« … toute l’interrogation humaine se résume en ceci- Qu’est-ce qu’un père?«
Jacques Lacan
Argument:
On parle aujourd’hui volontiers du « déclin de la figure paternelle » pour décrire le phénomène social de la dégradation de son autorité, suite à l’émancipation des femmes et la déclaration des droits de l’enfant. Dans ce contexte, la référence à l’oedipe en psychanalyse se voit progressivement reléguée au magasin d’antiquités des notions et fait même l’objet, depuis Foucault, d’une archéologie. Le temps de la neurotica[2] freudienne, dominée par un père « agent de la séduction », maître incontesté en sa maison, a reculé dans un premier temps dans l’aire du fantasme, avant que d’acquérir, avec Lacan, une valeur de symptôme. La supposée perversion paternelle a cédé sa place à la « père-version »[3]. Or ce recul incontesté ouvre peut-être aujourd’hui une perspective nouvelle, dégage pour le père une place inédite, celle d’une création à venir, d’une fiction propre à chaque sujet parlant. Nous en trouvons les prémisses, comme souvent, chez les artistes. Ainsi, comme nous le verrons, James Joyce nous la laisse deviner sous les traits d’un Ulysse qui n’entretient avec son fils Télémaque qu’une relation paternelle « épiphanisée »[4], spirituelle, faite de rencontres fortuites, d’appel sans réponse acquise, d’attente sans forme assurée[5].
[2] Ce terme désigne la première théorie freudienne des névroses, causées par traumatisme sexuel dans l’enfance.
[3] Mot forgé par Lacan pour rendre compte de la place du père dans la relation du sujet au désir.
[4] Procédé d’écriture inventé par Joyce, selon lequel « l’âme de l’objet le plus commun […] prend un rayonnement à nos yeux ». Cf. Joyce J., Stephen le héros, Paris, folio Gallimard, 1948, p. 248.
[5] Cf. également : Joyce J., Portrait de l’artiste en jeune homme, Paris, folio Gallimard, 1992, p. 362 : « Je pars…façonner dans la forge de mon âme la conscience incréée de ma race ».