En filant la question du singulier, à l’école

Jornadas ¿Qué comùn ?

05/11/2016
Ivonne Peirone et Mariela Sormani

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En filant la question du singulier, à l’école

 

“…lignes d’erre…

…un réseau compte des trajets.

On pourrait aussi dire que ces trajets ont un réseau,  sont le réseau, se forment en réseau. Ainsi, de l’arachnéen on ne sait jamais s’il tisse ou si ce n’est qu’être tissé.

(…) le seul soutien qui permet le réseau est l’écart, la faille -.” (Fernand Deligny)

 

Cette citation fait écho à la façon dont nous abordons notre travail dans les institutions scolaires dont les structures tendent à coaguler l’impulsion du vital, éphémère et hasardeux, et qui favorisent dans le même temps le tissage de liens qui forment un lieu possible, pour que tout cela avance.

Les différentes problématiques qui apparaissent dans le champ scolaire nous placent dans un environnement complexe traversé par une série de discours pédagogiques, politiques, sociaux, juridiques, etc., qui opèrent « des identités de normalité ».

L’école moderne, depuis ses débuts, a toujours fait partie d’un dispositif de discipline qui inculquait des savoirs, des normes, des règles afin de garantir le fonctionnement du système capitaliste via l’homogénéisation de la population.

À ses dépens se crée une forme de commun soutenu par les universaux qui, face à des manifestations hors de l’attendu, réagit en générant une classification au sein du système binaire normal/anormal, commun/spécial.

On nous convoque lorsqu’un élève présente des « problèmes d’apprentissage et/ou des problèmes de conduite », en ajoutant qu’ils ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour « remédier » à la situation.

Ils attendent un « savoir spécialisé », ils exigent une évaluation diagnostique et une orientation vers des traitements qui répondent généralement du discours médical, et l’on associe ce qui ne va pas à un handicap. À partir de là, ils attendent une intervention pour confirmer ce qu’ils connaissent déjà de façon descriptive.

Nous nous laissons prendre par cette supposition, à partir de laquelle circulent les dires qui, en glissant, tombent petit à petit, ouvrent des brèches, interpellent, ébranlent les lieux communs.

Et là, c’est le bon moment.

Être là, à ce moment-là, tels des greffiers d’un fait qui rend compte d’un inconfort. Il se passe quelque chose qui touche, pas tout le monde de la même manière, et c’est le corps qui donne le signal de cet instant, stupéfaction, tension, inconfort.  On révèle la singularité de cet événement en commun.

Commun l’étrangeté

Singulière est la façon dont chaque personne prend place face à cela

Ainsi, là où l’on attendait la certitude du savoir, apparaît la possibilité d’une expérience de l’inachevé, du spontané.

Déhierarchisation et décentrement. Citons Rancière: « Le pouvoir commun aux spectateurs ne tient pas à leur qualité de membre d’un corps collectif ou à quelque forme spécifique d’interactivité. C’est le pouvoir qu’a chacun ou chacune de traduire à sa manière ce qu’il ou elle perçoit, de le lier à l’aventure intellectuelle singulière qui les rend semblables à tout autre pour autant que cette aventure ne ressemble à aucune autre »”[1]

Une expérience qui ne nous conduit à aucune vérité universelle, mais qui est l’inscription d’une expérience qui ébranle, qui modifie intensément l’état de fait, faisant émerger une nouvelle composition du même chiffon.

Agamben dit “l’expérience est incompatible avec la certitude et une expérience devenue calculable et certaine perd son autorité »« [2].

L’important ce n’est pas l’objectif d’une expérience mais son trajet.

Les maîtres, les parents, les superviseurs, qui ont quelque chose à dire, demandent d’être écoutés. Avec des interprétations qui étouffent, on génère des tensions qui tombent à pic sur quelqu’un en difficulté qui exprime sa façon d’être, son rejet de tant de « dit » sur lui.

Donner lieu au « dit », pour qu’il s’exprime, jusqu’à ce qu’un moment, on entende quelque chose d’un autre ordre, une lecture différente qui fait appel à une responsabilité qui n’est pas celle du rôle que l’on joue, mais plutôt une responsabilité qui apparaît lorsque l’on écoute pourquoi  l’on est touché par cette situation.

Il se peut alors qu’une nouvelle configuration émerge, une distribution du mal-être qui ne reposerait plus seulement sur “l’élève”. Accueillir le malaise pour en faire quelque chose d’autre que de le coaguler en une solution rapide, une façon de faire qui fait confiance au potentiel que porte ce même malaise pour que quelque chose de nouveau naisse, un point de fissure vers la diversité.

Un passage, une ouverture

Pas sans savoir été averti à l’avance que nous sommes traversés par cette même trame, une façon d’être entretissée…

Un faire avec ces fibres, d’autres trames?

