d’appartenance, de sécurité, et enfin physiologiques ; ces derniers constituant alors la base de toute motivation. La hiérarchie est ici celle entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque, qui ne se différencient pas sur le type de contenu du comportement ou de l’action : boire et manger, recherche d’un logement, puis d’un conjoint, puis d’un travail puis des activités d’accomplissement personnel. Ces deux formes de motivation se distingue sur la nature de la régulation, interne ou externe, régulation qui repose essentiellement sur le concept de récompense telle qu’elle a pu être formalisée dans les premiers travaux sur le conditionnement et qui fait écho sur le plan neuroscientifique à ce qu’on appelle le circuit de la récompense. Ainsi, très schématiquement, lorsque je suis motivé de façon intrinsèque, c’est que je suis en quelque sorte capable de m’auto-conditionner et en mesure d’activer de moi-même mon propre circuit de la récompense.
Edward Deci et Richard Ryan identifient ainsi quatre styles de motivation extrinsèque, qui amènent graduellement vers la motivation intrinsèque :
- La régulation externe, où le comportement est effectué en vue d’une récompense concrète (ou dans le but d’éviter une punition concrète) ; le but du comportement est ici soit ignoré par la personne soit jugé impersonnel ; voire, la personne peut y être opposée mais s’y sent contrainte du fait l’appât de la récompense ou la crainte de la punition.
- L’introjection, qui est une forme d’internalisation partielle de la régulation externe mais pour laquelle la personne n’adhère pas complètement au but du comportement ou de l’action et qui est vécu comme une contrainte extérieure. Il est possible ici de parler d’un assentiment, éventuellement teinté de résignation : « bon, je vais le faire si vous pensez que c’est important ». Le maintien du comportement reste ici fortement dépendant de la régulation externe ;
- L’identification, qui implique une adhésion « personnelle » au but du comportement ou de l’action impliqués. Néanmoins le comportement ou l’action restent instrumentaux dans le sens où ils ne sont pas encore effectués pour eux-mêmes et pour la satisfaction personnelle qu’ils procurent ;
- L’intégration est le style qui se rapproche le plus de la motivation intrinsèque, dans le sens où en plus d’une identification au but du comportement ou de l’action, celle-ci est intégré et harmonisé avec les autres valeurs et buts de la personne ;
- Enfin la motivation intrinsèque, autonome, apparait pleinement autorégulée par la personne. Cela se rapproche de la notion de personne autotélique développée par Mihaly Csikszentmihalyi, qui désigne les personnes qui mènent des activités pour la satisfaction qu’elle procure, sans recherche d’une satisfaction indirecte ou instrumentale ; activités qui s’accompagnent alors d’un sentiment de flux (ou flow en anglais) qui est le « sentiment de profonde absorption dans une tâche jugée intéressante » et qui induit « la fusion de la conscience et de l’action, la perception de contrôle et l’altération de la perception du temps ».
Robert Vallerand rajoute à ce modèle trois niveaux de temporalité dans lesquels se déploient la motivation[19]. Il y a :
– la motivation situationnelle, qui est en fait un « état motivationnel » présent ou non lors d’une activité donnée située dans un temps court.
– La motivation contextuelle, qui est une « tendance plus ou moins stable de l’individu à être motivé intrinsèquement » pour une « sphère d’activités données », comme le travail ou les loisirs.
– la motivation globale, qui est ici un « aspect de la personnalité de l’individu », une disposition à être motivé plus ou moins intrinsèquement.
Il suggère de plus qu’il est tout à fait possible pour un individu d’être motivé extrinsèquement dans une situation donnée, mais qu’il présente néanmoins une motivation globale plus intrinsèque, à l’image d’un étudiant en médecine bachotant sa sixième année, sans y trouver de motivation intrinsèque mais parce qu’il est motivé par la perspective d’accéder à la spécialité qu’il souhaite.
