« Pas De…, Pas Dans…. Mais pas Sans (l’école) »


Pas de, pas d’eux, pas de deux, pas de dans-e, pas sans, passant, passer, passage….
De bric et de broc
Dedans/ouvert
Proximité espacée

12/12/2015
Sonia Weber

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« Pas De…, Pas Dans…. Mais pas Sans (l’école) »

Visa-Vie : pratique (psychothérapie) institutionnelle d’un dedans ouvert. Topologie d’une proximité espacée. Revenir au point de départ de ce questionnement : d’où il a surgi : la crise du logement occasionnée par les jeunes, le principe d’insoumission (droit de veto) comme refus d’interpellation (Althusser) ?  « Tu m’parles pas ; t’as rien à me dire ; t qui toi ? » : tentative de couper court à toute interpellation ; refus de ce qui est là avant, d’une inscription dans un déjà là ?

Mais pour faire quelque chose ensemble, il faut un minimum d’entente : un point commun ? Un point de rencontre ? Une possibilité de se croiser ? De s’approcher, même à distance ? D’être avec ? Entente ou tolérance ? La tolérance est la mise en latence de conflits continués, inéluctables du fait de la pluralité de personnes (nous sommes tous l’étranger de l’autre et de nous-même). Il faut inconditionnellement de la tolérance pour construire un monde commun. Le simple partage de contenus d’objectifs communs ne suffit pas à assurer l’existence et le maintien d’un monde commun entre autres parce que l’existence des croyances communes n’efface pas la pluralité des êtres. Si on les dit « hors social », quel point commun ou de commun ? À nous de sortir (« partiellement » des préoccupations sociales : l’insertion…) d’être nous aussi « hors social ». Où sont-ils plutôt U-sociaux et U-chroniques ? Deligny parlait « des transfuges de la normalité ». Le social transmet la soumission ; peut-on transmettre autre chose que ça ? Le social, le collectif peut-il totalement s’en passer ? On ne peut les faire rentrer de force dans le social « dominant » ; alors quel espace, quelle zone commune ? Partagée ? Quelle scène intermédiaire, quel espace de transition ? Qu’inventer pour rendre la vie possible, à quelques-uns ? … Il ne s’agit pas de trouver le bon truc, le bon cadre pour que ça marche, qu’ils rentrent dans les clous mais que ça vive.

Penser la question du Commun, Comme Un, comme un donc pas Un… du social, de la communauté, du groupe, du collectif… Point-Commun, Point de commun…..autant de termes qui disent, déclinent la question de l’être avec, de la cohabitation, de la façon dont les humains inventent, décident des rapports qu’ils entretiennent avec eux-mêmes et avec les autres, s’agrègent, s’agencent s’organisent ou sont organisés entre eux…Selon les conceptions, quels effets en retour sur la théorie psychanalytique, quels effets sur nos pratiques; quels effets sur la singularité, la subjectivation ? La question est bien d’interroger la psychanalyse à partir de ces questions-là, très concrètes. Et la psychanalyse peut être propice à l’ouverture de ces questions.  Lors de notre séance de rentrée, Philippe Koeppel, nous avait présenté un tableau avec ce qui est posé comme commun à tous les hommes, dans le champ de la philosophie, de la linguistique, de la psychanalyse. Question d’un même déjà là ou d’un pot commun ? À partir duquel chacun déclinerait sa singularité….

Chez les philosophes, nous avons en commun : le logos, au principe de toute chose, l’idéologie (années 60) en tant que représentation imaginaire que se font les hommes de leurs conditions réelles d’existence, qui agit sur les consciences et dont la fonction sociale est d’assurer la cohésion de ses membres. L’idéologie est transmise par les AIE (école, justice, médico-social… (aujourd’hui main invisible du marché). Question de l’interpellation chez Althusser. Avec Foucault la notion de discours remplace les AIE, véhiculé par les dispositifs (Agamben, Deleuze) qui sont la mise en œuvre pratique des discours. Dans le champ de la psychanalyse on trouve : la Sprache (en même temps langage, langue et parole). Elle marche avec la Kultur. S’ajoute l’identification (un commun qui persiste dans l’inconscient) (ressort libidinal de l’identification que l’on n’a pas dans l’interpellation). Le A, discours de l’Autre, trésor des signifiants. Lalangue. Chez les linguistes : la langue le langage, la langue est déposée, dans chaque individu ; chaque locuteur mobilise la langue dans un acte individuel d’utilisation mais toujours en référence à ce dépôt commun.

