LE FUNAMBULE

Être sur un fil
Ça tient à un fil
Nouer, tisser, présence

02/06/2012
Sonia Weber

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LE FUNAMBULE

Il y a tout juste un an j’avais filé avec vous la métaphore du Cairn comme modalité d’accompagnement des jeunes qui nous rassemblent, et surtout comme modalité de présence de l’analyste.

Présence de l’analyste

Comment être présent, quand ils ne sont pas là. Quand la présence corporelle de l’autre est souvent trop massive pour eux (parfois même la respiration est de trop). Il y a nécessité de trouver d’autres façon d’occuper l’espace, d’assurer une présence ; en supportant une place presque invisible, qui ne soit pas un corps en plus, qui garantisse la non-présence d’une image massive. Manifestation minimale qui laisse une trace, qui fasse signe.

Présence ténue

Exposée, fragile, sans bagages, à peine perceptible, mais qui tient. Présence qui a à voir avec le dénuement, pour qu’ils soient tenus, là où bien souvent ils ont été dé-tenus. Tenus, portés, supportés, susportés au lieu qu’ils ne se portent sus à l’ennemi. Tenir une présence, aller à leur rencontre avec retenue, comme un temps de fréquentation entre deux personnes qui se découvrent (béguin non encore formulé, réserve, discrétion, peu de regards ou à la dérobée et non « regarde-moi quand je te parle »), peu de paroles : place du silence qui réchauffe, qui contient… et partager la douleur, pour que l’autre puisse s’y risquer.

Cairn 

Amas artificiel de pierres : fait par l’homme ; signe la présence humaine, trace que quelqu’un est passé par là. Il peut s’agir de simples amas branlants ou de savantes prouesses de construction. Les cairns signent le passage d’un humain et indique que celui-ci a pensé aux suivants pour leur éviter les écueils de la route, de se perdre, de tomber sur un a pic, un précipice. Les cairns assurent une présence dans l’absence, présence presque invisible, mais bien réelle. Selon le type de chemin, la dangerosité, le balisage déjà existant, les risques de brouillard ou d’intempéries, les cairns sont plus ou moins rapprochés… ils sont adaptés à la nécessité du terrain. Et leur montage dépend du type de cailloux que l’on trouve. Présence qui fait signe, et pas seulement signifiant, pour les déssolés : comme un veilleur, veiller sur eux. Dans un travail de permanence, de convivialité, d’amitié.

Ce séminaire, étroitement lié à cette création discursive qu’est KAIRN, sert de terreau d’élaboration -en même temps que les question concrètes du montage du dispositif et les questions cliniques y font retour-. C’est pourquoi, un an plus tard j’y reviens, alors que les affaires sont engagées. Aujourd’hui je voudrais filer une autre métaphore : celle du Funambule.

À partir de rencontres avec ces jeunes qui parfois nous donnent du fil à retordre, avec leurs histoires cousues de fil blanc qui nous font perdre le fil.

Être sur un fil,

Être sur le fil du rasoir

Tenir à un fil

Être sur la corde raide

Donner du fil à retordre…

Équilibre toujours fragile, toujours précaire… car c’est toujours très vite trop, très vite pas assez, très vite cassé…

 

Noël 2011

Je suis sur un fil, équilibre très fragile, tant du côté institutionnel que du côté d’une jeune fille accueillie à Kairn depuis quelques semaines. Je sens que « ça tient à un fil » et nous ne sommes pas sûrs du tout que le fil déjà ténu ne va pas se rompre… Coups de fil nombreux entre les deux intervenants du binôme, entre Roland et moi. En parlant on tient à plusieurs, sans lâcher, on tient le fil, on le tresse à sa mesure pour qu’elle puisse y prendre pied, s’y accrocher. Je mesure que c’est dans tous ces échanges, dans ce travail de pensée, de paroles à plusieurs, d’élaboration collective, à 2, à 3 que quelque chose peut se nouer pour un jeune, que ces échanges fréquents sont sans doute le soubassement du sol qu’on invente pour eux, avec eux, à partir d’eux. Pour tisser sa toile l’araignée utilise sa bave ; pour tendre et tisser notre fil et nos maillages (souvent à grosse maille) il nous faut dépenser notre salive. Il nous faut tramaloguer souvent.

Y aller à plusieurs, ne pas être seul, prendre soin les uns des autres. On n’est pas dans une configuration du un à un. De ce point de vue on n’est pas dans une thérapie bifocale qui prend en compte les réalités psychiques et les réalités externes, mais dans des lieux séparés et les modalités de travail et d’échange ne me semblent pas être sur le mode d’un travail d’équipe pluridisciplinaire voire transdisciplinaire. Ici il s’agit d’une autre façon d’instaurer une dialectique, les démarches servent la rencontre ; que quelque chose se noue. L’accompagnement concret n’est pas conçu comme un obstacle à la parole, au transfert, mais plutôt comme un support.

Le suivi des problématiques subjectives revêt à KAIRN une forme particulière dans la mesure où il n’est pas constitué uniquement d’entretiens. Les praticiens peuvent au besoin être amenés à intervenir dans le champ relationnel des jeunes ou l’aménagement de leur vie quotidienne matérielle, scolaire, professionnelle, en concertation avec le référent socio-éducatif : visite médicale, accompagnement auprès d’une administration, recherche d’un lieu de stage, présentation chez un patron… Ils sont joignables en continu (24h / 24 – 7j / 7), et se déplacent en cas de nécessité. En cas d’absence ils s’engagent à passer le relais à un de leurs collègues qui garantit la continuité de la prise en charge. Cette permanence de la prise en charge et cette continuité du lien sont essentielles dans le cadre de ce dispositif et viennent prendre acte de la nécessité, pour se construire humainement, de rencontres transférentielles qui tiennent et durent quels que soient les aléas de la vie.