Cette théorie nous donne possiblement quelques indications sur le fait que nous nous dirigions préférentiellement vers certaines activités, et notamment comment certains dispositifs nous conduisent à préférer certaines tâches. Les dispositifs qui favorisent ainsi le sentiment d’auto-détermination, de compétence et d’appartenance sociale conduiraient ainsi à nous motiver à les utiliser. L’évolution des grandes surfaces est à mon sens un exemple de l’évolution d’un dispositif de vente qui contribue à satisfaire ces trois besoins : nous choisissons nous-mêmes les produits selon un parcours dans le magasin que nous déterminons, produits que nous finissons par enregistrer nous-mêmes à la caisse sous le regard bienveillant d’agents qui sont sensés nous valoriser et nous renforcer positivement. Je ne nie pas qu’il y ait souvent toutes sortes de ratages dans le fonctionnement effectif d’un tel dispositif mais là ne sont pas forcément les questions les plus problématiques.
Premièrement, il me semble que les dispositifs combinent toujours des incitations de type intrinsèques et extrinsèques, mais que ces dernières tendent à être invisibilisées (notamment lorsqu’elles sont, comme qui dirait, cachées dans l’algorithme). Ceci traduit une ambiguïté que le terme de manipulation rend assez bien. En faisant de la motivation un objet d’étude de la psychologie expérimentale, cela conduit à construire des paradigmes expérimentaux qui visent à manipuler (au sens de la manipulation que l’on effectue en laboratoire) la motivation des sujets d’étude. De fait, il n’y a qu’un pas pour que ces paradigmes se retrouvent dans la construction d’un dispositif serviciel, par le biais des nouveaux métiers d’UX designer dont la mission est de façonner une expérience-utilisateur « optimale ».
Une autre forme de manipulation est celle analogue à celle qu’effectue le kinésithérapeute dans le sens où la motivation pourrait être en quelque sorte « palpée » et puis manipulée pour être « rétablie » si elle venait à manquer. Je me réfère ici aux techniques d’entretien motivationnel, qui se sont notamment développées dans le champ de l’addictologie et plus généralement dans le champ de l’éducation thérapeutique. Issu en partie de l’approche de Carl Rogers[20], mais aussi des thérapies cognitivo-comportementales, l’entretien motivationnel est envisagé pour faciliter la conduite d’un changement chez une personne.
Selon William Miller et Stephen Rollnick[21], il y a quatre processus essentiels : l’engagement dans la relation, la focalisation où sont spécifiés les objectifs du changement, l’évocation où sont développés les arguments pour le changement, et enfin la planification du changement.
De façon résumée, l’entretien motivationnel permet selon ces auteurs, non pas de provoquer un changement de comportement ou d’action chez une personne qui n’en a pas envie (sans quoi l’engagement dans la relation risque de toute façon d’être difficile), mais plutôt de favoriser le changement chez une personne ambivalente. Sur le plan psychologique, il s’agit essentiellement de réaliser une forme de recadrage cognitif au sujet de cette ambivalence, d’une part en renforçant la dissonance cognitive qu’elle provoque en invitant à la personne à porter attention sur les « pour » et les « contre » (ce qu’on appelle aussi la balance décisionnelle), tout en recontextualisant cette ambivalence en questionnant l’histoire, les désirs, les projets, les émotions, les croyances et les valeurs de la personne.
Tout au long de ces quatre phases, les auteurs identifient plusieurs compétences centrales chez le soignant :
- Poser des questions ouvertes ;
- Valoriser ;
- Refléter, qui est la capacité à ré-exprimer, le plus souvent avec les mots de la personne, ce qu’elle vient de dire ;
- Résumer, qui s’articule avec la compétence précédente mais qui intervient lorsque beaucoup de choses ont été dites ;
- Informer et conseiller, qui ne se font que si le « client » donne sa permission.
Ainsi, tout doit être fait de façon à renforcer les sentiments d’auto-détermination, de compétence et d’appartenance sociale (ici actualisée par l’ambiance sécure que permet la valorisation continue) et dans l’objectif que la personne puisse se motiver de façon intrinsèque, sans utiliser de motivation extrinsèque.
Si je prends le temps d’énumérer tout cela, c’est que, si au temps du fordisme, le problème de la motivation était présomptivement réglée par le salaire (motivation extrinsèque de référence), le « travail motivationnel » était alors essentiellement à la charge du patron. Il apparait qu’actuellement chacun écope d’une part de ce « travail motivationnel », puisque la motivation véritablement efficace est intrinsèque. Je fais aussi le lien avec le développement d’innombrables formations au coaching et/ou au développement personnel. Ici, l’entretien motivationnel tel qu’il est décrit par Miller et Rollnick, qui font figures de référence, permet de se représenter quel type de travail il peut s’agir.