On peut donc aborder le commun sous l’angle de ce que nous avons de commun, en commun, comme un donné, déjà là… Ou sous l’angle de la fabrique d’un commun, de quelque chose à construire, à inventer et ré inventer… d’une mise en commun… Dans ce cas-là, quel commun fabrique- t-on ? Que met-on en commun ou avec qui nous mettons-nous en commun ? Pour quoi ? … (l’objet « a ») ? « Il ne s’agit plus de savoir ce qui doit être acceptable (pour un monde commun) mais de savoir qui nous voulons accepter à l’aube de la constitution d’un monde commun » … J’aurais, pour ma part, tendance à penser qu’il y a des deux…

Je retiens quelques inquiétudes évoquées lors de nos 1ers échanges… Le Commun porte un risque de totalitarisme. Le collectif vu comme une somme d’individus ne protègent-ils pas de ce risque ? Les règles du collectif permettent une cohabitation différente d’un vivre ensemble. Il peut y avoir des tâches communes (banales) qui ne soient pas un Commun… (mais pas plus acceptées par certains jeunes car elles impliquent la prise en compte d’autres, d’autrui). Un groupe d’enfants dans un foyer peut être, un groupe, ou un collectif et pas nécessairement un Commun. Souvent confusion de dimensions différentes. Problème des repas pris en commun, souvent pensés comme des moments de « partage » : on partage un repas, ce n’est pas que repartir la nourriture dans différentes assiettes. Un Comme UN ou un Commun fait de 1+1+1… juxtaposition ou somme des 1, qui garde la diversité ?

  1. Barthes dans son cours au Collège de France, (76-77) s’interroge sur un Vivre-Ensemble qui inclut la distance. Le groupe idiorythmique est-il possible ? N’est- ce pas une folie que de vouloir faire du Commun ? Très vite, le commun tire du côté du même, du groupe, de l’unité, d’un dedans d’un dehors, de l’exclusion… Commun, communauté, entre soi, identité, unité (nationale), consensus (tous derrière le même drapeau…) l’actualité nous rattrape… Agamben : « Que serait une communauté sans présupposés, sans conditions d’appartenance, sans identité ? Peut-on imaginer une communauté formée par des singularités quelconques, c’est-à-dire parfaitement déterminées, mais sans que jamais un concept ou une propriété puisse leur servir d’identité ?[1]» Pour J. Revel « La nature et l’identité sont des mystifications du paradigme moderne du pouvoir. Pour se réapproprier notre commun, il faut avant toute chose en produire la critique drastique. Nous ne sommes rien et nous ne voulons rien être. « Nous » : ce n’est pas une position ou une essence, une « chose » dont on a tôt fait de déclarer qu’elle était publique. Notre commun, ce n’est pas notre fondement, c’est notre production, notre invention sans cesse recommencée.  « Nous » : le nom d’un horizon, le nom d’un devenir. Le commun est devant nous, toujours, c’est un processus. Nous sommes ce commun : faire, produire, participer, se mouvoir, partager, circuler, enrichir, inventer, relancer ». [2]

Que pourrait alors être un comm/un qui ne soit pas massif, enfermant, qui ne soit pas pensé dans la logique du cercle fermé, logique sphérique avec un centre irradiant… logique qui induit ou peut-être mis en parallèle, avec le binarisme qui conditionne nos habitus de penser et nous empêche d’avancer: dedans/dehors, appartenance /non appartenance, intérieur/extérieur, privé/public, dominant/dominé, fort/faible….Ce schème de pensée, binaire, spéculaire nous renvoie à « l’autre du même », au double inversé. Les jeunes de VV sont eux-mêmes enfermés dans cette logique-là. Notre dehors et leur dedans et vice versa…

