Variations et divagations à propos du geste

Jornadas ¿Qué comùn ?

04/11/2016
Gabriela Reale et Laura Vissani

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Variations et divagations à propos du geste

Diplômées de psychologie- nous faisons toutes deux parties de deux équipes du ministère de l’Éducation de Cordoba, qui travaillent avec des écoles de tous les niveaux du système éducatif, ce qui signifie que nous aidons tous les agents du système : adultes, adolescents et enfants, dans leurs différentes fonctions au sein du système.
Nous travaillons également en cabinet privé.

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Divaguer – dévier – varier – variété…
Divaguer pour ne pas dévier… ou pour dévier
Dévier pour ne pas rendre le chemin…. Dévier en chemin… Chemins vers la variété…
Errances…

À différents endroits, dans différentes positions, à partir de différents chemins, nous nous sommes rendu compte qu’il n’était pas facile de parler de notre faire…
De quoi s’agit-il ? Utiliser des mots pour former un écrit, qui nous permettra de raconter, de partager un peu de ce que l’on peut dire de notre pratique, qui souvent nous pousse à nous demander pourquoi nous l’appelons psychanalyse, ou qu’y a-t-il de psychanalytique là-dedans…
Dérive que nous pousse à remettre en question le rôle de la psychanalyse dans notre pratique, donc… En situation réelle, il ne s’agit ni de concepts ni de théorie, il s’agit uniquement de ce qui se passe… là, avec quelqu’un, avec un autre… là, on pense pas. Et là où on ne réfléchit pas, est possible de mieux jouer ?
Si on ne réfléchit pas, que fait-on alors ?

Être face à sa propre étrangeté et à celle de l’autre, être étranges, nous mettre en contact avec celui qui boite et l’accueillir… on profère des mots qui ne parviennent pas à éclaircir, ni à rendre compte pour comprendre, pleurs, torsions du corps, mains qui passent sur le visage puis s’entremêlent, qui se retournent sur les genoux, agiter la tête, dans un va-et-vient qui peut vouloir dire non ou je ne sais pas, des gestes, des mots qui ne parviennent pas à dire, qui soulagent à peine parfois un être souffrant. Apparaît alors toute une Surface… où l’on s’exprime, où se manifestent différentes formes et différents moments qui déforment, informent, touchent, frôlent, secouent, perforent, tirent, déchirent… des coups… des mouvements… des pliages et des dépliages… des sensations et des émotions, des intensités… être là… et quoi d’autre ?
Dire qu’il s’agit d’être là semble insuffisant, bien faible pour décrire un faire psychanalytique (¿) Pourtant, même quand les mots manquent, il se passe des choses dans cette rencontre, dans ces mouvements…
Un geste avec des gestes…accueil…geste d’accueil… supporter l’étrange… ce qui nous emmène dans un commun où rien n’est propre… champ… composition…rythme…danse…mots qui dessinent les corps… corps qui se déplacent entre les mots… des mots qui font jouer les corps…
Nous nous sommes dit que prendre le geste pourrait aider à dire quelque chose de cette façon d’être que nous avons du mal à décrire, à dés-écrire, comme ce qui circule, ce qui dessine, qui transmet des représentations, des images. Les gestes créent des relations et jouent avec les mots, qui sont au premier plan dans une analyse. Ils définissent, esquissent la poésie que l’on perçoit dans les actes, cette forme incertaine sous laquelle l’acte se présente. Les gestes suggèrent, indiquent, invitent, montrent…
Ils montrent… une grande partie de ce dont nous avons besoin dans notre travail quotidien dans les institutions publiques comme politique d’action et dispositif d’accompagnement, pour ne pas entrer en relation d’une manière bureaucratique, où l’état, pour la gestion, se met à générer des idées et des idéaux qui ne touchent pas les sujets et qui ne comprennent/ne prennent pas en charge leurs difficultés.
Certains de ces gestes jouent et produisent des effets précis dans la construction d’un champ, dans la possibilité d’ouverture d’un territoire “entre”, comme le dit François Jullien.
Comment réussir à parler de ce qui se passe là, dans l’entre, si nous ne prenons pas en compte ces gestes ? Avec Lacan, et avec Allouch, nous savons que dans cet espace de jeu, nous jouons sans réfléchir, mais pas de n’importe quelle manière… un savoir à construire donc… en rendant visible ce qui ne se voit pas mais qui est bien là, une présence invisible…
Clément Rosset: “ La vision de l’invisible, ou plutôt la suggestion d’une telle vision, peut constituer non pas la matière d’une illusion, mais la matière d’une création d’ordre poétique. L’objet suggéré acquiert alors une valeur éminemment littéraire, précisément dans la mesure où il n’existe pas et ne peut par conséquent ni être vu ni conçu, ni même décrit si on considère la description comme le rapport écrit de quelque chose d’existant ou d’ayant existé… » (p. 67)
Alors… prendre et laisser être pris… être là, à prendre le pris…. Que prend-on… de quoi se prend-on ? …geste… signes… tout comme, au nom de l’amour, on fait beaucoup de gestes pour le faire savoir… qu’il y a quelque chose de cela que l’on ressent…
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Lors du séminaire Le Transfert, Lacan rapporte cette image, ce mythe :