De même, si au temps du paternalisme médical (si tant est qu’il soit révolu), la santé intervenait comme motivateur externe, il est maintenant de plus en plus demandé aux patients de se motiver de façon auto-déterminée, notamment ceux souffrant de pathologies chroniques aux traitements complexes qui doivent s’engager dans tout un tas de changements à long terme.
Chacun se doit donc de « manipuler » sa motivation, pour la maintenir à un niveau optimal, et je fais l’hypothèse que ce travail est conjoint au travail émotionnel évoqué précédemment, puisqu’il est bien précisé : sentiment d’auto-détermination, sentiment de compétence et sentiment d’appartenance ; la motivation est donc affaire de sentiments, qui ne manqueraient donc ni de conventions, ni de tâches à effectuer, parfois de façon stratégique, pour qu’elle se maintienne au niveau jugé adéquat.
Enfin, le terme de manipulation renvoie aussi à une : « manœuvre par laquelle on influence à son insu un individu, une collectivité »[22]. Je crois que, sur un plan métaphysique, les théories de la motivation ne sont pas toujours très claires au sujet de leurs postulats (ce n’est pas forcément leur but non plus). Elles donnent tout de même à penser que leurs auteurs adhèrent à la fois à une position réductionniste dans le sens où l’esprit peut être réduit au cerveau ; position qui s’associe le plus souvent à un postulat déterministe, qui réduit la liberté à une illusion ou à un sentiment. A cette possible ambiguïté métaphysique se double possiblement une ambiguïté sur la fin et les moyens : si la fin affichée est celle d’un usager libre et autodéterminé, il est bien possible que son autonomie ne soit considérée que comme un moyen de réaliser une activité de service de façon efficace, voire rentable. Dans cette perspective, les dispositifs motivationnels s’adresseraient alors au système neurobiologique de la récompense dont les facteurs seraient déterminables, s’ils ne le sont déjà. Un cas paradigmatique est le développement ces dernières des jeux vidéo-comme-service, qui visent à engager durablement les joueurs dans cette activité, essentiellement par le renouvellement sans fin d’objectifs divers et par la mise en œuvre d’effets visuels et sonores qui entourent les récompenses associées à la réussite de chaque objectif. Ceux ne sont donc plus le plaisir esthétique ou le sentiment de compétence qui sont visés, mais bien le recommencement sans fin d’une boucle désir-récompense si similaire à celui de l’addiction. Je ne dis pas que tout est manipulation, je dis seulement que lorsque le terme de motivation est employé, alors il persiste une ambiguïté au sujet de la visée effective de celui qu’il l’emploie, ambiguïté que les dénégations ne sauraient lever si facilement.
Le deuxième problème de la motivation que je souhaite évoquer, et plus particulièrement dans la théorie de l’auto-détermination, est la valorisation excessive qu’il fait de l’autonomie personnelle, (paradoxalement doublée, je viens de le dire, d’une forme de mise en suspension de la liberté humaine). L’examen de ce problème me servira aussi à dresser une conclusion temporaire à mon propos. Je reprends ici le nœud évoqué tout à l’heure : celui d’une aliénation constitutive de la relation de soin renforcée par l’adjonction sans fin de dispositifs qui resserre les possibilités d’action jusqu’à l’impuissance.
D’abord, je dirai tout de même que je suis assez d’accord sur le fait qu’une activité que j’ai le sentiment d’avoir choisie, pour laquelle je me sens compétent, et qui me permet de me sentir socialement intégré et reconnu est motivante. Et je perçois bien comment une telle activité dont la réalisation serait par trop dépendante des autres êtres vivants, avec lesquels je ne pourrais pas bien pratiquer mon art de la relation, et des dispositifs envahissants, que je ne pourrais pas un tant soit peu aménager à ma convenance, deviendrait vite peu motivante ; si ce n’est par le biais d’une motivation extrinsèque qui finirait à la longue par me paraître aliénante.