Agamben invite au désœuvrement… Oury s’appuie sur le 8 inversé ou du 8 intérieur comme opérateur logique permettant de faire l’économie de ces antinomies. (La bande de Moebius, l’extime de Lacan…). Idée d’un Dedans/ouvert dans lequel on ne rentre pas nécessairement par une seule porte, ni par la porte principale. Ce questionnement sur le commun relève autant du champ philosophique : Bataille, Blanchot, Bailly… « La communauté inavouable », « La communauté désœuvrée » (se refusant de faire œuvre) « La communauté affrontée » … Mais aussi plus tard Agamben, Rancière, Ferrari, Esposito, Butler, Revel, Oury, Deleuze, Deligny,

qu’économique, politique : Pierre Dardot, et CH Laval : le Commun s’impose comme le nouveau principe de l’alternative politique du 21èsiècle, qui peut remettre en cause le néolibéralisme et l’appropriation… Judith Revel, parle du commun comme un nouvel universel et s’intéresse à la construction de ce « commun » de la communauté des hommes, c’est-à-dire de l’agencement puissant de leurs différences, en tant que différences. À une politique du commun qui soit aussi une éthique des différences. « Le problème du commun passe par la reconnaissance de la manière dont peuvent aujourd’hui se composer entre elles les différences à partir de la reconnaissance non pas de ce qui les rend identiques (puisqu’elles ne le sont pas) ou complémentaires (puisqu’elles ne sont pas les parties d’un Tout posé en amont), mais de ce qui, momentanément, ponctuellement, les articule ensemble dans un rapport de forces qui les détermine et dont elles cherchent à se déprendre. Ce passage par la matérialité du conflit semble à bien des égards déterminant. C’est par la reconnaissance d’un commun des enjeux de lutte que la construction de ce commun comme nouvelle forme d’universalité à venir peut se faire ». [3] (Cf : la Tolérance)

Dans son petit ouvrage, « La Communauté affrontée » Nancy retrace rapidement l’histoire des textes philosophiques sur la communauté, dans les années 80. Mouvement important à l’époque, là où aujourd’hui, le motif de la communauté, au lieu de venir à jour, semble s’enfoncer dans une singulière obscurité. À cette époque, la communauté était un mot alors ignoré du discours de la pensée ; il était sans doute réservé à la Communauté européenne et sinon, passé à la trappe de la Volskgemeinschaft nazie : communauté de peuple. À côté de ça, il y a la ruine du communisme. Dislocation de la communauté à travers la chute du communisme, non seulement du fait de la trahison des États mais du fait de l’homme défini comme producteur. Pour Nancy, c’est la question de l’immanence de l’homme à l’homme qui constitue la pierre d’achoppement d’une pensée de la communauté. Malgré tout, le mot communisme emblématise le désir d’un lieu de la communauté trouvée ou retrouvée par-delà l’échec du communisme réel. Ce que nommait le communisme, c’est un espoir de trouver ou retrouver une modalité de l’être ensemble qui soit différent du simple rapport désigné par le mot de société. Société : rapport en extériorité, gestion, équilibrage des intérêts, des forces…Simple association et répartition des forces et des besoins. La société c’est la gestion des atomes. On pourrait dire que la société, l’association dissociante des forces, des besoins… a pris la place de quelque chose qui procédait d’une communication beaucoup plus ample que celle du lien social, entrainant des effets plus durs de solitude, de rejet… Le social a remplacé le commun. La société c’est l’association, c’est à dire la combinaison, la composition à partir d’éléments distincts (individu, intérêts, forces). Aujourd’hui nous ne savons que nous associer : nous faisons du « lien », du « rapport », du « contrat social », du « bien commun », … toutes notions qui présupposent rencontre, réunion, convention, discussion et participation. La commune, pour ne pas dire communauté pose l’affirmation primordiale qu’il n’y a pas extériorité des individus, intérêts ou forces ; elle les intègre a priori. Pour Nancy, « tous et chacun » est la formule qui recèle le problème qu’elle dit régler, car quand on part du chacun, on n’arrive à tous que sur un mode toujours plus ou moins disjoint. C’est la position d’Aristote : chez lui le commun procède de chacun, de la communication par le logos entre les chacun. Platon quant à lui pense un commun qui préexistât aux vivants et qui fut donc non le logos de la communication mais le logos de l’architecture que tous habiteraient. La communication des vivants logikoi ne suffit pas à faire autre chose que de la société et encore lorsque le fameux lien social ne se relâche pas trop.  Pour Nancy, le commun est lui-même dans le don de l’existence et rien, aucun étant n’est donné sans lui. Le communisme était porté par l’avec (ce cum, com) qui définit notre existence. Pour Nancy il y a nécessité de refaire surgir l’instance du « commun », mais aussi son énigme ou sa difficulté, son caractère non donné, non disponible et, en ce sens, le moins « commun » du monde.