“Et cette main qui se tend vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, d’abord de vous dire que son geste d’atteindre, d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche, mais que, quand dans ce mouvement d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment-là c’est votre main qui se fige dans la plénitude fer niée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe, ce qui se produit là alors c’est l’amour !” (1) (Session 07/12/60, p. 6)
Poésie dans le mythe, réel qui se dévoile dans un geste… Image qui dessine un mouvement qui échappe à la possibilité d’être attrapé pour être dit… montre et se défait en faisant… un trait… une marque… un écrit… un moyen de passage… prendre pour passer…
Le geste d’attraper l’objet, et ensuite la main qui va à la rencontre, cela commence, met en mouvement. Lacan dit : “ Avec cette image qui n’ira pas plus loin, j’ébauche devant vous ce que l’on appelle un mythe”. Que veut dire « qui n’ira pas plus loin » ? Il continue : “Vous allez bien le voir au caractère miraculeux de la suite. (…) c’est un grand dieu que l’amour, (…) c’est une manifestation du réel. Or tout passage de cette manifestation à un ordre symbolique nous éloigne de la révélation du réel.”(Session 07/12/60, p. 4) Ce qui suit ce moment miraculeux serait le symbolique, la parole, le parler… mais Lacan semble vouloir souligner particulièrement ce moment de révélation.
Ce qui se passe là… ce geste, ce petit rien…. Semble être à l’origine…la possibilité d’une rencontre… l’imprévu qui survient…
Nous faisons des découpages, et nous nous souvenons de certains moments, de notre expérience…

Un enfant dans une institution qui répète “shopping garden, shopping garden”, sans s’adresser à personne en particulier et sans émotion visible. La phrase insiste, sans être une demande. Quelqu’un prend ce dire, allons ensemble au shopping garden. Pendant la visite, il ne se passe rien de spécial. En sortant, il prend une certaine direction, imprévue, il passe deux pâtés de maison, il double, il semble avoir un but qui apparaît à ce moment précis, alors qu’il était dans le shopping garden. L’accompagnant doute, il ne sait pas où ils vont. Mais ils y vont. Dix pâtés de maison. Il s’arrête devant un immeuble d’habitation. Le concierge le reconnaît, l’appelle par son prénom, lui pose des questions sur sa famille. Il raconte que le frère de cet enfant vivait là tandis qu’il étudiait à Cordoba, loin de la province dans laquelle vivait la famille. Aujourd’hui, ils ont tous migré à Cordoba. À peine un lieu connu dans un territoire inconnu. Le geste de prendre cette parole qui semblait vide, le geste d’accompagner les pas sans savoir où aller… Il se passe quelque chose, que l’on n’attendait pas, arriver à capter un morceau de cette vie au passage.
Une autre situation. Une institution scolaire où l’on demande une intervention, on est inquiet pour un enfant qui présente une difficulté concrète pour l’apprentissage de la langue écrite et un comportement inadapté. Quand la professionnelle se présente, l’enfant raconte à sa mère qu’il allait apprendre à lire et à écrire “seulement avec X”, avec cette professionnelle, il la nomme, alors qu’il l’a à peine vue. Alors elle accueille cette proposition, elle accepte d’être prise à cette place, au cabinet et à l’école, et effectivement cela fonctionne, après un temps assez bref, il arrive à lire/écrire… sans lui avoir enseigné à aucun moment quoi que ce soit en lien avec les lettres. Son comportement change aussi. Le geste de prendre ce dire, de le comprendre comme un signe… lui donner une existence, donner lieu à un dire qui pourrait devenir…
Un geste singulier qui montre, donne naissance, inaugure, crée ce lieu d’accueil… Est-ce cette main qui va à la rencontré dont parle Lacan dans le mythe ? Quelque chose de l’ordre de l’amour qui survient, qui se produit ? Ce n’est pas la théorie qui nous permet de rendre compte de ce qui se passe ici. Allouch dira : “Poésies, mythes, peintures, formules viennent marquer que, chez Lacan comme chez Socrate, l’amour est daimôn, metaxu, un intermédiaire entre savoir et ignorance” (p. 15)
Ce geste montre… Cette main qui se dirige vers le fruit, vers la fleur, fait-elle un signe ? Un signe de quoi ?