Le problème c’est que la motivation intrinsèque n’est pas suffisante pour définir une bonne activité. A en croire la série Narcos sur Netflix, le rapport de Pablo Escobar à son activité de producteur et trafiquant de drogues semblait (un temps du moins) remplir toutes les caractéristiques d’une motivation intrinsèque (assortie de tout un tas de motivations extrinsèques, je vous l’accorde). Néanmoins, il n’est pas possible de qualifier son activité de « bonne » au sens éthique du terme.
Plus précisément, le problème est qu’en valorisant l’autonomie à outrance, en faisant ainsi de l’autonomie une sorte de bien suprême, nous la mettons à une place qu’elle ne peut pas occuper dans le sens où l’autonomie ne peut être bonne que si, pour reprendre les termes de Paul Ricoeur, elle conduit à « une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ». Par ailleurs, définir l’autonomie par le fait qu’elle conduise de façon systématique à cette vie bonne est aussi problématique. D’une part, dans cette formulation l’autonomie reste relative à la vie bonne, et d’autre part elle parait irréaliste. Enfin, dire que la vie bonne est une vie autonome induit d’une part que toutes les personnes qui ne peuvent être qualifiées d’autonome ne pourraient accéder à une vie bonne et d’autre part, qu’il y a possiblement des vies dites autonomes que nous aurions du mal à juger bonne (cela rejoint la remarque au sujet de Pablo Escobar).
Je soutiens de plus que l’autonomie n’est pas non plus une vertu, à peu près pour les mêmes arguments qu’elle ne peut être le bien suprême. Elle n’est pas non plus une capacité mais plutôt une modalité de l’action. Autrement dit, il y a certaines actions qui sont autonomes et d’autres qui ne le sont pas. Je complète mon propos en disant que l’attribution du prédicat autonome ne repose pas sur un ou des critères objectifs, mais plutôt sur un faisceau d’arguments qui rendent crédibles l’attestation d’une personne lorsqu’elle dit : « j’ai fait ça de moi-même ». En conséquence, l’autonomie n’est pas dans l’individu mais dans la relation.
Autre conséquence que j’entrevois, c’est qu’il est beaucoup plus aisé d’être crédible dans son attestation d’autonomie pour une activité donnée, que pour une sphère d’activité et encore moins pour une vie tout entière. Ainsi, il me semble que lorsque nous valorisons de façon excessive l’autonomie, nous ne puissions valoriser que des actes autonomes (je pourrais dire des performances pour faire lien avec Alain Ehrenberg[23] et Paolo Virno[24]), situés et isolés. De fait, même s’il semble bon de tendre vers une motivation intrinsèque, la seule motivation que nous pouvons juger avec quelque peu de certitudes c’est la motivation situationnelle, et donc seulement connaître les états motivationnels ponctuels, états rattachés à des individus « instantanés » plus qu’à des individualités « historiques ».
Enfin, si nous ne pouvons connaître que des états motivationnels, donc situationnels, alors les remèdes au manque de motivation risquent de n’être eux-aussi que situationnels et donc se centrer sur les individus en présence (sans pouvoir faire référence ni à leur histoire et ni aux rapports sociaux qui les constituent en individualité). C’est en quelque sorte une réduction drastique de l’engagement à une succession sans histoire d’états motivationnels. Si l’on ajoute à cela que les remèdes employés font souvent appel à la création de nouveaux dispositifs (que ceux-ci soient sensés ou non faciliter l’émergence d’une motivation intrinsèque), alors nous avons peut-être une explication de la multiplication sans fin des dispositifs, puisque ceux-ci sont relatifs à des situations elles-mêmes en nombre potentiellement infini.
Si mon argument tient la route, il y a donc une question de temporalité à traiter, une réflexion à mener sur, je dirai, notre mésusage du temps ; à partir de l’œuvre de Hannah Arendt[25], il s’agirait d’évoquer la compression du temps l’action politique dans l’œuvre et celle de l’œuvre dans le travail, ce qui aurait comme principale conséquence que nous ne puissions plus commencer une action qui serait continuée par les autres personnes.