Le terme de communauté a été remplacé progressivement par ceux de « commun », d’ « être ensemble », d’« être-en-commun » et finalement d’ « être-avec ». Motifs de ces déplacements : les dangers suscités par l’usage du mot « communauté » ; sa résonnance invinciblement pleine, voir gonflée de substance et d’intériorité, sa référence assez inévitablement chrétienne ou plus largement religieuse, son usage à l’appui des prétendues ethnicités. Toute puissance et toute présence, c’est toujours ce que l’on requiert de la communauté ou ce que l’on va chercher en elle. On veut l’« esprit d’un peuple », ou l’ « âme d’une assemblée », on veut l’ « identité d’un sujet », ou sa propriété.  Comme s’il devait y avoir une essence unique du commun. Nancy oriente alors son travail sur l’ « avec » qui presque indiscernable du « co » de la communauté porte pourtant avec lui un indice de l’écartement au cœur de la proximité et de l’intimité : ni communion, ni atomisation, seulement le partage d’un lieu, tout au plus un contact : un « être ensemble » sans assemblage. « Être ensemble » c’est être tout court, sans faire œuvre, Comment alors penser l’essence sans essence de la communauté, comment penser le secret de la communauté ou de l’« être avec », sans dieu, ni maitre, ni sans substance commune. Il importe de protéger la capacité d’affrontement : dans l’ « avec », il ne peut y avoir que des forces qui s’affrontent…Il faut tenir, contre une morale « altruiste » trop benoitement récitée, à la sévérité du rapport à l’étranger dont l’étrangeté est condition stricte d’existence et de présence (cf. Revel, cf. la tolérance)

L’individu n’est pour Nancy que le résidu de la dissolution de la communauté ; par sa nature il est l’atome, l’insécable, le résultat abstrait d’une décomposition. Mais on ne fait pas le monde avec des atomes, il faut un clinamen : inclination/inclinaison de l’un vers l’autre. S’il n’y avait pas de clinamen, les atomes chuteraient dans le vide sans jamais se rencontrer et jamais la nature n’aurait pu être créée. La communauté est le clinamen de l’individu. L’individualisme est un atomisme inconséquent qui oublie que l’enjeu de l’atome est celui d’un monde. La question de la communauté est la grande absente de la métaphysique du sujet, de la métaphysique de l’être comme absolu, parfaitement détaché, distinct et clos, sans rapport. La logique de la communauté vient entamer le sujet et défait en son principe l’autarcie de l’immanence absolue. Nancy évoquant Bataille parle de la logique violente de l’être-séparé. L’impossibilité absolue de l’immanence achevée (il en fait la démonstration) conduit à l’impossibilité d’une individualité au sens exact, aussi bien qu’à une pure totalité collective. La communauté est ce qui a lieu par autrui et pour autrui. Ce n’est pas l’espace des moi mais celui des je qui sont toujours des autrui. Ce n’est pas une communauté qui fusionne des moi en un Moi ou Nous supérieur, mais la communauté des autrui. La véritable communauté des mortels c’est leur communion impossible. La communauté assure l’impossibilité d’un être communautaire en tant que sujet, assure en quelque sorte l’impossibilité de la communauté. La communauté n’est pas un projet fusionnel, ni de manière générale un projet producteur ou opérateur, ni un projet tout court. Elle est la révélation à ses membres de leur vérité mortelle. Seule la communauté me présente ma naissance, et avec elle l’impossibilité de la retraverser, aussi bien que de franchir ma mort. L’être est hors de soi, dans une extériorité impossible à rattraper. Il n’existe nulle part d’être isolé. L’Être-en commun comme tel. Question de sa réalisation.