Le positionnement particulier du praticien permet de nouer de manière spécifique la prise en compte de la réalité psychique et celle de la réalité matérielle et sociale. Cette modalité originale d’intervention vient rejoindre les jeunes à qui le dispositif s’adresse, au cœur même de la problématique de nombre d’entre eux : quand corps et parole ne tiennent pas ensemble -ou sont au contraire trop collés- et ne s’articulent pas. Les propositions habituelles, qui séparent le suivi psychologique et la prise en charge éducative, peuvent en effet, pour certains des jeunes, redoubler le clivage qu’ils portent déjà en eux. Là où le rapport corps- parole est malmené, le dispositif vient sur cette cassure, se glisse dans cette défaillance mais ne la redouble pas. Prendre en compte simultanément la réalité psychique et la réalité matérielle dans laquelle les conflits se jouent, est une façon de dénouer ou nouer autrement ces différents champs, permettant par là même une fabrique d’un « nous » et donc une possibilité d’accès jusque-là impossible au collectif. L’orientation du dispositif KAIRN est plus un travail de collectivisation et de socialisation que d’éducation. L’éducation suppose un « nous » préalable qui est absent pour beaucoup de ces jeunes. L’éducation est une discipline trop intensive : au lieu d’instaurer des limites, elle ne fait que détruire celles qui existent fragilement, sous couvert de restaurer un rapport à la loi. Dans ce travail de socialisation, développer un bouillon de culture qui sera un sol, fabriquer un terreau dans lequel une humanisation mise à mal pourra à nouveau se développer. Qu’ils puissent s’immiscer dans le social (par forcément y être inclus).

 

Il y a un binôme

2 pôles, distincts et écartés l’un de l’autre et un entre d’eux tout aussi essentiel. Si entre les deux le fil n’est pas tendu ou insuffisamment ou trop (comme les relations peuvent être parfois tendues) ça n’ira pas. Le fil peut se rompre à tout moment, très vite trop ou pas assez, dosage jamais acquis une fois pour tout, ni reproductible dans un protocole… Question de techné.

Comment tend-t-on un fil ? Ce n’est pas une affaire individuelle mais collective, avec des personnes qui sont bien là, bien dedans.[1] Comment trouver la tension : trop, pas assez ? Et trop ou pas assez, pour qui : un des membres du binôme ou le jeune ? Harmonie à trois… Un câble ça bouge : de haut en bas, de gauche à droite et ça peut pivoter sur soi-même : badaboum ! Et quand grands risques de séismes, les tours elles même doivent pourvoir bouger. (Cf. Japon).

Fable : le Chêne et le Roseau. Le culbuto

Il faut des haubans

Échanges entre binômes

Temps de tramalogie, maillage de paroles, trames langagières

Petit déj’

Séminaire : l’élaboration sert à résister, à refuser d’être englouti, écrasés avec eux par le trop de réel qu’ils trimballent. (La façon dont nous sommes pliés par la doxa psychanalytique nous encombre pour aborder les innocents). Les élaborations théoriques sont amenées à guider la pratique existante, la praxis. Lacan définit la praxis comme « le terme le plus large pour désigner une action concertée par l’homme, quel qu’elle soit, qui le mette en mesure de traiter le réel par le symbolique ».  Mais bien plus que cela, ces élaborations sont amenées à avoir des effets de corps, de création.

Le câble n’est pas tendu à l’avance.

Au départ, rencontre en amont de tout lien, de tout transfert… de toute action dite thérapeutique et /ou éducative. Les identités (professionnelles) sont brouillées ; chacun est délogé de son référentiel professionnel convenu. Ce qui relève du psy ? De l’éducatif ? On ne sait plus trop. On ne sait pas trop ce qui appartient à qui mais c’est pas mal ; ça allège des identités trop bien fondées. Chacun perd quelque chose de sa position et est sur un fil.

Rien ne précède si ce n’est notre désir et on avance sans savoir : on commence à faire quelque chose même si on ne sait pas quoi, on ne sait pas par avance. Devise : « on ne sait pas », « bon on avance comme ça ». Le fil se tisse au fur et à mesure en fonction de chacun. Le projet n’est pas écrit à l’avance, il s’écrit au fur et à mesure. Pour qu’un transfert ait une chance de se constituer. Comme dans le transfert psychotique, il faut y aller, mouiller sa chemise. Passer du lien (institutionnel) au transfert, car pour que de la subjectivité puisse prendre corps, il faut qu’il y ait du transfert. L’espace transférentiel est plus important que le temps, l’heure, le jour.

Psychanalyste comme un semblable. Proximité, amitié, que quelque chose puisse se dire. Proximité dont on espère qu’elle va transférer du dire. Proximité qui nous permet de voir l’autre comme un semblable ; pas lui comme un semblable de nous, mais nous comme un semblable de lui. Proximité : supporter d’être abîmé par ça. Ici le maniement du transfert sert à inscrire des bouts d’histoire retranchés et non refoulés.

[1]cf Film sur Ph.Petit : les 4 temps du fil au câble, des diamètres de plus en plus épais

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