Une autre hypothèse, qui s’appuie sur les rapports au temps proposés par Vladimir Jankélévitch dans livre L’aventure, l’ennui et le sérieux[26], et dans lequel il écrit : « dans le désert informe, dans l’éternité boursouflée de l’ennui, l’aventure circonscrit ses oasis enchantées et ses jardins clos ; mais elle oppose aussi à la durée totale du sérieux le principe de l’instant. Redevenir sérieux, n’est-ce pas quitter pour la prose amorphe de la vie quotidienne ces épisodes intenses, ces condensations de durée qui forment le laps de temps aventureux ? ». Peut-être que nous commençons actuellement trop d’aventures (qui se parent, par exemple, du nom du projet) qui nous abandonnent trop rapidement dans l’ennui, et que nous ne savons plus continuer sérieusement.
[1] Cité par Philippe Zarifian, dans « Rapport social de service, client et valeur », La Nouvelle Revue du Travail, no 2 (30 mars 2013), https://doi.org/10.4000/nrt.737.[2] Jean Gadrey, Socio-économie des services (Paris: La Découverte, 2003).
[3] Zarifian, « Rapport social de service, client et valeur ».
[4] Zarifian.
[5] Giorgio Agamben, Qu’est-ce qu’un dispositif ? (Paris: Rivages, 2014).
[6] Michel Foucault et Jacques Lagrange, Dits et écrits, 1954-1988, éd. par Daniel Defert et François Ewald (Paris, France: Gallimard, 1994).
[7] Agamben, QU’EST-CE QU’UN DISPOSITIF ?
[8] Zarifian, « Rapport social de service, client et valeur ».
[9] Laurent Thévenot, L’action au pluriel (Paris: La Découverte, 2006).
[10] Christophe Dejours, Le Facteur humain (Paris: QUE SAIS JE, 2022).
[11] Martin Heidegger, Être et Temps (Paris: Gallimard, 1992).
[12] Aurélie Jeantet, « « À votre service ! » La relation de service comme rapport social », Sociologie du travail 45, no 2 (1 avril 2003): 191‑209, https://doi.org/10.4000/sdt.31416.
[13] Arlie Russell Hochschild, « Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale », Travailler 9, no 1 (2003): 19‑49, https://doi.org/10.3917/trav.009.0019.
[14] Jean-Christophe Weber, La consultation (Paris: PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE – PUF, 2017).
[15] Dejours, Le Facteur humain.
[16] « MOTIVATION : Définition de MOTIVATION », consulté le 31 mars 2023, https://www.cnrtl.fr/definition/motivation/substantif.
[17] Fabien Fenouillet, Les théories de la motivation – 2e éd., 2e édition (Paris: Dunod, 2016).
[18] Edward L. Deci et Richard M. Ryan, « The “What” and “Why” of Goal Pursuits: Human Needs and the Self-Determination of Behavior », Psychological Inquiry 11, no 4 (1 octobre 2000): 227‑68, https://doi.org/10.1207/S15327965PLI1104_01.
[19] Philippe Carré et Fabien Fenouillet, Traité de psychologie de la motivation – Théories et pratiques: Théories et pratiques (Malakoff: Dunod, 2019).
[20] Carl Rogers et Jean-Pierre Zigliara, La relation d’aide et la psychothérapie, 20e édition (Paris: ESF Sciences Humaines, 2019).
[21] William R. Miller et Stephen Rollnick, L’entretien motivationnel – 2e éd. – Aider la personne à engager le changement: Aider la personne à engager le changement, 2e édition (Paris: InterEditions, 2019).
[22] « MANIPULATION : Définition de MANIPULATION », consulté le 31 mars 2023, https://www.cnrtl.fr/definition/manipulation.
[23] Alain Ehrenberg, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, 2000e édition (Odile Jacob, 2000).
[24] Paolo Virno, De l’impuissance: la vie à l’époque de sa paralysie frénétique, trad. par Jean-Christophe Weber, Philosophie imaginaire (Paris: Éditions de l’Éclat, 2022).
[25] Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (Paris: Le Livre de Poche, 2020).
[26] Vladimir Jankélévitch et al., L’aventure, l’ennui, le sérieux (Paris: FLAMMARION, 2017).