Viltard reprend Lacan dans Radiophonie : “Psychanalyste, c’est du signe que je suis averti. S’il me signale le quelque chose que j’ai à traiter, je sais d’avoir à la logique du signifiant d’avoir trouvé à rompre le leurre du signe, que ce quelque chose est la division du sujet… »(1996, p. 13)
« Il n’y a pas de fumée sans feu ». Le signe signale, c’est un leurre, il nous met sur la piste de quelque chose de singulier, la division même, le « a ». Le signe montre une relation et en même temps il laisse cette connexion en suspens, on ne sait pas ce qu’est-ce qu’il nous montre. En faisant de la place à cette ouverture, en rendant effective cette incomplétude qui met en jeu le signe.
Cette main qui va vers la fleur, vers le fruit, fait la branche, c’est un geste. Être là pour pouvoir lire ce geste comme un signe et se laisser porter, prendre ce qui fait signe, se laisser conduire, c’est le geste d’accompagner en faisant de la place. Cette main qui va à la rencontre et qui accompagne le geste d’aller vers l’objet… figure d’un accompagnement…
Dans sa présentation à Córdoba, Sonia Weber disait, par rapport à sa pratique avec les jeunes, les “innocents”, qu’il s’agirait “d’aller vers eux”, de se déplacer, et dans cet aller-retour créer des zones intermédiaires, en transit. Se faire promener, accepter le parcours qu’on nous propose. Des façons d’être, quand on ne sait pas bien que faire. Penser au contre-pied, à l’équilibriste, accepter de n’être que là, sans être seul. Seul cette façon d’être, qui soutient ce champ possible, potentiel, sans savoir ce qui peut se passer dans cet être. Et malgré tout…. Être toujours là. C’est accueillir cette absence de savoir, ne pas savoir ce qui va se passer –et si quelque chose va se passer- à chaque fois. Et quel territoire va être créé…