Question à se poser : qu’est ce qui de l’existence est à partager ? Comment passer au-dessus des identités ? Quelles possibilités que l’existence de chacun s’inscrive dans l’existence de tous ? Concernant la singularité, la singularité n’a jamais la nature ni la structure de l’individualité ; elle n’a pas lieu dans l’ordre des atomes, identités identifiables sinon identiques, mais dans le plan du clinamen. Pour Nancy, notre lot commun c’est d’être en commun. On craint ce terme soit parce qu’il est commun-vulgaire, soit parce qu’il est commun-communautaire. Et c’est comme si les cultures n’arrêtaient pas d’osciller entre un Commun dominant et le commun banal (les gens, le peuple, la foule, tout le monde…). Dans « De l’être singulier pluriel », l’être ne peut-être qu’étant-les-uns-avec-les-autres, circulant dans l’avec et comme d’avec de cette coexistence plurielle. Il n’y a pas d’autre sens, s’il est permis de le dire ainsi, que le sens de la circulation et celle-ci va dans tous les sens simultanément, dans tous les sens de tous les espace-temps ouverts par la présence à la présence. Les étants, un par un, chaque fois au singulier de leur pluriel essentiel. L’existence est avec… plurielle en son principe même… création du monde en chaque singularité. Tout se passe donc « entre nous » ; un entre qui comme son nom l’indique n’a ni consistance propre, ni continuité. D’un singulier à l’autre…Entre le « nous tous » de l’universalisme abstrait et le « moi, je » de l’individualisme misérable, il y a le « nous autres » de Nietzsche qui déjoue l’opposition du particulier et de l’universel.

Avec

Heidegger est le premier à avoir introduit « avec » (pas sans) comme un concept philosophique. Notre tradition philosophique plus portée par la métaphysique de la présence, s’y oppose. L’« avec » concerne avant tout des objets en tant qu’on considère leur contiguïté spatiale ou temporelle contingente. La contiguïté ou la proximité sont en général dévalorisées en tant qu’elles ne renvoient par elles-mêmes ni à un enchainement de raisons, ni à une unité d’essence ou d’espace ou de temps. L’« avec » oppose une hétérogénéité, une extériorité et une approximation. Rien ne s’y ordonne à la logique de l’un, de l’identité, ni à celle du lien, de l’un dans l’autre ou par l’autre. La contiguïté n’est pas nécessairement explicite et intelligible alors que les relations de lien social, politique ou religieux par exemple ont une signification précise donnée par la coprésence. Que je sois dans le bus « avec » une femme assise avec un bébé sur les genoux n’engage aucune relation entre nous. Un « avec » qui ne soit pas de relation. Coprésence sans sens particulier. Mais d’où va éventuellement naitre une impression qui peut conduire à un rapport. Le « avec » au départ peut être dépouillé, élémentaire : c’est là, c’est près de nous, c’est tout. Mais la seule juxtaposition d’objets est déjà en puissance de faire sens. Non pas produire des significations, mais du sens, ouverture de sens. Le sens consiste en ce que quelque chose puisse valoir pour autre chose. A un premier « avec », succède un autre, qui non seulement est à son tour un « avec » mais qui porte au premier plan l’élément et la fonction de l’ « avec ». D’abord juxtaposition et coprésence des étants donnés dans leur diversité ; puis bouleversement de la première juxtaposition au profit de tout un ensemble de rapports, contacts, renvois écarts… L’« avec » est régi par deux grands principes : la multiplicité, et le proche et le lointain. (Espacement et proximité).

La multiplicité est inhérente à l’avec puisqu’une chose unique ne saurait être avec aucune autre chose. Mais il n’y a pas de chose unique, puisque « l’un est sa propre négation ». Il y a, non pas « quelque chose » au singulier, mais « quelques choses » au pluriel. Le pluriel ne s’ajoute pas à l’unité, il la précède et la rend possible. Dès qu’il y a « quelques choses » au pluriel, ces choses sont entre elles proches ou éloignées. La proximité désigne l’état du plus grand rapprochement. « Avec » est un mot formé à partir du latin apud hoc qui signifie « près de cela ». Près de, auprès de : la valeur locale se double presque aussitôt d’une valeur affective, et les deux ensemble se retrouve dans la proximité. La proximité entraîne plus que le minimum de distance : elle enveloppe un certain partage. « Avec » ne se contente pas de la juxtaposition et ouvre une coexistence qui engage un partage d’enjeu, de condition, de situation et de sort ou de destin. Le « co » de la coprésence engage de lui-même ce que le français nomme partage. Pour Heidegger, le Mitsein ou Mitdasein ,  l’« existence avec » n’est pas une qualification seconde et aléatoire d’être ; c’en est une qualité constitutive et originaire. Il y a des choses, et non une chose, et ces choses sont les unes avec les autres. L’espace commun de leur « être avec » est le monde. Mais cet espace commun n’est pas un réceptacle préexistant à la position des étants : il naît au contraire de cette position…. Il n’y a pas besoin de mettre en avant le « dialogue » ni l’ « ouverture aux autres » : nous sommes d’emblée dans cette dimension c’est en elle et par elle que nous naissons, vivons et mourons. La politique est en charge de l’avec, mais non des formes et enjeux de tous les sens possibles. Elle doit fournir une énergie motrice dont les finalités sont au-delà d’elle.