Un lieu à faire, 

Faire des coupes, des raccords et des sutures pour dépasser la consternation de la question

Faire de la place à ce qui survient et offrir la possibilité de creuser des puits là où le tissu se ferme.

L’urgence de l’étrange.

Créer un soutien, comme un métier à tisser dans lequel les fibres se mêlent et s’unissent, formant des fils qui s’accrochent et s’entrecroisent, longeant les trous par lesquels passent les fils de chaîne et de trame…

Tout cela nous interpelle et nous mobilise.

L’école « commune »[3] comme bastion de la « normalité », presque un monument de l’histoire consacré à transmettre « l’éducation pour tous », nous révèle, chaque fois, l’impossibilité de cette tâche ambitieuse. Et de plus en plus de jeunes et d’enfants plus petits sont expulsés, faisant les frais de résolutions ministérielles, ou “intégrés” avec pour revers de médaille l’expulsion du singulier.

Nous acceptons l’invitation d’Agamben à profaner[4] ces dispositifs de soumission pour « leur arracher cette possibilité d’usage qu’ils ont capturée[5] ».

Jouer, dans le sens de «  restituer à l’usage commun ce qui avait été séparé dans la sphère du sacré « [6]. Dans ce sens, le dispositif de normalisation qui forme le « commun » de l’école est perçu presque comme un paramètre sacré, impossible à remettre en question.

La possibilité d’ouvrir le jeu, de profaner, pour laisser de la place au mouvement, aux rythmes et aux sonorités qu’émettent les points de suspension de l’indéterminé. Des allers et retours qui portent avec eux des passages à des scènes diverses qui surprennent et perturbent de soulagement et de joie la monotonie installée dans le quotidien.

Cet écrit est l’expérience d’un faire, nous remettre en question autour d’une pratique, une tentative sans garantie d’inventer une voie possible.

Il se passe quelque chose lorsque, pendant un instant, l’incohérence fait sa brève apparition

Donner de la place à l’étrangeté qui nous habite, faire l’expérience du divers.

Liés dans notre singularité à un espace commun. Mais pas commun d’un point de vue identitaire mais:

« Ce qui sort du « propre », de « l’individuel », du « personnel », mais qui dans le même temps ne conduit pas à un horizon indifférencié, au terrain de l’égalité, de l’homogénéité, de l’identique, mais au contraire qui fonctionne comme l’espace de permutation, d’échange entre les singularités (…)[7] »

On passe « d’intervenir » à « être là avec »

Expérience du tissage

Une écriture, une invention, raconter depuis le début avec le malentendu inhérent au langage qui, en même temps qu’il soumet, donne à chaque être vivant la possibilité d’expérimenter dans la solitude de façons nouvelles de rencontrer l’autre.

Solitude commune de l’incommunicable.

 

Bibliografía

AGAMBEN, Giorgio (2005), Profanaciones, Adriana Hidalgo, Buenos Aires, 2005

ALVAREZ URÍA, F. (1996). La configuración del campo de la infancia Anormal. De la genealogía foucaultiana y de su aplicación a las instituciones de educación especial. Barry Franklin (comp.).

DELIGNY FERNAND (2015) LO ARÁCNIDO Y otros textos.  Ed. serie ocursos diez.

FOUCAULT, M. (1989). Vigilar y Castigar. Nacimiento de la Prisión. (1975). Siglo XXI ED. Bs. As.

FOUCAULT, M.: (1975). Los Anormales .Fondo de Cultura Económica. México.

FOUCAULT, MICHEL (1978). Microfísica del poder”. (3ª Ed)  Madrid: La Piqueta.

GIORGI, GABRIEL Lugares comunes: “vida desnuda” y ficción. Apuntes

LACAN, J. Seminario 23: El sínthoma. Versión Crítica ― Clase 4: 13 de Enero de 1975

PUIGGROS, A. (1990). Sujetos, disciplina y currículum en los Orígenes del sistema educativo argentino. Editorial Galerna. Buenos Aires.

RANCIÈRE, JACQUES. (2008) El espectador emancipado, Bordes Manantial, La Fabrique édition

 

[1] Rancière, Jacques, El espectador emancipado, Bordes Manantial, La Fabrique édition, 2008. p.23

[2] Agamben, Giorgio, Infancia e historia, Adriana Hidalgo, Buenos Aires, 2011, p. 14

[3] Se la nombra así en nuestro país, en el lenguaje cotidiano para diferenciarla de los circuitos de las escuelas de educación especial. Significativa barra divisoria lingüística…

[4] Agamben propone oponer a la religión la “negligencia” que con una actitud “distraída” – esto es, desligada de la religio de las normas- frente a las cosas y a su uso (…)” p.97

[5]Agamben, Giorgio, Profanaciones, Adriana Hidalgo, Buenos Aires, 2005, p. 97

[6] ibidem.

[7] Lugares comunes: “Vida desnuda” y ficción, Gabriel Giorgi.

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