L’analyste, s’il réfléchit, sort du jeu, il ne pourra rester sur le chemin. C’est de cet être là, dans cet hic et nunc, ici et maintenant, dont parle Lacan dans Radiophonie, ce qui permettra que ce geste fasse signe, qu’il puisse être remarqué et pris comme tel. François Jullien propose la notion de disponibilité, et il la fait jouer avec l’attention flottante en psychanalyse, que nous voyons ensuite limitée par l’analyse que Jullien en fait. La disponibilité n’est ni une faculté ni une vertu, c’est un ethos, un ars operandi, “elle sera de maintenir l’éventail complètement ouvert – sans raidissement ni évitement – de façon à répondre pleinement à chaque sollicitation qui passe” (2013, p. 35). La disponibilité, c’est être là sans disposition fixe, sans position fixée à l’avance quant à telle ou telle manifestation particulière du sujet, ouvert vers “le flux du monde”. Jullien dit : “La disponibilité ébranle l’échafaudage en fonction duquel nous créons nos représentations : le sujet n’est plus perçu comme plein, mais comme un trou “ (2013, p.24) C’est en étant disponibles que nous pourrons pêcher et être là quand se passeront certains gestes, les prendre, être pris.
Il ne s’agit pas du sujet, le sujet cesse d’être le centre de l’analyse, le sujet à prendre, en tout cas on peut le penser en dénonçant les effets des mouvements, des flux, des dires, des gestes qui circulent. Ces gestes, ce geste que nous voulons souligner n’appartient pas et ne provient pas d’un sujet, ils se passent dans un espace commun qui n’est propre à personne…
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Comment se définit ce champ, dont on dit qu’il s’ouvre à partir de certains gestes, de signes qui ouvrent, qui mettent en mouvement ? Cet espace est hors des classifications, du cadre étroit du cabinet, du cadre, c’est un espace qui se configure dans l’être là… Des lieux d’où l’on nous demande un faire, un traitement, une écoute, un point de vue clinique, presque toujours dans des situations qui sortent des cadres, que ne pourront facilement être abordées avec un dispositif classique et pour lesquels il faut « inventer », disons, se laisser porter… Cela peut survenir dans l’espace du cabinet, mais également dans une institution, dans les allers et venues d’un endroit. La disponibilité, l’amour, la possibilité de l’événement.
Première phrase de Deleuze dans “L’immanence : une vie…” : Qu’est-ce qu’un champ transcendantal ? Il se distingue de l’expérience, en tant qu’il ne renvoie pas à un objet ni n’appartient à un sujet (représentation empirique). Aussi se présente-t-il comme pur courant de conscience a-subjectif, conscience pré-réflexive impersonnelle, durée qualitative de la conscience sans moi. ” (p. 35)
Ce pur courant, cet espace sans moi, qui n’appartient ni à un sujet ni à un objet, champ transcendantal. Des gestes, des mouvements, des pas de danse. Accueillir l’imprévu. Accepter de mener et d’être emmené… Cela ressemble à une danse…
François Tosquelles s’arrête également sur les gestes, et sur le rapprochement avec la danse que marquent ces allers et venues, entre l’un et l’autre :
“L’émetteur et le récepteur se trouvent pris ensemble dans une séquence gestuelle qui a quelque chose du pas-de-deux de la danse classique. Le surgissement de l’évidence à interpréter et à ré-intégrer dépend de ceci : la formulation d’une parole ou d’un geste quelconque ne trouve son accomplissement qu’au moment où l’autre, à qui elle s’adresse, la reçoit et nous renvoie l’image qui se réveille en lui.
Ainsi, parmi les nombreuses possibilités d’articulation ou de combinaison de sons et de gestes explicites, à chaque moment des arabesques mélodiques conjuguées, chacun est mené à faire des choix précis en en écartant d’autres. La mise en forme d’un geste humain – au nombre desquels entre la formulation langagière – joue des convergences et des écarts, des suites et des discontinuités, des arrêts et des reprises, où l’autre est appelé” (p.24)
Accepter dans cet appel à jouer le jeu qui se fera d’une certaine manière, en impliquant ces chemins, ces déviations, des divagations, ces errances, la variété des pas, des rythmes et des temps, de quelque manière que ce soit, en fonction de ce que demande chaque moment avec chaque personne, il s’agit peut-être de cela… une simple complexité… un geste singulier vers une singularité qui survient, de manière imprévue…
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Notas

(1) Et cette main qui se tend vers le fruit, vers la rose, vers la bûche qui soudain flambe, d’abord de vous dire que son geste d’atteindre, , d’attiser, est étroitement solidaire de la maturation du fruit, de la beauté de la fleur, du flamboiement de la bûche, mais que, quand dans ce mouvement d’atteindre, d’attirer, d’attiser, la main a été vers l’objet assez loin, si du fruit, de la fleur, de la bûche, une main sort qui se tend à la rencontre de la main qui est la vôtre, et qu’à ce moment-là c’est votre main qui se fige dans la plénitude fer niée du fruit, ouverte de la fleur, dans l’explosion d’une main qui flambe, ce qui se produit là alors c’est l’amour !

Referencias

Lacan, J. Seminario La Transferencia en su disparidad subjetiva, su pretendida situación, sus excursiones técnicas, 1960-1961. Recuperado de: http://www.lacanterafreudiana.com.ar/lacanterafreudianajaqueslacanseminario8.html
Lacan, J. (2012). Radiofonía. Otros escritos. Bs. As: Paidós

Viltard, M. (1995). Hablar a los muros. Littoral 18/19: La implantación del significante en el cuerpo. Córdoba: Ed. elp.
Viltard, M. (1996). Volverse del color de los muertos. Littoral 22: El color de la muerte. Córdoba: Ed. elp.
Jullien, F. (2013). Cinco conceptos propuestos al psicoanálisis. Buenos Aires: El cuenco de plata.
Jullien, F. (2012). L´écart et l´entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l´altérité. París: Editions galileé.
Rosset, C. (2014). Lo invisible. Buenos Aires: El cuenco de plata.

Deleuze, G. (2007). La inmanencia: una vida… Ensayos sobre Biopolítica. Excesos de vida, Giorgis, G y Rodríguez, F, comp. Buenos Aires: Paidós.
Tosquelles, F. (2001) Las enseñanzas de la locura. Madrid: Alianza Editorial. Allouch, J. (2011). El amor Lacan. El cuenco de plata S.R.L.- Edición Abril2011

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