Oury dans Le Collectif

« Notre but est qu’une organisation d’ensemble puisse tenir compte d’un vecteur de singularité, d’où une sorte de paradoxe : mettre en place des systèmes collectifs et en même temps préserver la dimension de chacun ». (Est-ce le tous et chacun que critique Nancy ??) La notion de Collectif n’a pas chez Oury une dimension sociale ; ce n’est pas une institution ou un établissement. Mais plutôt un agencement qui permet de tenir le « ensemble », le pluriel et le singulier. C’est machine abstraite qui doit permettre la polyphonie, les multi références, la multidimentionnalité. C’est au niveau de lalangue que ce pose le problème du collectif. Comment la psychanalyse opère-t-elle dans cette affaire (Ph.Koeppel) ? Il va définir pendant des années le collectif par la négative : ce n’est pas…Années 50 : La logique du collectif n’est pas une logique de la sérialité, n’est pas une logique de la simple gestalt, mais une logique qui respect une infinité de facteurs pour chacun. Et cette quasi-infinité de facteurs doit être prise en considération, mais les structures habituelles ne sont pas aptes à les prendre en compte. Quels effets positifs peut-on attendre d’une organisation collective. Années 60 : Oury s’appuie sur la logique des systèmes aléatoires. « Notre travail concret doit pouvoir profiter des moindres choses, des petits détails, des petits signes ». Il faut préserver des espaces de jeu (Winnicott) des espaces de jachère (Manuel Kahn) …

Quelles sont les conditions souhaitables pour que ça puisse fonctionner dans le respect de la problématique de chacun, dans sa singularité, dans sa propre histoire.
Quelles possibilités de faire des systèmes collectifs où l’on puisse vivre de façon très personnalisée ? Notion de passage ; espaces de transition. Ponts, passerelles, ponts de singes. Espace transformationnel au sens de Saumjan. De gentillesse (ça n’empêche pas de gueuler). D’entours. De tonalité, d’ambiance… Autre terme fondamental du Collectif : la Rencontre ; connotations ambiguës. Rencontre dans le sens de TUCHE : fortune, bonne ou mauvaise fortune. S’il y a rencontre, il y aura changement du fait de la rencontre. Une rencontre change quelque chose. « Soyez tychiques » disait Lacan. Question du transfert : ce qui permet au sujet de se manifester par l’émergence d’un dire. C’est sans doute la dimension la plus importante que doit soigner, préserver le collectif ; en même temps que la plus difficile.

Dans « Graines de crapule » ou « Les Vagabonds efficaces », Deligny expliquait que « pour créer un milieu qui puisse convenir à toute cette bande de délinquants, il faut disposer d’énormément de choses très disparates, un tas de bricoles accumulées au hasard. C’est à partir de cette diversité, de cette hétérogénéité de choses, que chacun peut choisir, s’orienter dans ce qui lui plait ». (Cité par Oury dans son séminaire sur le Collectif ; 1984.) Il évoque la nécessité de circulation (qui n’est pas sans interdiction). Une circulation positive c’est de pouvoir passer d’une situation à une autre, d’un lieu à un autre… Circulation, passage (selon lui, dans les quatre discours de Lacan ce qui compte ce ne sont pas les discours en soi mais le passage de l’un à l‘autre). Favoriser une dimension de passage, rendre la circulation possible pour les jeunes d’un lieu à l’autre, d’une personne à l’autre… Image du fil, 1er temps pour aller vers une scène, un sol, même troué, instable….

 

[1]  G. AGAMBEN, La communauté qui vient, Théorie de la singularité quelconque, Seuil, 1990.

[2] Judith Revel, Antonio Negri, « Inventer le commun des hommes », Multitudes 2007/4 (n° 31)

[3] Judith Revel, « Construire le commun : une ontologie », Rue Descartes 2010/1 (n° 67)

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